Le management a soif d’universel mais les réussites se fondent sur l’affirmation de singularités.
Le management est en quête d’universel lorsqu’il se veut science calquée sur le modèle de la physique : on fait comme si les mêmes lois pouvaient être à l’œuvre partout et la bonne gestion relever d’outils et de méthodes universels. Mais si un électron est le même à Paris, New York ou Tokyo, les problèmes de management ne s’y résolvent pas de la même manière, ce qui met en cause l’analogie avec la physique.
Le management est aussi en quête d’universel lorsqu’il se veut pratique mondialisée. Les managers, les consultants, les professeurs de business schools, volent d’un pays à l’autre en fréquentant des aéroports et des hôtels qui se ressemblent. Ils rencontrent des gens différents mais abordent avec eux des problèmes semblables en leur parlant en “globish” (Don’t speak english, parlez globish, Jean-Paul Nerrière, éditions Eyrolles, 2004).et en s’appuyant sur des chiffres. On définit de même des best practices, et les business schools fondent leurs enseignements sur des cas et des problèmes stylisés sans localisations précises.
Pourtant les réussites se fondent sur des ancrages très locaux. Elles supposent en effet de concilier le talent et une énergie hors du commun. La source de l’énergie est l’affirmation de soi, sa reconnaissance par son milieu environnant. Quant au talent, il se forge par des apprentissages et des expériences contingents aux milieux dans lesquels on a vécu, de sorte qu’on n’est jamais meilleur que lorsqu’on se fonde sur ses traditions locales, comme l’explique Claude Riveline dans sa page Idées.
Les articles de ce numéro illustrent la tension entre l’universel et le local.
Lorsque le Norvégien Jørn Eriksen fonda son entreprise de projection, peu croyaient qu’il pourrait être compétitif avec les Asiatiques dans un pays où le verre de bière coûte neuf dollars. Pourtant, en s’organisant en accord avec les traditions norvégiennes, il a bâti une société novatrice à laquelle ses membres se dévouent, l’une des rares bénéficiaires dans un marché nouveau et difficile.
Mondragón est un nom mythique du mouvement coopératif et les études de cas abondent dans les business schools sur cette étonnante réussite. On verra les conditions très singulières de sa fondation par un prêtre basque en rébellion contre le franquisme, et comment l’affirmation de cette singularité a permis de forger un modèle original et performant. Aujourd’hui Mondragón est confronté cependant à un problème : comment se mondialiser sans renier ses racines ?
C’est aussi le cas des multinationales françaises, qui hésitent entre une conversion aux standards internationaux et une affirmation de leur modèle de management. Mais les pratiques “internationales”, en fait américaines, sont formalisées dans les cours et les livres de management, alors que la manière française relève de l’implicite. Elle a pourtant ses vertus quand on voit qu’elle a permis de fonder pendant cinquante ans sur un contrat de deux pages une joint-venture entre EDF et Gaz de France pour la distribution. Pour Philippe d’Iribarne, l’issue est à trouver dans l’explicitation du management français, tout en renonçant à certains de ses traits qui ne peuvent traverser les frontières.
Plus généralement, ne conviendrait-il pas d’affirmer l’importance des manières locales face aux standards internationaux, et d’étudier comment celles-ci peuvent coopérer ?