Exposé de Louis Gaget et Manon Nguyen Van Mai

Notre mémoire de troisième année de formation au Corps des mines, consacré aux difficultés de recrutement des ETI (entreprises de taille intermédiaire), nous a demandé sept mois de travail, pendant lesquels nous avons rencontré de nombreuses entreprises, mais également des acteurs publics et privés faisant partie de leur écosystème, comme le METI (Mouvement des entreprises de taille intermédiaire) ou les Clubs ETI. Nous nous sommes, par ailleurs, appuyés sur l’etilab, la première chaire d’enseignement et de recherche spécialisée sur les ETI, fondée en 2022 par l’École des mines de Paris et le Club ETI Île-de-France, qui nous a fourni de nombreuses données.

Les difficultés de recrutement en France

Entre 2000 et 2015, dans notre pays, les tensions sur le recrutement étaient inversement proportionnelles au taux de chômage : plus celui-ci était faible, plus il était difficile d’embaucher. À partir de 2015, ces tensions se sont accentuées, alors même que le taux de chômage ne baissait plus. Plusieurs explications ont été avancées : l’augmentation du turnover, le déficit de certaines compétences, l’inadéquation entre les territoires où les personnes sont formées et ceux où on a besoin d’elles, les problèmes de mobilité, etc.

Ces difficultés de recrutement touchent aussi bien les ETI que les PME et les grands groupes, mais nous nous sommes demandé si les ETI ne souffraient pas de facteurs d’inattractivité supplémentaires, appelant des solutions spécifiques.

Les spécificités des ETI

Au-delà du critère légal des ETI en matière d’effectif et de chiffre d’affaires, ces entreprises présentent plusieurs caractéristiques communes. Dans plus d’une ETI sur deux, par exemple, l’actionnariat est majoritairement familial. Sur le plan organisationnel, le besoin en capital humain rapporté à la valeur ajoutée est plus important dans les ETI que dans les grandes entreprises (GE). Les ETI sont souvent des fournisseurs de rang un ou de rang deux et, la plupart du temps, positionnées sur des marchés de niche. En moyenne, elles réalisent plus de 35 % de leur chiffre d’affaires à l’export.

Par ailleurs, les ETI ont généralement une empreinte territoriale forte. Deux tiers de leurs sièges sont situés en dehors de l’Île-de-France et elles essaiment largement sur le territoire national, avec, en moyenne, cinq ou six implantations. Dans certaines zones d’emploi (une catégorie utilisée par l’INSEE pour analyser les dynamiques territoriales), elles représentent jusqu’à 40 % des emplois.

Compte tenu de ces spécificités, nous nous sommes demandés quels pouvaient être les facteurs d’inattractivité : des moyens insuffisants pour la gestion des ressources humaines ? des salaires trop faibles ? des perspectives de carrière limitées ? un manque d’agilité dans les processus de décision ? des méthodes managériales datées ? la faiblesse de l’écosystème et du soutien public ? un manque de visibilité auprès des candidats à l’embauche ? un déficit d’attractivité du territoire d’implantation ? un manque d’innovation et d’engagement RSE (responsabilité sociétale de l’entreprise) ? In fine, trois de ces potentiels facteurs nous apparaissent effectifs et prégnants pour les ETI.

Un déficit de visibilité

Les ETI souffrent d’un manque de visibilité à deux niveaux, individuel et collectif. Non seulement les entreprises de cette taille sont souvent inconnues du grand public, mais la catégorie ETI manque elle-même de notoriété et fait l’objet de préjugés.

Une invisibilité subie, mais parfois aussi délibérée

Sur le plan individuel, l’invisibilité des ETI s’explique par le fait que la plupart d’entre elles opèrent en B to B et se positionnent sur des marchés de niche. Par exemple, très peu de personnes connaissent Septodont, leader mondial des anesthésiants dentaires1. Les ETI de type B to C, comme Sodebo, qui propose des produits traiteurs vendus en grande surface, sont naturellement plus connues.

Cette invisibilité est parfois aussi délibérée, conformément à l’adage : « Pour vivre heureux, vivons cachés. » C’est particulièrement le cas pour les ETI familiales qui portent le nom de leurs propriétaires. Même si elles sont conscientes que, pour recruter plus facilement, il faudrait qu’elles soient davantage visibles, elles sont souvent réticentes à communiquer largement.

Développer une marque employeur

Pourtant, les ETI, notamment les plus petites, auraient tout intérêt à cultiver leur notoriété. Une marque employeur forte génère 50 % d’augmentation du nombre de candidatures très qualifiées, avec 43 % de coûts en moins par embauche.

