Exposé de Alexandre Ricard et Antonia McCahon

Alexandre RICARD : Si nous avons entrepris la transformation numérique de Pernod Ricard, c’est pour nous rapprocher du consommateur et créer de la valeur. Car les deux objectifs sont intimement liés. En 1932, lorsque Paul Ricard a créé la société, il donnait déjà comme consigne à ses collaborateurs : « Faites-vous un ami par jour. » Avec le digital, nous nous faisons chaque jour des milliers d’amis. La technologie, qui nous permet de “désintermédier” les marchés, nous semble une opportunité plutôt qu’une menace. La désintermédiation s’opère en amont – vers nos fournisseurs et notamment les agences de publicité – et en aval, car nous pouvons désormais nouer des liens directs avec nos consommateurs.

Cette évolution est très récente, et les data scientists n’existaient pas voici dix ans. Nous sommes aujourd’hui à un point d’inflexion : nous pouvons saisir l’opportunité qui nous est ainsi offerte et créer un avantage compétitif majeur, ou la négliger, c’est-à-dire probablement mourir. Cela vaut pour toute la chaîne de valeur.

Une place pour un match de football de quatre-vingt-dix minutes coûte 250 euros, alors qu’une bouteille de whisky Chivas (de 70 centilitres), dont l’élaboration demande douze ans, ne coûte qu’une trentaine d’euros. C’est dire combien il est important de comprendre les processus de consommation.

Nous utilisons l’outil digital pour créer de la valeur autour de quatre axes : il nous permet de mieux connaître nos clients et nos consommateurs ; nous sommes, grâce à lui, plus efficaces dans nos relations avec les médias et les agences publicitaires, ainsi que dans le ciblage de nos consommateurs ; nous ouvrons de nouveaux canaux de distribution grâce au commerce électronique ; enfin, nous accédons à des expériences et à des services nouveaux.

Une meilleure connaissance des clients et des consommateurs

Nous venons de lancer un outil nommé PRIME, qui va nous permettre de mesurer en temps réel et sur des échantillons significatifs la santé de nos marques, à partir de l’écoute des réseaux sociaux, y compris de certains réseaux spécifiques réunissant des consommateurs à travers le monde. La collecte et le traitement des données avec des algorithmes adaptés nous aident, en outre, à identifier les marques concurrentes associées.

C’est parce que le consommateur a changé ses habitudes que notre industrie a changé. Les générations passées étaient fidèles à un produit, au point que l’on pouvait changer de bar ou de magasin pour le trouver. Le consommateur d’aujourd’hui est toujours fidèle, mais à un répertoire de produits, déterminés selon ses moments de consommation. Le premier moment de convivialité en France est l’apéritif, ciblé sur le pastis ou le Lillet, notre apéritif à base de vin. La vodka et le champagne correspondent à une autre expérience, celle de la consommation nocturne à grande énergie.

La réarticulation de notre stratégie sur ces moments de consommation constitue un énorme changement. C’est à travers eux que nous mesurons la brand salience, c’est-à-dire l’importance de la marque dans son univers concurrentiel. Les rosés et la bière, les cocktails et le Ricard sont tous concurrents sur le segment de l’apéritif. Nous ferons rarement une promotion pour du pastis en boîte de nuit ou pour de la vodka à l’apéritif ! Nous savons ce que boit le consommateur, avec ses amis, sa famille, ses collègues, en semaine ou pendant le week-end, qu’il s’agisse du produit ou de la marque, de l’expérience ou du rituel. En Chine, le mariage se célèbre autour de la marque Martell, au Cambodge, du Chivas dix-huit ans d’âge, en France, du champagne, tandis qu’aux États-Unis les cocktails jouissent d’une faveur de plus en plus grande. De la même façon, nous avons considérablement amélioré la connaissance de nos “comptes clés” – c’est-à-dire, si l’on prend le secteur café-hôtel-restaurant, la connaissance du type d’établissement (bar de jour ou de nuit, de quartier ou de sortie, etc.). Menu et consommateurs diffèrent d’un compte clé à l’autre.

Notre écoute sociale concerne le monde entier et nos cibles représentent environ quatre millions d’établissements sur toute la planète. Plus la segmentation est fine, mieux est adaptée la commercialisation. Aujourd’hui, l’acteur du service commercial joue le rôle, pour prendre cette comparaison, d’un médecin généraliste, demain, grâce au digital, il sera “chirurgien” : la connaissance de nos clients et de la santé de la marque permettent de définir le plus précisément possible ses objectifs. Le digital permet d’analyser plus finement le consumer insight, c’est-à-dire la perception par le consommateur de tensions sur le produit, que la marque n’a pas encore résolues. C’est donc un puissant outil d’orientation de la consommation.

