Comment attirer les meilleurs chercheurs ? Comment financer un institut de recherche fondamentale ? C’est à ces questions que doit répondre l’Institut des hautes études scientifiques (IHES) qui, depuis 1958, offre aux chercheurs une liberté, un soutien et un environnement de travail exceptionnels. Dans une économie fragile, il affiche aujourd’hui une réussite qui se traduit par un nombre de médailles Fields impressionnant, une attractivité à l’international constante dans un contexte toujours plus compliqué, et une fécondité incroyable.


Exposé de Jean-Pierre Bourguignon

Histoire et fonctionnement

L’Institut des hautes études scientifiques (IHES), que j’ai eu l’honneur de diriger pendant dix-neuf ans, a été créé en 1958 par Léon Motchane, industriel passionné de sciences. Dans le contexte difficile de l’après-seconde guerre mondiale, il a eu l’ambition d’ouvrir un centre nouveau, de taille modeste, mais à même de réunir les meilleurs chercheurs internationaux. Cette initiative s’est réalisée grâce au soutien actif de Robert Oppenheimer, alors directeur de l’Institute for Advanced Study (IAS) de Princeton, grand frère de l’IHES en tant que lieu emblématique et mondialement reconnu dans sa capacité à proposer, en dehors de l’université, un modèle d’excellence et de liberté. D’abord installé à la Fondation Thiers, à Paris, l’IHES a déménagé en 1963 dans le domaine de Bois-Marie, à Bures-sur-Yvette. Peu de temps après, l’université d’Orsay s’est installée aux alentours immédiats. À l’attrait du parc, qui garantit un cadre de vie et de réflexion rare, s’est ajouté une concentration de scientifiques, faisant de l’IHES un espace de totale liberté académique. Le désir de Motchane était de permettre des contacts étroits entre les sciences théoriques, mathématiques et physiques, pour faciliter des fertilisations croisées. Il avait pour méthode de recruter des talents exceptionnels du monde entier afin de structurer l’Institution autour d’un cœur de professeurs du plus haut potentiel.

Les premiers à rejoindre l’aventure furent Jean Dieudonné et Alexandre Grothendieck, qui s’étaient rencontrés à Nancy. Ce dernier avait subjugué Laurent Schwartz, son directeur de thèse, et Jean Dieudonné en résolvant, en trois mois, une douzaine de problèmes d’analyse fonctionnelle ! Sont ensuite arrivés Louis Michel, premier professeur de physique de l’Institut, René Thom, seul détenteur d’une médaille Fields obtenue avant son arrivée à l’IHES, et David Ruelle qui, en passe d’être recruté à Princeton, a préféré Bures-sur-Yvette. C’était sidérant d’avoir, dès le départ, des personnalités de ce niveau ! Ils ont été rejoints par des visiteurs d’exception : Michael Atiyah, plus tard lauréat de la médaille Fields et du prix Abel, Shiing-Shen Chern, couronné lui aussi de nombreux prix, Murray Gell-Mann, Heisuke Hironaka, lui aussi lauréat de la médaille Fields ultérieurement, Yuval Ne’eman, Jacques Tits… Je pourrais en citer tant d’autres ! Ces scientifiques incroyables étaient liés au réseau et à la clairvoyance de Grothendieck et de Michel, qui ont su organiser ce compagnonnage de haute volée autour de séminaires et de discussions informelles. Cela est d’autant plus remarquable que les offres financières faites à ces chercheurs n’étaient pas extraordinaires : l’Institut, sans soutien récurrent, était fragile. Et pourtant… ils ont fait ce pari.

L’IHES aujourd’hui

Soixante-cinq ans plus tard, l’IHES est établi comme institution de classe mondiale. Alors qu’il avait démarré en tant qu’association, il a obtenu, en 1981, le statut de fondation reconnue d’utilité publique. Il a ensuite rejoint l’université Paris-Saclay, à la condition de conserver l’autonomie de sa gouvernance. Le département de mathématiques de Paris-Sud, qui réunit aussi des personnalités brillantes, ne fut pas contre cet arrangement qui permettait à l’université Paris-Saclay de compter dans ses rangs quelques médailles Fields… L’IHES est partie prenante de la Fondation Mathématique Jacques Hadamard, qui regroupe aussi les mathématiciens de Polytechnique, et membre du réseau ERCOM (European Research Centres on Mathematics), qui réunit une quinzaine d’institutions de niveau européen.

La règle absolue de l’IHES est la séparation entre le conseil d’administration et le conseil scientifique, qui nomme les professeurs. Dans son conseil d’administration, l’IHES a réussi, là encore, à attirer des personnes extraordinaires, au premier titre desquelles Raymond Barre, qui en est devenu le président après avoir achevé sa vice-présidence à la Commission européenne. Pierre Aigrain lui a succédé, avant d’être lui-même rappelé par Raymond Barre, devenu Premier ministre, comme secrétaire d’État à la Recherche. Renaud de La Genière, ancien gouverneur de la Banque de France, a pris la suite, suivi de Marcel Boiteux et de Philippe Lagayette. Le poste est aujourd’hui occupé par Marwan Lahoud, qui a eu de hautes fonctions dans le monde industriel, notamment chez Airbus, et qui est passionné de mathématiques. Le conseil d’administration, suivant sa vocation initiale d’ouverture et de recherche de soutiens à l’international, réunit des représentants d’institutions françaises et étrangères. Le conseil scientifique est, quant à lui, présidé par le directeur – actuellement Emmanuel Ullmo – et rassemble les professeurs permanents, les professeurs juniors ainsi que des membres externes internationaux.

Les scientifiques

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