Lorsqu’elles ne disposent pas de ressources suffisantes en interne pour leur communication, les ETI peuvent recourir aux nombreux services proposés par des organisations publiques telles que Bpifrance ou l’Apec (Association pour l’emploi des cadres), mais aussi et surtout s’appuyer sur leurs collaborateurs, à la fois pour l’élaboration et la diffusion de la marque employeur.

L’entreprise Tournus Équipement, un fournisseur de pièces et meubles en inox pour la gastronomie et l’alimentaire, est implantée entre Chalon-sur-Saône et Mâcon, dans un territoire qui n’est pas des plus attractifs. Lorsque son président, Pierre Marcel, a repris l’entreprise, il a énormément misé sur la marque employeur, et d’abord sur l’image de l’entreprise en interne : « On n’est pas des plieurs de tôle, mais des équipementiers de la gastronomie française. » Il a, par ailleurs, consacré beaucoup d’efforts au dialogue social, en sachant que lorsque celui-ci n’est pas satisfaisant, cela se sait très rapidement par le biais des réseaux sociaux et peut dissuader des candidats. Inversement, lorsque le dialogue social est de bonne qualité, ce sont les collaborateurs eux-mêmes qui se font les ambassadeurs de l’entreprise.

Pierre Marcel a également choisi de s’appuyer sur la presse locale, souvent trop négligée par les ETI, ce qui lui a permis de mieux faire connaître son entreprise dans l’écosystème local et auprès des habitants et potentiels candidats. Certes, comme il le souligne : « Ce sont les grands-parents qui lisent les articles, mais ils parlent de ce qu’ils ont lu à leurs petits-enfants. » Il n’oublie pas les réseaux sociaux, tels que LinkedIn, et ne manque pas une occasion de communiquer sur les différents prix ou labels que l’entreprise peut recevoir, ou encore sur ses clients emblématiques. Ainsi, chaque année, l’entreprise met en avant le fait qu’elle assure l’équipement de l’émission de téléréalité Top Chef.

ETI, un sigle et une catégorie d’entreprises méconnus

À la fin des années 2010, une enquête du METI a montré que seulement 11 % des personnes interrogées savaient ce que signifie le sigle ETI. Pour ceux qui le savent, l’adjectif intermédiaire présente l’inconvénient de définir les ETI par ce qu’elles ne sont pas, c’est-à-dire ni une PME, ni une GE. À ceci s’ajoutent divers stéréotypes négatifs, qu’il s’agisse du caractère patrimonial des ETI – « Tout est géré par la famille, ce n’est que de la cooptation » – ou encore de leurs activités industrielles – « Les salariés doivent travailler durement dans des vieux entrepôts et sur des machines obsolètes ».

Pour s’opposer à ces préjugés, il serait intéressant que les ETI s’accordent sur un narratif à la fois englobant et percutant – par exemple, « les championnes des territoires » –, qui souligne leurs atouts et s’adresse à tous les publics. Dans sa communication, le METI utilise désormais l’expression « entreprises de long terme », qui met l’accent sur la pérennité des entreprises familiales, une dimension susceptible de toucher le grand public. Le narratif pourrait également mettre en avant le fait que les ETI sont souvent innovantes et engagées, et que, contrairement aux GE, elles sont en mesure de donner rapidement des responsabilités aux jeunes recrues.

Revaloriser conjointement les ETI et le récit industriel

Depuis quelques années, on entend régulièrement parler de réindustrialisation, de souveraineté industrielle, d’industrie verte, des métiers manuels et du savoir-faire français. Malheureusement, les ETI ne sont pas suffisamment associées à cet effort de communication. Ainsi, parmi les 80 photos de l’exposition « La Beauté cachée de l’industrie » – présentée au jardin du Luxembourg à Paris, au printemps 2023, destinée à montrer que l’industrie est innovante et modernisée –, seulement 14 photos concernaient des ETI et ce sigle n’y était pas mentionné, ce qui contribue à l’invisibilisation de cette catégorie d’entreprises.

Sans doute faudrait-il que les ETI s’organisent collectivement pour s’assurer d’être suffisamment représentées dans le cadre de tels événements. Pour les organisateurs, il est toujours plus facile de s’adresser à une grande entreprise, dont le chargé de communication pourra instantanément leur fournir les photos dont ils ont besoin. Les ETI doivent faire en sorte, à travers des structures comme les Clubs ETI ou le METI, que l’on pense à elles lors d’initiatives de ce type.

Le sous-dimensionnement des moyens en ressources humaines

Selon des données fournies par la chaire etilab, les équipes RH des ETI sont généralement plus faiblement dotées que celles des GE. La proportion des salariés RH dans l’effectif total est, par exemple, de 0,3 % dans la construction (contre 0,6 % pour les GE), de 0,6 % dans l’industrie (contre 1,1 % pour les GE), de 1,3 % dans les services (contre 1,5 % pour les GE). Pourtant, les équipes RH des ETI font face à des obligations administratives équivalentes à celles des GE. Elles doivent gérer la paie, le reporting, le dialogue social, ou encore l’animation du CSE (comité social et économique). Faute de moyens, certaines fonctions sont un peu délaissées, et le recrutement en fait parfois partie.

