Un slogan fait fureur: “Il faut investir sur les hommes”. Tel patron conclut une leçon de management par sa conviction que la plus grande richesse de son entreprise, ce sont les hommes et les femmes qui la composent. Pour tel gourou, les entreprises qui gagnent sont celles qui jouent la confiance envers leur personnel. Et les auditoires sont conquis par des propos qui répondent si bien à leurs attentes.
D’où viennent alors la morosité ambiante et les crises de confiance envers l’entreprise? D’une duplicité des patrons qui pratiqueraient un double discours ? Ce n’est pas ce que j’observe: la plupart pensent vraiment que les hommes sont des facteurs essentiels de richesse et s’efforcent d’assumer cette conviction. Mais comment investir sur les hommes quand l’horizon est sans cesse changeant et les marchés versatiles? Comment concilier les lois de la concurrence et la continuité des relations qui crée la confiance? Ce sont de vrais défis aujourd’hui. Voyons cela à la lumière de ce numéro.
Les fusions et acquisitions se multiplient, bien qu’on reconnaisse que ce sont souvent des échecs. Pour Matthias Kipping, qui étudie les fusions avec l’œil de l’historien, les échecs tiennent à des problèmes de personnel occultés par la tyrannie des critères financiers. Quand le périmètre des entreprises se modifie sans cesse, les hommes peinent à trouver leurs repères s’ils ne sentent pas que ces opérations sont menées en prenant en grande considération l’histoire et les traditions de leur entité d’appartenance.
Une idée fait largement consensus : il faut juguler l’augmentation des dépenses de santé. Mais comment concilier cet impératif tout en répondant aux attentes des praticiens hospitaliers, dont la passion et le dévouement conditionnent la qualité des soins? Gérard de Pouvourville montre, à propos des réformes hospitalières en cours, combien il est difficile de concilier la froide logique de la gestion et les stimulants de la vocation.
Les campus Veolia sont un investissement d’une rare ampleur dans la formation des hommes et leur valorisation. Pourtant, Hilaire de Chergé le rappelle, le projet a surpris en interne par son ambition et déconcerte dans les pays étrangers où Veolia est implantée. On peut y voir un effet vertueux d’une contrainte de management: si les métiers “verts” étaient nobles vus de loin, ils étaient en fait ingrats et mal valorisés, et Veolia a mis les grands moyens pour changer cette perception et attirer des candidats dans des métiers essentiels pour son développement.
Soutenir une start-up, c’est investir sur un homme, ou une petite équipe: on ne comprend pas bien ce qu’ils veulent faire, et l’on cerne mal les difficultés qu’il leur faudra surmonter. Quelle est la fiabilité de la méthode utilisée par David Vissière comme moyen de guidage ? Des experts s’interrogent, mais sa conviction, son savoir-faire expérimental et sa séduction lui ont permis de convaincre des investisseurs. La suite dépendra bien sûr de ses réussites techniques et commerciales, mais aussi de la façon dont ses financeurs pèseront leurs risques financiers et leur affection pour sa personne et son projet.
De la comparaison entre chef d’entreprise et chef d’orchestre, Michel Podolak tire des suggestions pour le patron: investir dans la création d’une “partition” constituant un objectif commun aux membres de l’entreprise, le décompte des bénéfices annuels ne faisant pas rêver; instaurer une attitude d’écoute et de respect sans concession. Plus inattendu, commencer et finir les réunions à l’heure, en entrant dans le sujet dès le début: la rigueur d’organisation est, pour lui, la condition de l’écoute et du respect mutuel qui font les belles performances.
Finalement, s’il est difficile de s’engager matériellement quand l’avenir est imprévisible, organiser des relations dans lesquelles s’échange de la considération est peut-être le meilleur investissement pour affronter un monde turbulent.