Plus defficacité dans les relations avec les médias et la publicité

Pernod Ricard achète directement ses publicités sur les médias digitaux, et ses grands fournisseurs se nomment désormais Facebook, Twitter, Google, Instagram… Les agences ne jouent plus le rôle d’intermédiaire sur lequel elles touchaient une commission. L’économie est conséquente : sur 100 euros que nous investissions autrefois en dépenses de communication d’agence, 30 euros peut-être étaient alloués au message perçu par le consommateur. Ce sont aujourd’hui nos propres équipes qui réalisent ces achats programmatiques et nous garantissent un meilleur ciblage.

Un exemple permettra de mieux comprendre ce qui a changé. Un matin, voici quelques années, arrivant à New York, je découvre à la télévision, au moment du petit déjeuner, une publicité que j’avais lancée pour le whisky Jameson. L’heure n’était évidemment pas la plus propice pour sa diffusion. Je m’en inquiète auprès de la personne chargée du marketing, qui me révèle qu’elle a acheté un package auprès de l’agence, avec une remise de 80 % sur ce créneau horaire ! Quand bien même la remise eût été de 100 %, cette campagne était à peu près inutile. C’est à 18 heures, sur la chaîne sportive ESPN, la plus regardée dans les bars en fin de journée, qu’il faut diffuser ce genre de publicité. Ce sont certes les tarifs les plus chers, mais c’est aussi l’emplacement le plus efficace. Nous pouvons aujourd’hui de plus en plus choisir nous-mêmes les supports et les moments de diffusion. Nous avons lancé, grâce à cette réactivité nouvelle, une campagne pour le Kahlúa – achetez une bouteille, elle vous tiendra chaud – juste avant une tempête de neige. Une telle souplesse, une telle précision étaient auparavant impossibles.

La chaîne de travel retail fournit un autre exemple, particulièrement éloquent : les voyageurs sont ciblés de la réservation en ligne jusqu’à l’aéroport. Dès l’atterrissage, ils reçoivent sur leur smartphone les annonces qui les guideront vers le magasin où les attendent leurs produits préférés et où leur est accordée une remise. Dans leur chambre d’hôtel, ils trouveront dans le bar les marques dont ils ont l’habitude ; un Chinois, qui n’aime pas le Ricard, appréciera le cognac Martell. Dans les couloirs des aéroports, nous nous efforçons de proposer au voyageur en transit des publicités pertinentes : au débarquement d’un vol chinois, les panneaux mobiles afficheront une campagne Martell tout le long de son parcours, si deux heures plus tard des Indiens atterrissent, ils seront exposés à une campagne Chivas, et si des Américains empruntent le même parcours, à la même heure dans l’autre sens, ils verront les images de la campagne Absolut.

Augmenter le chiffre d’affaires avec le e-commerce

Le e-commerce, en forte croissance, demeure très minoritaire. Mais voici dix ans, nous n’avions que deux canaux de diffusion, la grande distribution et les cafés-hôtels-restaurants (CHR). Nous disposons aujourd’hui de trois canaux supplémentaires, tous trois impactés par le digital : le travel retail, le e-commerce et, plus surprenant, le hometainment, qui désigne les services offerts à domicile et les expériences qui vont au-delà des produits.

Le e-commerce représente aujourd’hui environ 2 % de notre activité, mais devrait passer à 5 % dans les trois prochaines années. C’est pour l’essentiel un accès indirect, via les sites de vente en ligne de nos clients de la grande distribution ou de pure players comme Amazon. Lorsqu’un client achète en grande surface, il est confronté à dix mètres linéaires de Ricard en rayon ; s’il achète sur le site en ligne, la bouteille de Ricard n’est pas mieux mise en valeur sur son écran que celle de Pastis 51 ou la bouteille de pastis de l’enseigne. L’importance relative de la marque ne s’exprime plus. Nous devons donc adapter notre contenu. Nous avons développé un plug-in, que l’enseigne n’a qu’à télécharger, pour trois mille pages de référencement de produits, avec une photo et un descriptif traduit en dix-huit langues.

Nous disposons également d’un outil multi-facettes, nommé Drinks & Co, qui nous permet aussi bien de réaliser des ventes “spécial mariage” que du shop-in-shop : le client qui fait ses courses sur le site de l’enseigne peut y visiter notre boutique. C’est le principe des grands magasins parisiens, mais dans le monde virtuel. Le shop-in-shop présente nos produits de façon très interactive et sympathique. Ce canal est en très forte croissance, notamment en Chine. Si la part globale du e-commerce est encore faible, il a déjà pris, sur certains segments, une importance considérable : aux États-Unis, 55 % des ventes de vin s’effectuent en ligne.

Des expériences qui portent les marchés

Nous cherchons à engager le consommateur par le levier digital. La bouteille connectée en est un bon exemple. Nous avons expérimenté des bouteilles de whisky Ballantines où un petit écran remplace l’étiquette et permet de diffuser des publicités, du son, etc. Mumm a lancé la première bouteille de champagne capable, lorsqu’on l’ouvre en boîte de nuit, de changer automatiquement, au moyen d’un aimant déclenché par une radio-étiquette RFID (Radio Frequency IDentification), la musique, l’éclairage, etc. L’attraction coûte encore cher, mais elle a du succès et stimule les achats.

