Pour l’agence Start-Rec, la création de musique pour véhiculer un imaginaire, autour d’une marque, d’une émission, d’un film ou d’un événement, consiste non pas à souligner un propos, mais à montrer l’invisible. Y parvenir implique de comprendre les attentes parfois informulées des clients et à éviter de tomber dans l’écueil du “à la manière de”. Pour ses musiciens, cela suppose de dépasser la dimension intuitive de la composition pour y introduire une dose de rationalité et d’accepter de devenir des mercenaires travaillant à la commande.
Exposé d’Alex Jaffray
Si une image vaut mille mots, je suis convaincu qu’un son vaut mille images. Songez à la première musique d’Ennio Morricone qui vous vient à l’esprit : immédiatement surgissent une ambiance, des paysages, des “trognes”... Pour ma part, c’est la bande-son du Casse – l’un des quatre disques que possédaient mes grands-parents, chez qui j’ai grandi – qui a servi de révélateur : j’avais beau ne jamais avoir vu le film, je percevais un suspense ludique, des personnages goguenards. Comment, avec quelques notes, pouvait-on susciter un tel imaginaire et une telle émotion ? De là vient mon désir de faire de la musique, non pour devenir une rock star, mais pour sublimer des images.
C’est ainsi que j’ai cofondé, il y a vingt ans, l’agence Start-Rec, avec Domitille Mahieux et Gilles Facérias. Cette agence crée et produit des musiques pour le cinéma et la publicité et, surtout, des identités sonores de marques – nous avons travaillé pour Renault, Alstom, BNP, France 2, TF1, EDF, L’Oréal et bien d’autres.
Imaginaires musicaux
Avant même d’être nés, vous et moi avons tous entendu le même premier son : le cœur battant de notre mère. Nous avons exercé notre ouïe avant l’odorat et le toucher. Aussi le son et la musique renvoient-ils au plus profond de notre âme. Remontons le temps : comment pouvait sonner le premier instrument ayant résonné sur terre ? L’archéologie laisse penser qu’il y a 40 000 ans, alors qu’ils faisaient rôtir un vautour, des hommes de Cro-Magnon ont eu l’idée de souffler dans une patte du volatile. Le bruit n’étant pas tout à fait à leur goût, pour en moduler la tonalité, ils ont percé quelques trous supplémentaires dans l’os, en plus de ceux qu’y avaient laissés les incisives d’un loup. Ce fut le premier appeau, la première flûte, et, peut-être, l’origine de la musique.
Montrer l’invisible
En Occident, la musique s’est construite sur deux harmonies principales : l’harmonie majeure, ensoleillée, positive et volontaire, et l’harmonie mineure, qui évoque, pour moi, l’image d’un joli petit chaton... passant de vie à trépas.
Un simple changement d’harmonie peut transformer une bluette en drame : le fameux thème du Parrain en mode mineur, annonciateur d’une tragédie, était à l’origine un air assez guilleret, en mode majeur, composé par Nino Rota pour le film Fortunella. [https://www.youtube.com/watch?v=YWGYsINCl8c] De même, le thème sautillant qui illustre les publicités des collants Dim depuis 1970 était, à l’origine, un air triste et lent de Lalo Schifrin, joué à la flûte en sol pour le film The Fox. [https://www.youtube.com/watch?v=AlzUfzOl2kQ]
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