Parmi tous les programmes d’intrapreneuriat lancés ces dernières années par les entreprises françaises, le Michelin Innovation Lab est l’un des plus aboutis. Fort d’une expérience d’une dizaine d’années, il a accompagné plusieurs centaines de collaborateurs et se distingue par sa gouvernance et ses résultats. Il est aujourd’hui un des piliers des nouvelles ambitions de diversification de Michelin. Cette aventure marque une certaine revivification de la culture entrepreneuriale d’une grande entreprise internationale centenaire.

Exposé de Marc Evangelista


J’ai rejoint Michelin en 1988, après y avoir effectué un stage durant mes études d’ingénieur, et j’y ai réalisé toute ma carrière. J’y ai occupé une large palette de fonctions dans différents pays, depuis le bureau d’études de mes débuts jusqu’au Michelin Innovation Lab (MIL), le laboratoire d’innovation de Michelin, que je dirige depuis sept ans, mais qui a été créé dès 2014 – il fêtera donc ses 10 ans cette année. Parallèlement à cette expérience d’intrapreneur à travers le MIL, j’ai écrit quelques livres et articles sur le sujet, dont L’Intrapreneuriat, un défi pour les grands groupes, publié en 2021.

À la racine de la décision de créer le MIL, il y avait l’idée, bien présente dans l’esprit des dirigeants du Groupe, que cet objet rond et noir que nous appelons un pneu ne suffirait peut-être pas à assurer à lui seul la rentabilité de Michelin dans les années, les décennies à venir. Fondée en 1889 par les frères André et Édouard Michelin, l’entreprise se devait d’explorer de nouveaux territoires. C’est dans cette perspective que la direction du Groupe a commencé par lancer un immense appel à idées, adressé à l’ensemble des salariés de la maison, sur tous les continents où elle est présente. Il y a eu beaucoup d’appelés pour peu d’élus ! Cette première initiative nous a amenés à réfléchir à une meilleure façon de procéder.

Grands groupes versus start-up

Trésorerie, process et prise de risque

Si nous voulions, nous, grande entreprise plus que centenaire, nous mettre efficacement en quête de nouveaux marchés, il nous fallait le faire à la manière dont se lance et opère une start-up, avec agilité et ambition – tout “start-uppeur” rêve peu ou prou de réinventer le monde ! « Au fond, nous sommes-nous demandé, qu’est-ce qui distingue une multinationale comme Michelin d’une start-up ? » La taille, certes, mais cette question de la taille nous renvoie à celle de la trésorerie. En effet, c’est bien le manque de revenus et, par conséquent, de trésorerie qui empêche une start-up de grossir comme elle le voudrait, mais aussi les process, qui sont embryonnaires dans une start-up, tandis qu’ils structurent et irriguent les grands groupes – depuis cent trente-cinq ans que nous fabriquons des pneus, nous savons comment faire, nous maîtrisons les multiples process que cela implique ! Enfin, les grands groupes sont par nature beaucoup moins enclins à la prise de risque que ces chevau-légers de l’économie que sont les start-up.

Reprenons point par point les trois éléments de cette triade – trésorerie, process et prise de risque. Dans une start-up, dont les maigres moyens ne permettent pas de faire plusieurs choses en même temps, le célèbre adage “le temps, c’est de l’argent” prend un sens bien particulier, et très concret : toute action que l’on choisit d’entreprendre se fait au détriment d’autres actions potentiellement plus heureuses. Pour le dire autrement, chaque décision a un impact direct sur la trésorerie, et cette caractéristique de fond explique que le mode de pensée des start-uppeurs soit si dissemblable de celui des dirigeants de grands groupes. L’omniprésence des process dans ces derniers constitue une autre différence tout aussi cruciale. En effet, lorsqu’un grand groupe met en œuvre un projet, il commence par réaliser un cahier des charges ; sur le long chemin conduisant du cahier des charges initial à la mise en œuvre, l’échec n’est pas une option, car les échelles en jeu font que cet échec aurait forcément des conséquences catastrophiques. Très différente est l’approche du start-uppeur, qui ne s’embarrasse pas de cahier des charges, mais commence par produire à toute petite échelle, afin de tester son produit et de recueillir les réactions qu’il suscite. La symétrie est remarquable : d’un côté, il y a un échec qui ne peut être que désastreux, on met donc tout en œuvre pour l’éviter ; de l’autre côté, nous trouvons une somme de petits échecs non tant redoutés que recherchés, car eux seuls permettent d’apprendre, par essais et erreurs. Quant au troisième élément de la triade, je ne m’étendrai pas longuement dessus : il est clair que la prise de risque est beaucoup plus grande pour les start-up et leurs fondateurs que pour les grands groupes et leurs salariés.

Exploitation et exploration

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