Dans un dessin du Monde cet été, Plantu montre des immeubles de sociétés prestigieuses comme Enron ou Worldcom s'écrouler, et deux Arabes dire : " C'est décourageant, ils font cela tout seuls maintenant ". À quoi tiennent les désastres dont est nourrie l'actualité des affaires ? " Ils sont le fait de patrons incompétents ou d'escrocs ", entend-on. C'est une explication qui rassure à bon compte sur la possible maîtrise du système. Après tout, ces décideurs avaient les meilleurs diplômes et jouissaient de l'estime de leurs pairs. Des absurdités faites par des gens compétents, comment est-ce donc possible ? Les articles de ce numéro donnent des éclairages sur la question.
Christian Morel, auteur du livre à succès Les décisions absurdes, montre que l'absurdité est une des choses les mieux partagées : des ingénieurs, des pilotes d'avion, des managers, même des copropriétaires, sont capables de s'enferrer dans des erreurs radicales et persistantes. Elles viennent de fautes de raisonnement, d'interactions qui échappent aux protagonistes ou de pertes du sens. Dans un monde toujours plus interconnecté et où tout court toujours plus vite, il n'est pas étonnant que les décisions absurdes prospèrent.
Autre absurdité dont les pays développés souffrent : mesurer la richesse d'un pays à son PIB. Patrick Viveret s'est attaché à remonter aux racines du mal pour proposer des remèdes. Mais, si on admet que le PIB est un mauvais indicateur, la mise en place de dispositions alternatives n'avance guère. On en vient même à dire que c'est le pire des systèmes à l'exception de tous les autres. La tolérance collective à l'absurdité est parfois étonnante.
Aujourd'hui, la cause est entendue : la nouvelle économie était un mirage. Ceux qui ironisent aujourd'hui étant toutefois souvent les mêmes qui célébraient hier une révolution, on voit qu'on peut se tromper. Bernard Gautier explique comment les capitaux-risqueurs ont oublié leurs bons principes : en période d'emballement collectif, la démarche la plus rationnelle est de faire comme les autres. On peut donc faire des folies de manière très logique.
Si Gérard Berry, chercheur en informatique avait dit en 1985 que sa préoccupation était de savoir comment programmer la manœuvre de Tintin et Tournesol pour sauver le capitaine Haddock sorti de la fusée qui les emmenait vers la lune, il n'aurait guère trouvé d'appuis. Et pourtant … Quand, couvert de reconnaissances académiques, il s'associe à Éric Bantégnie pour créer une entreprise, on leur a dit que c'était folie, à quoi ils répondaient qu'il serait déraisonnable de ne pas exploiter leurs découvertes. Les innovations sont des folies raisonnables, il est ensuite un peu facile de vilipender ceux qui ont échoué.
Vous voudriez que tout soit sous contrôle ? Ce n'est pas très réaliste, quoiqu'en prétendent les livres de management. Claude Riveline avance au contraire dans sa page Idées que, puisqu'on n'est jamais sûr que les choses marchent, le management ne devrait pas se résumer à de froides techniques mais tirer parti de tout ce qui nourrit la réflexion sur la condition humaine.