On vante aujourd'hui les vertus des décloisonnements de toutes sortes : entre métiers, entre disciplines, entre pays. Ce faisant, on met en présence des protagonistes qui n'agissent ni ne raisonnent pareillement. Manager les différences est un enjeu majeur de la gestion d'aujourd'hui. Cela suppose d'être attentif aux manières de voir et de faire des autres et d'inventer des façons ajustées de coopérer. Ce numéro illustre diverses configurations de ce jeu des différences.
Les Suédois nous seraient proches, à en juger la façon dont on nous vante les vertus du modèle suédois. Mais après avoir lu Pierre Forthomme, on comprend combien ce modèle est enraciné en profondeur dans une tradition différente de la nôtre, et qu'il vaut mieux se penser très différents pour chercher, en tâtonnant, des façons d'accorder nos manières. Ce ne sont sans doute pas les anciens de Renault-Volvo qui me contrediront.
À l'ONU, on sait en revanche qu'il faut tenir en grand respect les différences. Cela conduit à des arabesques diplomatiques qui énervent les gens épris d'efficacité. Mais comment faire pour n'imposer à aucun puissant ce dont il ne voudrait pas ? En créant un droit de veto. Comment prendre des décisions sans mettre en porte-à-faux un des pays membres ? En discutant longuement, voire en ne prenant pas de décision. À quoi sert alors l'ONU ? On verra les réponses subtiles de Stéphane Hessel.
Avec le rachat d'Euronext par le New York Stock Exchange, les Américains, qui se moquent des différences quand il s'agit de business, vont mettre sous leur joug nos entreprises, ponctionner nos richesses et menacer nos emplois. Telles ont été des prophéties lancées sur la place publique. Mais si les maîtres du NYSE avaient le souci d'exploiter les différences, justement parce que la Bourse est une affaire sérieuse, et s’ils découvraient ainsi les vertus des systèmes des autres, les préservaient, voire même s'en inspiraient ? Cette hypothèse n'est pas invraisemblable à lire Sylvain de Forges et André Lévy-Lang.
Négocions, négocions, plutôt que de laisser l'État légiférer ! On a souvent entendu cette invocation pendant la campagne électorale. Mais Christian Larose, Jean-Luc Placet et Guy Groux montrent combien notre système de dialogue social est usé, avec ses représentants qui ne représentent plus et ses petits arrangements qui poussent au statu quo. Pourtant, les écarts de situations sociales s'accentuent avec la pression de l'économie, et il serait urgent de mettre sur pied un mode de négociation légitime et efficace face à ces différences qui se creusent.
Mélanger ceux de Saint-Denis avec ceux d'Auteuil, Neuilly, Passy vous n'y pensez pas ! Sciences Po va renier sa tradition et dégrader son image en tordant ses modes de recrutement ! On allait à la rencontre de différences extrêmes en recrutant dans les zones défavorisées et Cyril Delhay explique combien fut délicate l'invention de nouveaux modes de repérage et de sélection. Pourtant ces recrues sont devenues des membres à part entière de la tribu des Sciences Po, sans renier pour autant leurs origines. Les différences n'étaient pas irréductibles.
Certains se croient proches et découvrent, parfois dans la douleur, combien ils sont différents. D'autres au contraire se savaient très différents et s'émerveillent de coopérer. Contrairement à ceux de la Tour de Babel qui rêvaient de construire jusqu'au ciel en parlant tous la même langue, les hommes devraient admettre qu'ils sont tous uniques et rêver de coopérer sans renier leurs identités.