Lorsqu’on écoute de la musique sur les réseaux dématérialisés, c’est 86 % du temps avec un verre à la main. On voit qu’on peut imaginer de belles synergies ! Avec le hometainment, nous allons chez les gens, en compagnie d’une start-up spécialisée, pour organiser une soirée. Nous fournissons les spiritueux et parfois le mixologistele barman, qui n’a pas oublié sa science du cocktail, mais qui n’officie plus nécessairement derrière son bar. Le consommateur peut commander la soirée sur une application de son smartphone. Le hometainement est né en Colombie, où les nuits étaient très dangereuses. Il favorise le partage et revient moins cher que la consommation dans des bars.

Le digital nous permet de proposer des services avec nos produits et d’entrer en contact avec le consommateur pour ne plus le quitter ! Nous ne nous aliénons pas, pour autant, nos clients des CHR, car nous misons là aussi sur la collaboration : si nous employons le mixologiste d’un bar lors de son jour de fermeture, nous assurons à ce dernier une publicité très efficace.

Nous proposons des expériences aussi bien en aval qu’en amont de nos produits. Grâce à la technologie 3D, nous permettrons à nos consommateurs de partager un verre avec une personne qui est à l’autre bout de la planète – c’est le distant togetherness. Nous cocréons aussi des produits avec les communautés qui leur sont liées, comme ce sera le cas pour la prochaine édition d’une de nos marques de single malt.

D’ici deux ans, toutes nos bouteilles vendues en Chine seront connectées. Elles s’intégreront à l’Internet des objets, avec une puce RFID, pour contrôler la circulation du produit, et un code QR pour en partager l’expérience en accédant à un portail web. Ces bouteilles ne peuvent être contrefaites. De plus, nous pouvons, dans le partage de l’expérience, diffuser les informations qui distinguent le produit et content son histoire. Ainsi, la bouteille connectée de Jameson pourra-t-elle expliquer que la marque est elle-même impliquée dans l’aventure de la communication puisque l’arrière-petit-fils du fondateur de la distillerie n’est autre que Guillermo Marconi, l’inventeur de la radio.

Les deux piliers du développement : la technologie et le droit

Les équipes informatiques du Groupe ont changé de dimension au cours des cinq dernières années. Elles ont développé une plateforme spécifique, qui agrège plus de cinquante logiciels et nous permet – c’est un enjeu clé – de collecter à travers le monde les données qui renseignent les profils de nos consommateurs. Nos marques ont leur terroir, et chacune a sa maison : la Fondation Martell à Cognac, la maison Mumm à Reims, ou la vieille distillerie Jameson à Dublin, qui accueille chaque année un demi-million de visiteurs. Le profil de chaque visiteur dans chaque maison de marque est intégré à la base de données, et c’est le point de départ d’une interaction qui peut durer toute une vie. Nous avons construit ce réseau avec nos équipes digitales, mais aussi avec nos équipes juridiques, car les réglementations, en matière de protection de l’anonymat diffèrent d’un pays à l’autre et évoluent en permanence. Nos juristes travaillent au siège comme au niveau local et à celui des marques.

Nous avons à ce jour renseigné les profils de cinq millions de personnes, mais les progressions sont exponentielles et l’objectif de cent millions de profils peut être atteint rapidement. Chaque fois que nous organisons une soirée – c’est-à-dire quatre ou cinq fois par jour dans le monde –, nous recueillons de nouvelles données, et tant que les personnes qui nous les ont confiées n’ont pas changé d’avis, elles attendent une interaction. C’est, comme nous l’avons vérifié, un moyen très puissant d’accélérer nos ventes.

L’humain au cœur du projet

Nos collaborateurs dans et hors Pernod Ricard évoluent au sein d’une hiérarchie totalement transformée (je n’ai pas de bureau), où le leadership ne passe plus par le contrôle de l’information et de son flux, mais par son utilisation, dès lors que tous y ont désormais accès. Les fournisseurs, c’est-à-dire les agences, principalement touchés par la désintermédiation, doivent se concentrer non plus sur l’achat de médias, qui eux-mêmes ont changé, mais sur leur créativité, qui représente leur véritable part de valeur ajoutée. Enfin, la vente au détail a changé. Sears, l’un des géants du secteur, est sur le point de déposer son bilan. Amazon pèse plus lourd en Bourse que Walmart, premier distributeur mondial et premier employeur privé des États-Unis, qui a dépensé plus de 3 milliards de dollars, l’an dernier, pour acheter la plateforme de vente en ligne Jet.com. Nos clients, c’est-à-dire les distributeurs, intermédiaires entre nous et nos consommateurs, sont bouleversés par le digital. Face à cela, le principal enjeu est humain. Nous devons nous assurer que nos 18 500 collaborateurs comprennent le digital comme une opportunité, qui nous permettra de mieux cibler clients et consommateurs et qui change non seulement nos façons de travailler ensemble (nous produisons désormais nos propres contenus, sans passer par les agences), mais aussi notre état d’esprit. Ce sont les personnes d’une organisation qui font sa réussite.

