La France vouée à la désindustrialisation, la high-tech dominée par la Silicon Valley et nos entrepreneurs condamnés à s’écraser devant ses champions, l’édition traditionnelle menacée par le numérique et les géants américains de l’internet, les habitants des quartiers défavorisés promis à un avenir étriqué dans lequel l’entrepreneuriat n’a pas droit de cité, les femmes d’une région industrielle dévastée sans autre perspective que celle du chômage…
Faut-il être Don Quichotte pour vouloir lutter contre ces moulins-là ? Fatalité n’est pas réalité ! Comme acceptation d’un avenir préécrit, la fatalité n’est pas… une fatalité, à condition de ne pas refuser l’avenir, mais de le réinventer. À la réindustrialisation qui évoque un retour vers le passé, Joseph Puzo préfère le terme de néo-industrialisation, « qui laisse entendre que l’on va chercher à réinventer l’industrie ». C’est ce qu’il s’emploie à faire depuis trente ans avec Axon’, PME de production de câble installée à Montmirail dont il a contribué à faire un fournisseur de solutions d’interconnectique international opérant entre autres pour la NASA. Cette mutation, succession de montées en gamme, a révélé un art de la débrouille, exercé par exemple pour répondre aux difficultés de recrutement.
L’édition traverse une période de mutations considérable, et périlleuse. Plutôt que d’accepter un sort funeste, les fondateurs de la maison d’édition Versilio prennent le numérique à bras-le-corps. Loin de se recroqueviller dans une attitude défensive, ils interrogent l’avenir de l’édition, en réaffirmant les fondamentaux du métier. Chez Versilio, pas de livre papier, mais un travail d’éditeur considérable, appuyé par la prise en compte de la dimension numérique très tôt dans le processus. La maison affirme ainsi une originalité dans son modèle et son mode de fonctionnement. Elle s’efforce de réinventer l’édition à l’ère du numérique.
Carmen Colle aussi se bat contre la fatalité, en proposant aux femmes de la région de Lure, en Franche-Comté, de créer leur emploi. Avec des femmes sans qualification, immigrées ou françaises, dans un bassin industriel dévasté, elle a bâti, contre vents et marées, contre la cruelle réalité du monde de la haute couture, une entreprise de la maille tournée vers le haut de gamme et le luxe.
Et l’aventure de Pierre Gattaz, à la tête d’une entreprise familiale devenue en une vingtaine d’années fournisseur unique de Boeing pour des produits de haute technicité, illustre aussi le refus de la fatalité. À tel point, dit-il, que pour garder une usine en France aujourd’hui, il faut être un saint ou un fou.
Comme Carmen Colle face à Chanel, Boris Golden s’est retrouvé dans la position impossible de David contre Goliath. Pour sa start-up, il s’agissait de ne pas se laisser tuer par le géant LinkedIn. L’histoire, qui s’est bien terminée, met en scène avec beaucoup de modestie et de maturité la vraie vie des jeunes entrepreneurs qui cherchent à réinventer l’avenir. La leçon qu’il en tire est que l’avenir, s’il n’est pas préécrit, ne se préécrit pas non plus. Dans les aventures de ce numéro, réinventer l’avenir suppose un art du rebond, une recherche d’excellence, et une grande humanité. Si leurs acteurs ont la folie et la sainteté – ou la noblesse – de Don Quichotte, ils ont en plus un sens aigu de la réalité.