L’entreprise traditionnelle était caractérisée par son étendue limitée dans l’espace et extensive dans le temps. En effet, les entreprises industrielles et commerciales du XIVe siècle et de la plus grande partie du XXe siècle étaient implantées quelque part, leur main-d’œuvre était locale et leur marché borné et relativement stable. Souvent familiales, souvent ancrées dans un environnement naturel cohérent avec leur métier, elles employaient des techniques qui n’évoluaient que lentement.
Certes, on connaissait déjà quelques grandes entreprises, notamment coloniales, qui sillonnaient les mers et plus tard les airs, et des discontinuités spectaculaires ont bouleversé de loin en loin le monde des affaires, comme la machine à vapeur, le chemin de fer, l’électricité ou le téléphone. Mais ce qui était rare en ces temps est devenu la norme de la modernité, caractérisée par deux mots : mondialisation et innovation, c’est-à-dire l’exact contrepoint de la vie des affaires de jadis. Après "ici et pour longtemps", nous sommes entrés dans l’ère du "partout et tout de suite". Les travaux de l’École de Paris du management reflètent cette nouvelle physionomie du monde.
On ne s’étonnera donc pas de trouver cette première catégorie (espace large, temps court) comme la plus amplement représentée dans les travaux de l’année 2007, d’autant plus que mondialisation et innovation sont des impératifs qui se sont considérablement étendus hors du monde des affaires proprement dit.
La combinaison traditionnelle (espace restreint, temps long) est loin d’avoir disparu des espaces politiques, sociaux et culturels, mais elle ne concerne plus qu’exceptionnellement les entreprises.
Deux combinaisons originales enfin jouent encore un rôle non négligeable : celle des crises locales (espace restreint, temps court) provoquées ou subies ; celle des enjeux culturels à long terme (espace étendu, temps long) qui subsistent malgré tout dans ce monde agité.
ESPACES MONDIAUX, TEMPS COURTS
Le feu d’artifice des LBO, aujourd’hui calmé, a occupé une séance (p. 17) : la pression du "cash" y est vue comme un facteur d’efficacité et de cohérence. Le spectaculaire sauvetage d’Alstom a été raconté par son PDG Patrick Kron au cours d’une séance du séminaire Vie des affaires (p. 93), qui fait l’objet d’un excellent DVD disponible à l’École de Paris. L’entreprise Dassault Systèmes conquiert toute l’industrie avec ses logiciels 3D grâce à un rythme d’innovations qui ne faiblit pas (p. 119) (excellent DVD également disponible). L’industrie automobile, aujourd’hui menacée, se préoccupe fébrilement d’innover (p. 175). Les bouleversements sont tels dans les modes de décision que deux praticiens de la finance cherchent dans la psychanalyse des voies pour répondre aux questions qui échappent à la science économique (p. 67).
Des universités américaines s’organisent pour encourager les innovations de leurs chercheurs et en tirer parti (p. 143). Des PME de la région Centre s’évadent de leur enclavement en conquérant le monde (p. 275). Celio, dans les vêtements (p. 377), VIA dans l’ameublement (p. 355), Pixar Ratatouille (p. 385) et EuropaCorp Luc Besson (p. 369) dans le cinéma, Bénédict Beaugé dans la cuisine (p. 417), de dynamiques consultants (faberNovel) (p. 103), Google, qui existe depuis à peine dix ans (p. 127), LTU Technologies (p. 135), Minalogic à Grenoble (p. 323) se maintiennent vivants et prospères comme tiennent en équilibre les vélos : en fonçant sans faiblir.
Des producteurs américains d’électricité puisent des idées salvatrices dans l’exemple français d’EDF, pendant que des Français vivent des expériences roboratives chez leurs partenaires américains (p. 159). Les pays émergents s’engouffrent sans complexe dans les brèches des marchés mondiaux (p. 111 et p. 451), en particulier les Chinois (p. 437). Ceux qui ont des réserves de pétrole ou de gaz découvrent qu’ils peuvent en user comme moyen de marchandage, et la tempête fait rage sur les marchés pétroliers (p. 427).
ENJEUX LOCAUX, VISÉES À LONG TERME
Si les vertus et les ambitions des entreprises traditionnelles, qui voyaient loin, n’apparaissent plus guère dans la vie des affaires, elles sont toujours à l’honneur dans des organisations à but non lucratif : des États, des régions, des villes, des syndicats, des établissements d’enseignement supérieur, voire des clubs sportifs.
