Élément d’une réforme profonde du recrutement et de la formation de la haute fonction publique, le nouvel Institut national du service public réinvente l’ENA pour diversifier les recrutements, rénover le cursus d’enseignement avec une suppression du classement, développer la formation continue et la recherche, et rayonner au niveau international. Ces transformations ne seront pas sans impacts sur le fonctionnement de l’État, sur le profil des hauts fonctionnaires et leurs trajectoires, ou encore sur l’attractivité du service public.


Exposé de Maryvonne Le Brignonen

J’ai été nommée préfiguratrice de l’Institut national du service public (INSP) et directrice de l’École nationale d’administration (ENA) le 6 décembre 2021, soit juste avant la disparition de cette dernière, qui a cessé d’exister le 31 de ce même mois. Comme j’ai coutume de le dire, l’INSP n’a que deux années d’existence, mais soixante-dix-huit ans d’histoire : une façon de souligner qu’il a bel et bien succédé à l’ENA, dont il a repris les compétences et les missions, en en ajoutant d’autres, notamment celle d’assurer aux cadres supérieurs et dirigeants de l’État une formation continue tout au long de leur carrière.

Création de l’INSP : mise en perspective et contexte

La création de l’INSP, actée par l’ordonnance du 2 juin 2021 portant réforme de l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État, ne constitue pas un fait isolé. Elle représente le troisième étage d’une fusée, dont le premier a été la création d’un unique corps interministériel des administrateurs de l’État, venu se substituer aux anciens corps existants : les préfets, les conseillers des affaires étrangères, les membres des différentes Inspections générales (finances, affaires sociales, éducation, etc.). Le deuxième étage a été la création d’une Délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État (DIESE), confiée à Émilie Piette. À la DIESE, ont échu deux objectifs principaux : d’une part, organiser, à l’échelon interministériel, des revues de cadres, afin de constituer des viviers – notamment de jeunes “hauts potentiels” que chacun des départements ministériels pourrait avoir la tentation de garder pour soi ; d’autre part, mettre en place, à destination de ces publics, des formations continues, qu’il s’agisse de formations managériales ou portant sur des sujets de fond.

Dans cet ensemble, l’INSP se veut le bras armé de la réforme de juin 2021. Quand je disais à l’instant que l’INSP a repris les compétences et missions de l’ENA, je faisais bien entendu référence tout à la fois au concours d’entrée et à la formation initiale, dispensée à des promotions caractérisées par une forte proportion (entre un quart et un tiers) d’étudiants étrangers, bien souvent hauts fonctionnaires dans leur pays d’origine. À cette formation initiale s’ajoute désormais la formation continue, assurée par un réseau constitué d’une vingtaine d’écoles et d’organismes de formation que coordonne et pilote l’INSP.

Naturellement, cette transformation s’accompagne d’une profonde évolution de la pédagogie et des enseignements. L’ENA, créée en 1945 par le général de Gaulle, s’était construite sur le modèle de la formation par les pairs : les enseignants étaient eux-mêmes, dans leur immense majorité, des hauts fonctionnaires, d’où les reproches de “reproduction de la pensée” qu’on a pu adresser à l’École. Nous avons très largement diversifié ce corps enseignant, notamment en y intégrant nombre d’enseignants-chercheurs pour rapprocher la haute fonction publique des milieux académiques. Cette place accrue faite à la recherche et à la science est essentielle. L’une des nouvelles compétences que nous souhaitons voir nos étudiants acquérir consiste d’ailleurs à être capable de mettre la recherche scientifique au service de l’action publique.

Quand j’ai été nommée à la tête de l’ENA, un petit mois avant sa fermeture, j’ai trouvé une maison à terre. Elle était portée aux nues à l’étranger, mais détestée en France, et avait été mise à très rude épreuve au cours des deux ou trois années précédentes ! Sa suppression avait été annoncée une première fois par le président Macron en avril 2019, mais sans dire par quoi elle serait remplacée. Pendant deux ans, les agents sont restés dans l’incertitude de leur sort et ont vu l’institution qu’ils servaient subir un feu roulant de critiques, jusqu’à ce que, en avril 2021, le président, lors d’un discours devant les cadres de la fonction publique, annonce à nouveau la disparition de l’ENA et, cette fois, la création du nouvel INSP. Alors seulement, décrets et textes se sont enchaînés à vive allure. La transformation en interne de cette maison, que le précédent directeur avait quittée dès l’été 2021, a donc constitué pour mon équipe et moi (j’ai largement renouvelé le comité de direction), un gros enjeu managérial. J’avais moi-même été étudiante à l’ENA une quinzaine d’années auparavant (promotion Émile-Zola, 2007), je connaissais donc ces agents. Nous nous sommes mis en “mode projet”, comme je l’avais fait pour la mise en place du prélèvement à la source, quand j’étais à la direction générale des finances publiques. Mais le temps nous était compté et la pression politique était très forte.

Une feuille de route en cinq points

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