Débat

Un réseau novateur et structurant

Un intervenant : Vous montrez que l’urgence, invoquée par tous, ne peut faire l’économie d’un travail préparatoire, qui prend souvent des années. Vous avez évoqué la désintermédiation des agences de communication ; il semble que consultants et informaticiens extérieurs aient été placés à la même enseigne…

Alexandre Ricard : En 2011, nous avons été parmi les premiers en Europe à lancer un réseau social, qui a servi d’infrastructure commune à un Groupe par ailleurs très décentralisé ; il a fédéré notre transformation digitale, en un temps où peu d’entre nous en comprenaient les enjeux. Nous nous sommes épargné, par cette initiative, de nombreux débats et beaucoup de temps. L’adoption de l’outil en 2012-2013, a demandé plus d’efforts. Il connaît aujourd’hui un fort niveau d’engagement. Le réseau affiche quatre ou cinq mille communautés. Chaque marque a la sienne. En outre, grâce à la communauté du Groupe, chacun des 18 500 collaborateurs de Pernod Ricard peut être lu par tous les autres. Je m’en sers beaucoup lors des points semestriels : cela me permet de communiquer en direct.

L’intervention de consultants ne s’impose plus que sur des sujets très spécifiques, qui demandent un regard extérieur. Sinon, elle traduit le plus souvent une carence interne. Finalement, le problème est le même qu’avec les agences, qui apportent en revanche, lorsqu’elles sont compétentes, un regard indispensable, disruptif et créatif. Mais j’aime que mes équipes développent leur propre approche.

Antonia McCahon : Nous considérons l’ubérisation comme une chance ! Elle permet une empreinte plus riche et plus large dans la gestion de notre image, qui repose essentiellement sur la convivialité : le cœur de notre métier demeure la bouteille et son liquide, mais nous avons su jouer suffisamment tôt la carte de l’expérience associée. La désintermédiation est pour nous synonyme de rapprochement avec le consommateur. Aujourd’hui, nous parvenons à articuler cette mise en place nouvelle de la convivialité avec la marche de l’entreprise.

Des compétences renouvelées…

Int. : Les 18 500 personnes de l’entreprise ont-elles changé au cours des dernières années ? Avez-vous beaucoup recruté ? ou beaucoup formé ? La réalisation de votre moteur de recherche demandait des compétences de très haut niveau…

A. R. : Le département informatique a radicalement changé. Nous avons nommé son directeur en 2013, un an à peine après l’arrivée d’Antonia McCahon à la direction de l’accélération digitale.

A. McC. : Nous avions plusieurs projets. Nous avons commencé par nos activités commerciales et marketing. Chaque fois, nous avons identifié la valeur ajoutée par le digital. Nous comprenions que notre communication devenait beaucoup plus efficace, et l’adaptation s’est faite sur ces bases, petit à petit. La transition induite par les outils de l’intelligence artificielle s’est faite en synergie avec le projet d’entreprise. Le backbone, la colonne vertébrale de l’organisation digitale, est un écosystème de données.

Int. : Mais les anciens n’étaient pas nécessairement des virtuoses des réseaux sociaux ; ils ont dû se familiariser…

A. R. : En 2013, sur un programme qui dépassait le simple cadre digital, nous avons formé la communauté marketing en six mois. À la fin du mois de juin 2017, nous aurons formé 92 % des six mille “marketeurs” et vendeurs du Groupe au building passion brands, où le digital a toute sa place. Les modes de travail et la technique sont donc intimement liés. Mais le digital intervient aussi dans les modes de direction et la formation s’effectue alors non pas tant sur les usages que sur la capacité de changement. Nous avons mis en place trois formations au leadership : Blenders, Shakers et Mixers, qui correspondent au niveau de responsabilité. Ces formations sont axées sur la capacité à embrasser le changement, à travailler en équipe, et sur l’agilité.

… à l’échelle mondiale…

Int. : En un peu moins de vingt ans, les Chinois sont devenus des leaders mondiaux dans le domaine des brevets. En 2008, ils ont commencé à s’intéresser aux marques, qu’ils développent très rapidement. Craignez-vous l’émergence de concurrents directs ou bien pensez-vous que toutes les marques profiteront de cette évolution ?

A. R. : La démographie chinoise est telle que les Chinois peuvent se lancer dans la fabrication de spiritueux différents de leurs alcools traditionnels (le baijiu), charge à nous de les accompagner, ce que nous avons fait avec le vin. Nous n’avons pas même tenté de fabriquer du baijiu. Nous ne sommes pas compétents. En revanche, nous savons faire du vin et sommes parvenus à créer des synergies avec nos équipes australiennes, dans l’hémisphère sud, qui remontent en Chine, dans l’hémisphère nord, lorsqu’elles ont terminé les vendanges. Nous avons un vin chinois, Helan Mountain, qui après cinq ou six ans de travail commence à nous donner satisfaction. Mais nous savons aussi que des acteurs des pays émergents achètent des whiskies en Écosse. La différence ne tient pas à la localisation du concurrent, mais au marketing et à la construction de la marque, où notre taille nous donne un avantage compétitif. Le digital n’a pas pour seul effet la désintermédiation sur la chaîne de création de valeur. Il fragmente aussi l’offre, tout comme l’accès au marché. D’où la nécessité non seulement d’être attentifs à nos capacités propres d’innovation – qui représentent un quart de notre croissance –, mais aussi d’être réactifs dans la gestion de notre portefeuille : c’est à nous de repérer les pépites et de les acheter.

