Dans la famille Pic, trois générations de chefs ont conquis à tour de rôle trois étoiles au Guide Michelin. Depuis vingt ans, la cheffe Anne-Sophie Pic et son mari, David Sinapian, ont engagé le groupe familial dans un développement important et international. La créativité d’Anne-Sophie Pic nourrit les activités des restaurants du Groupe, dont elle élabore les cartes, ainsi que ses développements. L’entreprise a adapté son organisation pour la conserver en son centre, tout en protégeant sa créativité.
Exposé de David Sinapian
Raconter l’histoire de la Maison Pic
Une histoire familiale : les trois premières générations
La Maison Pic, peu à peu devenue un groupe, en est à sa quatrième génération de chefs avec Anne-Sophie Pic. Tout démarre en 1889 avec son arrière-grand-mère, Sophie Pic, qui, sans le savoir, en imaginant un bistrot de campagne pour chasseurs à Saint-Péray dans les hauteurs de Valence, crée une dynastie de cuisiniers. Son fils, André, apprend d’abord auprès d’elle, fait un tour de France des grands chefs, prend sa suite et décroche deux, puis trois étoiles au Guide Michelin en 1933 et 1934, devenant ainsi l’un des premiers chefs à obtenir cette reconnaissance. L’histoire de la famille Pic jalonne celle du Guide Michelin : ce guide, fondé en 1900 pour faire la liste des stations-services et hôtels, commence alors tout juste à distribuer des « étoiles de bonne table ».
Le hameau du Pin, où se trouve l’auberge, compte à cette époque une quinzaine d’habitants et, dès l’obtention de cette distinction, le monde entier afflue sur les petites routes sinueuses qui permettent d’aller goûter la cuisine d’André Pic. C’est un périple d’une demi-journée à l’aller, une autre au retour, on crève un pneu à chaque coup… c’est dire l’attractivité de la table !
Après la seconde guerre mondiale, Jacques, le fils d’André, se prépare à succéder à ce dernier. Au moment de la reprise par sa femme et lui, en 1957, la Maison a des difficultés économiques et a perdu deux étoiles. Ils s’ingénient à les reconquérir et y parviennent, retrouvant la deuxième en 1966 et la troisième en 1973. Durant les vingt années suivantes, âge d’or de la gastronomie française, qui rayonne dans le monde entier, le restaurant prospère et Jacques Pic, comme d’autres grands chefs, sort de ses cuisines et voyage pour s’inspirer.
Des débuts inattendus et difficiles
Au début des années 1990, Anne-Sophie et moi sommes étudiants en école de commerce, et rien ne nous destine à la gastronomie. Elle, qui a grandi au-dessus des cuisines, n’y voit que contraintes et problèmes ; moi, fils de coiffeur et petit-fils d’immigrés arméniens, je m’imagine plutôt dans la finance. Lors du stage de fin d’études d’Anne-Sophie chez Moët Hennessy, au cours d’une discussion, son maître de stage la félicite d’envisager une carrière dans le luxe et se risque : « Mais savez-vous que vous êtes déjà, vous-même, à la tête d’une marque, et d’une très belle ? » Le déclic se fait et elle décide d’aider ses parents à développer le restaurant. Malheureusement, quelques mois seulement après son retour à Valence, Jacques décède brutalement. Elle décide, pour se sentir proche de lui, de rejoindre, pour un an, les cuisines et d’y apprendre les rudiments du métier.
Lorsque je la retrouve, en 1993, nous nous remémorons nos discussions avec son père et son intuition d’alors : la haute gastronomie, surtout en régions, se trouvait à un tournant et risquait de connaître des difficultés du fait de nombreux changements de conjoncture. Pour équilibrer nos comptes, apporter un complément d’activités et toucher une nouvelle clientèle, nous nous attelons à un projet d’hôtel et de bistrot. Malheureusement, alors que nous sommes en discussions avec les banques, le restaurant perd sa troisième étoile. En deux ans, en plein projet de développement, le chiffre d’affaires est divisé par deux : c’est un beau cas pratique pour deux étudiants qui sortent d’école de commerce ! L’équipe, unie contre vents et marées, tient bon. En 1997, nous parvenons à ouvrir l’hôtel et un premier bistrot baptisé l’Auberge du Pin.
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