C’est ainsi que le séminaire Vie des affaires s’est penché sur l’exemple de la Suède, si souvent exploité comme source d’inspiration pour la France, qui a su faire face à un choc économique majeur en s’appuyant sur son identité ancestrale (p. 59). Une initiative géniale du photographe Reza, la création de l’ONG Aïna destinée à sauver la culture populaire de l’Afghanistan, a été examinée au cours d’une séance qui a marqué les participants (p. 249). Le développement d’une région du Québec a été relancé grâce à l’action vigoureuse d’universitaires locaux (p. 299), une aventure analogue est racontée à propos d’un cluster proche de Toronto, dans laquelle des autorités locales avaient vu loin dans les années 60 (p. 329) ; les fondateurs de l’Association française contre les myopathies (AFM) veulent de même développer avec le pôle Medicen un projet ambitieux pour valoriser les atouts de la région francilienne en matière de biotechnologie et d’innovations thérapeutiques (p. 315) ; les enjeux généraux des pôles de compétitivité en France ont été discutés à deux reprises (p. 307 et 459). L’avenir de Paris a été envisagé au cours d’une séance (p. 259), et celui de Marseille dans une autre (p. 335).
La gestion de la ville du Chesnay a été racontée (p. 77), ce qui a mis en évidence les enjeux de long terme qu’il faut pouvoir prendre en charge malgré le temps d’un mandat municipal. Une séance a montré comment une politique du stationnement automobile peut être une arme pour agir sur la circulation et la pollution dans les villes (p. 201). La Poste, quant à elle, se soucie de se moderniser pour faire face à la libéralisation des marchés et à une concurrence toujours croissante, tout en étant attentive à son rôle dans l’aménagement du territoire (p. 267). Une expérience d’agriculture ultra-technologique en Champagne berrichonne (p. 291) ouvre l’espoir d’une posture solide face aux marchés mondialisés.
La multiplication des retraités, leurs revenus et leur relative bonne santé posent de vrais problèmes d’aménagement du territoire (p. 283). Le syndicalisme français, de son côté, pense urgent de dépoussiérer ses méthodes (p. 445), les notaires sont amenés à repenser leur rôle (p. 25), les architectes français s’interrogent sur la pertinence des concours (p. 193), d’audacieux artistes ambitionnent de développer la création numérique à partir du Cube à Issy-les-Moulineaux (p. 361), et il n’est pas jusqu’au football pour se mettre à des méthodes de gestion d’avant-garde (p. 345 et 393). Les éditeurs de livres, de leur côté, voient dans les modes modernes de distribution une réelle menace pour leur métier et celui de libraire (p. 409).
Enfin, Sciences Po développe une action méritoire auprès des jeunes défavorisés (p. 225).
ENJEUX MONDIAUX, VISÉES À LONG TERME
Des institutions internationales se soucient de moderniser leurs approches de l’avenir de la planète et de l’humanité : l’ONU (p. 209), l’OCDE (p. 241) et l’Union Européenne (p. 33). Des initiatives privées se préoccupent d’enjeux analogues, ainsi Alter Eco en matière de commerce équitable (p. 217).
L’organisation nouvelle de la vie des affaires a fait l’objet d’un débat portant sur la fusion d’Euronext et du New York Stock Exchange (p. 51).
Enfin, il reste des entreprises suffisamment pérennes dans leurs produits, leurs marchés et leur culture pour maintenir en les modernisant les vertus des affaires traditionnelles : Danone (p. 85), Air Liquide (p. 151) et le Belge Solvay (p. 167).
On peut encore classer dans cette rubrique des sujets culturels transversaux comme les aberrations de la signalétique sur les articles de grande consommation (p. 43), et l’émouvante saga des manchots de l’antarctique dans le film La marche de l’empereur (p. 401).
ENJEUX LOCAUX ET URGENCE
Deux réunions ont traité de situations d’urgence difficilement classables, mais reflets l’une et l’autre de préoccupantes retombées de la modernité : les leçons du cyclone Katrina qui a dévasté la Nouvelle Orléans en août 2005 (p. 233), et le sort des SDF des grandes villes, encombrés de leurs bagages, pour lesquels une bagagerie biquotidienne a été instituée à Paris (p. 185).