Int. : Aux États-Unis, Amazon devient lui aussi un épicier, et il connaît ses clients. Ne risque-t-il pas de réduire vos marges ? Est-il au contraire une chance ?

A. R. : Nous devons éviter le gouffre de Charybde, c’est-à-dire la grande distribution classique, et l’écueil de Scylla – Amazon. Le centre de création de valeur dans la chaîne de la distribution se déplace vers celui qui a le contact ultime avec le consommateur, qui le connaît le mieux. Si nous travaillons en partenariat avec la grande distribution, nos frictions proviennent de son aspiration à sortir de sa vocation logistique pour se rêver en bâtisseuse de marques. Notre réponse à la stratégie d’Amazon n’est évidemment pas du même ordre. Nous tentons de guider le consommateur vers nos produits, en renforçant le plus possible les liens entre produits et marques. Si ces liens sont suffisamment forts, sa requête s’effectuera non pas sur un whisky, mais directement sur un Chivas, un Glenlivet ou un Ballantines. Dans le haut de la gamme, c’est pour acquérir une expérience que nos consommateurs-cibles sont prêts à dépenser sans compter. Aussi ne demanderont-ils pas à Alexa, l’assistant personnel d’Amazon, de leur trouver un whisky, fût-il un Chivas, mais une boisson correspondant à une situation, par exemple, une soirée qu’ils organisent. Pour cela, ils vont entrer dans le moteur de recherche le profil de leurs invités. Et c’est ce qui va permettre à Alexa de calculer les ingrédients d’une expérience exceptionnelle. Celui qui maîtrise – ou influence – les profils, maîtrise – ou influence – le marché. La connaissance du consommateur et le contact avec lui sont l’enjeu d’une véritable bataille. C’est capital : cela nous permet d’influer sur son comportement, qu’il se fournisse en grande surface ou chez Amazon.

Int. : En France, la direction générale de la formation professionnelle sur le numérique est préoccupée par la vitesse des évolutions. Il faut éviter le gouffre de Charybde – un nombre insuffisant de personnels formés – et l’écueil de Scylla – la vitesse à laquelle se “démodent” les formations. Entre la demande des entreprises et ce que perçoit l’État, la synthèse fait défaut. Recourez-vous plutôt à la formation interne ou faites-vous appel à des formateurs extérieurs, voire à des gens formés à l’extérieur ? Quelles catégories de métiers ces formations concernent-elles ?

A. R. : Force est de constater le décalage entre une population qui cherche des emplois et une industrie qui a des besoins. Les informaticiens sont nombreux, mais certaines connaissances ou certaines approches sont rares. Nous recherchons aussi, depuis peu, des mathématiciens et des statisticiens. Les compétences dans l’analyse de données sont très récentes. En 2012, j’ai rencontré un jeune homme qui s’était chargé du ciblage de la première campagne Obama puis avait conseillé le président. Les résultats qu’il obtenait, grâce à l’écoute des réseaux sociaux, en matière de prévision des comportements étaient stupéfiants. Nos besoins en la matière ne sont pas énormes et nous n’avons pas de problèmes de recrutement. Quant à nos formations, elles se font en interne le plus souvent, pour des raisons de cohérence et de cohésion, mais nous avons aussi des partenariats avec des entreprises spécialistes du stockage et de l’analyse de données.

Int. : Envisagez-vous de créer votre propre assistant personnel digital ?

A. McC. : Nous travaillons sur le contenu qui accompagne les réquisitions vocales. Nous avons, en Angleterre,un projet autour des recettes de cocktail, aujourd’hui avec Alexa, mais qui peut s’adapter.

… pour entrer dans la danse et dans la confidence

Int. : L’intelligence artificielle limitera-t-elle vos effectifs ? modifiera-t-elle les tâches de vos collaborateurs ?

A. R. : Nous continuons à recruter, des commerciaux, surtout, dans les pays à forte croissance, et dans ceux où notre contact avec le consommateur les rend nécessaires. En Chine, nous disposons désormais de deux réseaux ; le deuxième est tout récent, et nous sommes en train d’y implanter un troisième. Aux États-Unis, nous avons créé trois réseaux et envisageons le lancement d’un quatrième. Nous avons aussi créé un nouveau réseau en France, mais hors du siège, les Nouveaux Distillateurs. Ils sont une vingtaine et ne distribuent que des produits nouveaux ou artisanaux, que nous voulons vendre à des comptes clés, des bars qui évitent le commerce de masse. En France, nous recrutons pour des rôles globaux : notre data scientist travaille au siège.

