À quelle espèce d’être vivant s’apparentent donc les organisations ? Elles naissent, grandissent et meurent. Elles évoluent et changent d’orientation. Elles sont constituées de différentes fonctions et on leur attribue une tête. Notre anthropocentrisme a peut-être contribué à les faire en partie à notre image. Pourtant, à y bien réfléchir, elles tiendraient plutôt du… canard ou du poulet, si l’on accorde crédit à cette légende qui prête à ces volatiles la capacité à continuer à courir après avoir perdu la tête. Une organisation décapitée ne meurt pas nécessairement, quand bien même la décapitation est radicale, comme ce fut le cas pour cette branche de Lafarge en Algérie dont tous les cadres, égyptiens, furent exfiltrés brusquement. L’entreprise n’avait plus d’encadrement. Elle avait des process défaillants et enregistrait des performances industrielles décevantes. Elle a pourtant été redressée de façon remarquable. Un être vivant qui serait d’une incroyable robustesse.
Robustesse ? C’est tout le contraire que suggère l’attention qu’accorde L’Oréal au processus d’intégration des entreprises dont elle fait l’acquisition. Elles ont beau être de très belles réussites entrepreneuriales, le Groupe a conscience que leur intégration peut conduire à les broyer. Elle exige notamment de combler un fossé culturel et de trouver un nouveau rôle à celle ou celui qui était la tête de l’entreprise acquise.
Si l’on considère l’organisation humaine – nos sociétés – face au défi de la transition écologique, on observe par ailleurs que ce drôle d’animal est, en outre, complexe, ou têtu, ou en tout cas particulièrement difficile à mettre en mouvement. Le constat de l’urgence est largement partagé ; des solutions existent, même si des désaccords peuvent subsister. L’espèce humaine est dotée d’une remarquable faculté d’adaptation, comme elle l’a montré lors de la crise liée à la Covid-19. Malgré cela, les défis de la transition écologique sont toujours devant nous, de plus en plus urgents.
Il faut bien se rendre à l’évidence, les organisations n’ont pas d’équivalent dans la nature. Elles sont un animal bien à part, dont la vitalité repose sur… les racines. Les entreprises présentées dans ce numéro sont confrontées à des défis immenses, qui exigent un travail d’intégration dans leur environnement : Lafarge, pour qui la prise en compte de l’intérêt du peuple algérien a été une clé du redressement ; L’Oréal, qui accorde une attention considérable à l’insertion de ses acquisitions ; mais aussi des entreprises qui s’engagent sur des enjeux fondamentaux – Sanou Koura sur le recyclage des métaux rares contenus dans les produits électroniques, ou SudVinBio dans le monde de la viticulture bio – et dont la difficulté principale est l’insertion dans leur écosystème, un processus long qui nécessite de construire petit à petit mille connexions, racines ou rhizomes.
Les organisations humaines sont, dans l’ordre du vivant, des espèces fascinantes. Leur agilité, leur résilience, leurs courses sans tête nous ont peut-être fait perdre de vue qu’elles avaient besoin d’être étroitement connectées avec leur environnement. L’avoir négligé nous confronte à l’enjeu de la transition climatique. L’organisation suprême, celle de la civilisation humaine, face à son défi absolu : la symbiose.
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