Avant l'âge classique, dit Michel Foucault dans Surveiller et punir, le pouvoir s'affichait pour s'imposer. On suppliciait en public, on exhibait les forçats sur les routes. Mais c'était plus un signe de faiblesse que de force. Les enfants s'amusent d'ailleurs depuis 1795 de voir que Guignol n'a pas très peur du gros bâton du gendarme. C'est alors qu'apparut un mode plus économique d'exercice du pouvoir, en rendant visibles ceux qu'on voulait contrôler et en mettant en coupe réglée leur temps et leurs mouvements. Comme le rappelle Claude Riveline dans la page Idées de ce numéro, cette nouvelle forme de discipline a touché toutes sortes d'institutions. Dans le management cela a abouti à la bureaucratie, au taylorisme et au fordisme, qui ont engendré de prodigieux progrès matériels.
Mais le passage de la pénurie à l'abondance a mis à mal ce rêve. Le fordisme avait fourni des méthodes pour faire travailler efficacement des gens peu formés et pas très motivés quand la demande excédait l'offre. Mais en situation d'abondance, où la concurrence est féroce, les obsessions sont d'innover, de libérer les énergies, d'aller toujours plus vite. L'ordre ancien engendre trop de rigidités et on démantèle les bureaucraties. Il ne faut même point trop d'ordre pour que les affaires prospèrent. De plus, l'économie envahit le social, car chacun a tendance à se définir par le rôle qu'il a, a eu ou projette d'avoir dans la vie économique. Mais l'économie ne connaît que les vainqueurs, ce qui explique les violences de toutes sortes qu'on observe avec la multiplication des exclus. Comment concilier les nouveaux impératifs économiques et la paix sociale ? Les articles de ce numéro permettent d'y réfléchir.
Les centres d'appels téléphoniques étudiés par Jean-Baptiste Stuchlik sont organisés selon les bonnes vieilles méthodes du taylorisme ; pour Emmanuel Mignot, c'est adapté à l'état actuel du marché, aux rotations rapides du personnel et cela permet de faire travailler des personnes de milieux ruraux ; mais des réactions, comme celles de Martine Zuber, illustrent que ce n'est plus dans l'air du temps, surtout quand on recrute des Bac+4 pour ce nouveau métier.
La prison d'aujourd'hui ne ressemble plus à celle décrite par Michel Foucault : on y favorise des vies collectives et les témoins autour de Franck Chaigneau montrent que les acteurs du monde carcéral se nourrissent de l'espoir de réinsérer les détenus dans la vie sociale. Mais avec quels effets au juste ?
La biogénétique fascine et fait peur. Si elle permet d'envisager de fécondes récoltes et des profits considérables, elle fait aussi redouter les transgressions de l'ordre naturel. Jean-Christophe Gouache explique comment Limagrain, au départ petite coopérative de Limagne, s'est développée au rythme des découvertes scientifiques et comment la sagesse paysanne - ou les astucieuses procédures des coopératives - lui ont permis de résister aux tentations des montagnes de dollars proposés par les Américains.
Avec la mondialisation, les crises financières sont toujours plus imprévisibles et inévitables, dit Pierre-Noël Giraud. Même si Alain Bokobza et Christian de Boissieu se veulent plus rassurants, on a vu ces derniers temps survenir des crises dévastatrices. Cela a fait naître le désir d'une nouvelle régulation de la finance. Mais quel ordre peut-on instaurer au niveau mondial, alors même que l'affaire Enron vient de montrer que les acteurs économiques n'étaient pas très impressionnés par le gros bâton du gendarme de la Bourse américaine ?