En corporate, nous recrutons au compte-goutte. Je ne crois pas à l’accumulation de cadres supérieurs chargés du reporting. Je n’ai pas de goût pour la bureaucratie, je crois au terrain.

La vente stricto sensu occupe environ 6 000 de nos collaborateurs, mais à la vérité, nous sommes 18 500 vendeurs. Nous avons créé une petite plateforme interne, Elevate, une “app” dont je suis moi-même membre, que nous testons avec cinq cents personnes volontaires pour se porter ambassadeurs de nos marques. Nous nourrissons la plateforme d’articles de presse et de divers contenus que ces personnes peuvent en quelques clics diffuser sur leur réseau personnel, selon leur goût ou leur humeur. Tous les membres d’Elevate ne sont pas des commerciaux.

Penser grand

Int. : Qu’ont modifié les nouvelles technologies dans votre stratégie d’acquisition ?

A. R. : Nous avons mis en place le pôle BIG (Breakthrough Innovation Group) qui s’intéresse aux domaines n’appartenant pas à notre cœur de métier, mais qui s’articulent à notre fonction de créateur de convivialité. C’est le BIG qui développe le premier “bar connecté” à domicile. Ce ne sont pas cette fois des bouteilles mais des livres qui contiennent nos produits, posés sur une plateforme interactive permettant de réaliser n’importe quel cocktail. C’est encore le BIG qui a mis au point une vodka infusée de caviar, grâce à une technologie d’encapsulation, empruntée à l’industrie des cosmétiques, préservant le produit frais (et naturellement son goût) jusqu’au moment de la consommation. Une personne au sein du BIG est chargée d’identifier des start-up dont les projets peuvent nous entraîner à prendre des participations. Nous sommes également à la recherche de nouvelles marques, lancées par des entrepreneurs agiles, auxquelles la dimension de notre réseau peut profiter. Notre décentralisation leur permet de conserver un actionnariat minoritaire. Nous avons ainsi acquis Smooth Ambler, un bourbon de Virginie-Occidentale, jusque-là confidentiel, ou encore le gin Monkey 47, vendu en bouteilles de 50 centilitres, distillé en pleine Forêt-Noire allemande dans des installations qui sont des œuvres d’art, et qui signent l’image de la marque sur les réseaux et dans la presse. Nous avons aussi racheté la tequila Avion, qui a d’abord existé dans la série télévisée Entourage, diffusée sur la chaîne américaine HBO, avant de devenir un breuvage réel.

Des “intraprises” en prise

Int. : Appelez-vous vos salariés à innover, grâce à des programmes “intrapreneurs” ?

A. R. : Nous avons quelques intrapreneurs. Åsa Caap a lancé la marque Our/Vodka, dont le modèle d’entreprise s’appuie sur des distilleries locales dont nous avons financé la création, dans des quartiers à forte identité. La marque est aujourd’hui présente à Berlin, à Detroit, à Londres, ouvre à Miami, et bientôt à New York (ce sera la première distillerie de Manhattan), etc. Ce genre de stratégie tient compte du goût des nouvelles générations de consommateurs pour les marques locales ou artisanales dans leur répertoire. Le BIG a également vocation à prendre connaissance des idées nouvelles dans l’entreprise. Je rêve d’une entreprise où tout le monde serait un peu entrepreneur. Et pour tout dire, j’aimerais utiliser l’intelligence artificielle pour supprimer les inutiles prévisions budgétaires, qui débouchent toujours sur une valeur moyenne, et les remplacer par un modèle prédictif dont nous pourrions corriger manuellement les anomalies. Cela nous libérerait du temps pour discuter vraiment des points d’inflexion ou de rupture sur lesquels s’appuient les prévisions.

Une cohésion commerciale renforcée car intégrée

Int. : L’adoption du digital ne risque-t-elle pas de créer des divergences à l’intérieur du Groupe ?

A. R. : Comme toute organisation en transformation rapide, nous nous sommes demandé si tout le monde comprenait les raisons du changement et l’utilité des pratiques numériques. Nous avons connu des flottements. Mais aujourd’hui, notre stratégie digitale est admise par tous. Certains l’ont adoptée d’emblée, d’autres l’ont rejetée catégoriquement, une majorité a opposé une faible résistance. Nous avons accompagné la sortie des quelques réfractaires. Aujourd’hui, la volonté est là, même si beaucoup ont besoin qu’on les aide. Les commerciaux, notamment, ont des inquiétudes. Mais l’importance du contact humain demeurera, le digital n’est qu’un accélérateur. En revanche, le métier, comme les personnes, évoluera, et le personnel se renouvèle. Voici quarante ans, le commercial d’Irish Distillers recevait ses clients dans son bureau en fumant le cigare et leur attribuait un à un la marchandise. Vingt ans plus tard, il se déplaçait chez le client pour prendre commande sur papier. Aujourd’hui, même dans les pays émergents, la commande sur papier a disparu. Les commerciaux deviennent également des capteurs de la réflexion marketing.

