*Il faut qu’une belle porte soit d’abord une porte. Si un siège n’est point fait pour qu’on y soit bien assis il ne sera jamais beau. L’utile va toujours devant et l’artiste est d’abord artisan... Le beau ne fleurit que sur l’utile.
Alain*
Le bel objet, le beau projet, le bel exemple : avoir quelque chose de beau à montrer ou à raconter est une puissante source de motivation. Se cantonner au registre de l’efficacité ou de l’utilité paraît en revanche petit, dans notre culture en tout cas. Barenton disait que la gestion, c’est de grands efforts sur de petites choses, mais ce n’est pas ainsi qu’on attire nos brillants esprits vers l’art du management : il leur faut du panache. L’obsession d’esthétique peut cependant faire perdre de vue la question de l’utilité ou de l’efficacité, les exemples abondent.
Les articles de ce numéro proposent quatre variations sur l’art de concilier esthétique et management.
Le viaduc de Millau est de ce point de vue une réussite absolue. Cet ouvrage osé et élégant trouve une harmonie avec la beauté sauvage du site où il est érigé. Il a été construit dans une rare connivence entre bâtisseurs et habitants de la ville. Il a éradiqué d’horribles bouchons automobiles, ressuscité la ganterie de Millau, relancé la fromagerie de Roquefort, créé de nouvelles activités économiques et culturelles. Comme Jacques Godfrain est de plus un conteur passionnant, la séance relatée dans cet article a été un pur moment de grâce.
Les projets de tramway plaisent aujourd’hui, au point d’être des leviers essentiels de restructuration des villes. Mais les travaux horripilent les habitants et les commerçants, menaçant la réélection des maires, et les succès supposent une profonde modification des transports et du tissu économique, ce qui entraîne d’harassantes négociations. On verra que Jean-Marie Bockel s’est soucié au plus haut point de management pour faire naître le beau tramway de Mulhouse.
Les élections à la mairie de Romainville en 2001 commencent comme une belle histoire. Des citoyens volent au secours de la maire sortante, abandonnée par son parti, et sont portés au pouvoir : ils vont réaliser leur idéal démocratique ! Mais ils ne se soucient pas assez de management, se contentant de principes comme celui de chercher à se convaincre plutôt que de voter. Stéphane Weisselberg explique comment cela a mis à mal ces beaux projets et les leçons qu’il en tire pour le futur.
Michel Hervé se soucie lui aussi de démocratie. Tellement même qu’il a pris sa propre entreprise comme terrain d’expérimentation pour élaborer patiemment ce qu’il appelle une ingénierie de la démocratie. Son œuvre accomplie, il la soumet au jugement d’un chercheur comme Alain d’Iribarne, invité à exposer publiquement ses critiques. Cela ne relève alors plus seulement de la conduite d’un projet managérial, mais aussi d’un travail d’artiste.