Boire avec modération, mais aussi boire vrai

Int. : Quel a été l’apport de la digitalisation dans la lutte contre la contrefaçon ?

A. R. : La bouteille devient traçable. En Chine, nous avons fait savoir à nos clients que les contrefaçons entraîneraient la suppression des approvisionnements. Des numéros verts sont ouverts, où le consommateur peut savoir si la bouteille qu’il achète est ou non authentique. À la différence d’une contrefaçon d’un produit de maroquinerie, un alcool frelaté peut tuer… ou, sans aller si loin, intoxiquer, ou même décevoir un palais tant soit peu averti. Une bouteille de château Lafite Rothschild coûte 1 500 euros lorsqu’elle est pleine et 1 000 euros lorsqu’elle est vide – c’est dire la valeur du flacon, y compris pour le contrefacteur ! Le col de la bouteille de Chivas interdit qu’on la remplisse lorsqu’elle est vide. Cette bouteille, en Chine, est en outre protégée par une puce RFID, un code QR, un numéro vert, un bouchon scellé… Nous rachetions autrefois les bouteilles vides, mais les nouvelles protections rendent cette mesure inutile.

Les meilleures pratiques pour trouver l’équilibre

Int. : Vous insistez sur l’avantage compétitif lié à l’internalisation de vos moteurs digitaux, dont vous êtes propriétaires, mais votre direction digitale ne risque-elle pas de rejeter, à la longue, ce qui n’aura pas été inventé chez elle ?

A. McC. : Nous n’avons pas complètement internalisé nos achats de médias. Nous avons construit ce que nous appelons le media hub, une agence interne, qui travaille avec les sociétés de marques et le travel retail, mais pas avec tous les marchés. Pour le reste, nous continuons à fonctionner avec des agences extérieures, sur la base de règles d’engagement qui définissent la transparence.

A. R. : Nous sommes structurés en six sociétés de marques, ou pôles. Serait-il efficace qu’elles travaillent toutes en parallèle sur une innovation qui vise la même opportunité ? au point d’être concurrentes ? Il n’est pas simple de répondre. Nous ne lancerons pas six projets innovants parallèles, mais nous pouvons en tester six : tester un produit sur quinze bars dans un quartier, puis demander leur avis aux barmen trois mois plus tard, cela ne coûte pas trop cher. Si le produit plaît, nous tentons de comprendre plus finement pourquoi et nous lançons son développement. Ce que permet le digital, et notamment notre réseau social d’entreprise, c’est le partage des meilleures pratiques. Une innovation ne concerne pas qu’un produit, elle induit des services, des façons de travailler…

Artisan global

Int. : Quel est l’état d’avancement de la digitalisation de vos usines ?

A. R. : Nos usines sont complètement automatisées depuis plus de vingt ans. Cependant, beaucoup de personnels des usines souhaitent participer à la vie du Groupe au-delà de celle de l’usine. Voici quelques années, j’avais lancé en Irlande, à la période de Noël, capitale pour notre chiffre d’affaires, l’opération “adopt your own store”, à laquelle avaient participé tous les personnels du siège local. Il s’agissait, après deux jours de formation, d’aller faire du marchandising et de distribuer des coupons de réduction, le soir en rentrant chez soi ou le week-end, dans le magasin de son quartier. J’ai moi-même participé à l’opération. Le succès fut au rendez-vous. Nous avons gagné trois points de parts de marché. Mais j’avais commis une erreur : je n’avais intégré à cette campagne ni notre usine d’embouteillage de Dublin, ni notre distillerie du Sud de l’Irlande. Ces personnels de la fabrication se sont plaints d’avoir été délaissés. Ils ont été depuis intégrés, et l’opération a été généralisée. Elle est menée avec enthousiasme par l’ensemble des personnels et fait partie des meilleures pratiques identifiées. D’autre part, la traçabilité des produits, qui est un sujet d’importance stratégique, démarre dans les usines, qui sont en pointe. Le digital nous permet aussi d’améliorer nos prévisions de vente et de mieux gérer les stocks et les flux à l’intérieur du Groupe, ce qui rompt avec la pratique ancienne des stocks “coussins”. L’impact humain est à mesurer ici à l’aune de la fierté des usines et de la chaîne logistique d’être à l’origine et de gérer un programme qui permet des gains très importants. L’outil de production, qui compte quatre-vingt-onze sites, demeure très valorisé chez Pernod Ricard : ce sont des générations d’artisans qui portent une grande part de l’identité de nos marques et qui parviennent à embrasser le changement avec une grande capacité d’innovation.

Contre l’air de la calomnie, Facebook-ci Facebook-là

Int. : Jusqu’à quel point parvenez-vous à obtenir de l’information en écoutant les réseaux sociaux ? Et quelle est l’utilité de cette écoute, soit pour la publicité, soit pour gérer les mécontentements ?

A. McC. : Nous avons des programmes d’écoute non seulement sur les mots clés autour de nos marques, mais aussi sur les “moments de convivialité”.

Depuis deux ans, nous nous intéressons également aux vidéos, qui sont une source très riche, car les acteurs sont très impliqués dans l’expérience. Ces données nous servent à mieux comprendre le ressenti autour de nos marques et à identifier les personnes avec lesquelles nous pouvons cocréer des contenus. Lorsqu’elles travaillent sur les réseaux sociaux, ces personnes deviennent elles-mêmes des médias. En Chine, elles peuvent avoir plusieurs millions de followers. Nous pouvons aussi identifier des prescripteurs et travailler avec eux, soit sur le réseau, soit dans le monde physique.

A. R. : Nous avions lancé la troisième campagne publicitaire de Jameson aux États-Unis le jour même du tsunami au Japon. La publicité mettait précisément en scène un tsunami, levé par John Jameson pour éteindre un feu à Dublin. Les réseaux sociaux se sont bien sûr scandalisés. Mais certains consommateurs sont intervenus pour expliquer qu’il fallait nous laisser le temps de la retirer, ce qui nous a pris quarante-huit heures. Les consommateurs interagissent, et certains défendent les marques. Aujourd’hui, nous pourrions mener une campagne d’explication sur les réseaux. Je crois beaucoup à l’intelligence collective.

Int. : Comment formez-vous vos community managers à la gestion des éléments de langage, du bad buzz et des crises potentielles ?

A. McC. : Nous avons constaté cette année que Facebook était le principal média de Pernod Ricard. Nos dépenses y sont donc plus importantes que sur les autres médias, presse et télévision comprises. Nous avons commencé à utiliser Facebook parce que le réseau nous permettait de mettre en valeur l’engagement de communautés d’amis. Aujourd’hui, les profesionnals generated contents – très importants en Chine – se sont substitués aux users generated contents. Tous nos community managers sont désormais formés en continu aux médias, et en Asie, ils sont nos brand managers, chargés de gérer les relations avec leurs amis et followers dans le monde virtuel comme avec leurs clients dans le monde physique. Nous comptons, sur l’ensemble du Groupe, plusieurs centaines de community managers.

L’écoute des réseaux est professionnalisée et n’est pas laissée aux seuls community managers : l’analyse du comportement des consommateurs par rapport à la marque (qui relève de la brand equity) ou la gestion de crise sont assurées par des professionnels spécialisés.

A. R. : Nous devons bien sûr faire face aux rumeurs défavorables, au bad buzz, mais aussi au fake buzz, aux fausses rumeurs. Il est, en effet, possible de créer des millions de faux profils qui vont envoyer des faisceaux d’informations ciblant un même sujet. La distinction entre informations fausses et vraies est difficile. De grandes agences, comme l’AFP ou Bloomberg, lorsqu’elles prennent connaissance de ces faisceaux, peuvent même y accorder foi et aller jusqu’à publier des informations fausses.

Héritier d’un rêve

Int. : Quel fut votre itinéraire avant d’entrer chez Pernod Ricard ?

A. R. : J’ai reçu une éducation qui valorisait la responsabilité. C’est aussi ce qui caractérise le programme de consommation responsable de Pernod Ricard. J’ai connu le Groupe par des stages, que j’avais souhaités, lorsque j’étais jeune. Après mes études, je me suis engagé dans un volontariat international dans la banque, puis j’ai posé une première candidature chez Pernod Ricard. Mon entretien avec le directeur des ressources humaines ne s’est pas bien passé. Je suis finalement entré chez Andersen, puis j’ai intégré une banque d’affaires. Jusqu’au jour où mon oncle m’a incité à remettre à jour mon CV, parce que chez Pernod Ricard, m’a-t-il expliqué, on ne parachute pas. J’ai retrouvé le même directeur des ressources humaines, et cette fois l’entretien a été formidable. Je l’ai remercié. Il m’avait évité de rejoindre le Groupe à une époque où je n’étais pas prêt. En 2011, mon prédécesseur m’a appelé à rejoindre son équipe proche.

Int. : Est-ce à vous que le Groupe doit son intérêt pour les réseaux sociaux et pour l’innovation ?

A. R. : Mon oncle avait pour habitude, lorsqu’une nouvelle personne était embauchée au siège, de déjeuner avec elle. Après le café, le 17 juillet 2003, il m’a dit : « Tu rejoins une extraordinaire aventure, faite par des gens remarquables. » Mais je retiens aussi une phrase, écrite par mon grand-père : « Le but d’une grande nation ne doit pas être la puissance des forts ou l’enrichissement des riches, mais l’élévation du niveau de vie de chacun. Il ne s’agit pas de supprimer la richesse, mais la pauvreté. » Cela vaut, bien entendu pour une entreprise. Ces principes étaient en phase avec mon goût des réseaux sociaux et de l’innovation.

Le compte rendu de cette séance a été rédigé par :

François BOISIVON