Pour compenser ces moyens limités, peut-être les ETI pourraient-elles envisager de mutualiser leurs moyens au sein des Clubs ETI ? Depuis la création du premier club de ce type, en Aquitaine, en 2013, pratiquement toutes les régions françaises se sont dotées de structures équivalentes. En enquêtant auprès du Club ETI d’Île-de-France, nous avons été impressionnés par les ressources que ces structures offrent d’ores et déjà aux entreprises. Le Club ETI de demain pourrait leur permettre de mutualiser leurs compétences en matière de recrutement, mais aussi, par exemple, de cybersécurité, domaine dans lequel une ETI n’a pas toujours une charge de travail justifiant un emploi à temps plein.

Nous nous sommes également intéressés à l’aide que les ETI peuvent trouver, dans ce domaine, auprès de France Travail (nouvelle instance qui remplace Pôle emploi, les missions locales pour les jeunes et Cap emploi) ou de l’Apec. Auparavant, les entreprises devaient s’adresser à des interlocuteurs différents selon le profil des candidats recherchés, ce qui était complexe à gérer. Dans le cadre du guichet unique de France Travail, elles auront un seul interlocuteur.

Le phénomène du no-show (des candidats se présentent à leur entretien, voire à la première journée de travail, puis disparaissent) génère beaucoup de travail et de perte de temps pour les entreprises. Face à cette difficulté, Pôle emploi a développé une méthode de recrutement par simulation (MRS), qui vise à tester aussi bien la motivation que les compétences des candidats. Par exemple, avant de pouvoir présenter leur candidature à Verkor, une société qui va implanter une usine de batteries dans le Nord, les candidats doivent se soumettre à une épreuve au cours de laquelle ils doivent revêtir la tenue de travail utilisée dans les salles blanches et montrer qu’ils sont capables de respecter des consignes de sécurité. De même, Pôle emploi organise des séances d’évaluation des habiletés pour le compte de la société Ponticelli, un fournisseur de services industriels (montage, levage, usinage, chaudronnerie, notamment dans le secteur nucléaire). Seuls les candidats ayant passé ces tests avec succès sont admis à l’institut de formation de Ponticelli.

L’attractivité du territoire d’implantation

L’etilab nous a fourni des données sur la proportion de salariés dont le contrat de travail a été signé dans un établissement domicilié dans leur département de naissance, en fonction de la catégorie d’entreprises et des PCS (professions et catégories socioprofessionnelles). Ces données montrent que la proportion de salariés travaillant dans leur département de naissance n’est pas beaucoup plus importante dans les ETI (38 %) que dans les GE (37 %), alors qu’elle est légèrement supérieure dans les PME (41 %). Le critère des PCS est beaucoup plus déterminant : la proportion de salariés travaillant dans leur département de naissance est presque deux fois plus importante pour les non-cadres (42 %) que pour les cadres (21 %). En matière de politique d’attractivité des entreprises, cette dichotomie doit se traduire par deux types d’actions distinctes.

Accroître l’engagement et la visibilité de l’ETI sur son territoire

Pour faciliter le recrutement des profils plutôt captifs, c’est-à-dire des non-cadres, l’entreprise doit chercher à accroître son engagement et sa visibilité sur le territoire. Cela peut passer, notamment, par l’organisation de stages de troisième, qui crée des liens avec les jeunes du territoire à un âge où beaucoup n’ont pas encore choisi leur orientation.

L’entreprise Axon’ Cable2, située à Montmirail, dans la Marne, fabrique des composants électroniques. Il y a une quinzaine d’années, le maire de la commune s’est adressé à Joseph Puzo, le PDG, pour lui demander s’il accepterait de prendre en stage quelques élèves de troisième du collège voisin. Ce chef d’entreprise a décidé d’accueillir une classe entière pendant une semaine, chaque année. Pour l’occasion, les professeurs adaptent leur enseignement en travaillant en binômes avec des collaborateurs de l’entreprise. Par exemple, les cours d’anglais se font en visioconférence avec une filiale étrangère du Groupe. À la fin de la semaine, les élèves présentent le projet qu’ils ont réalisé devant un parterre de fournisseurs et de clients de l’entreprise. Cela constitue une animation pour le territoire et donne une image positive de l’entreprise à la famille et aux amis. Il n’est pas rare que, dix ou quinze ans plus tard, des candidats se présentent à l’embauche en mentionnant le fait qu’ils ont effectué leur stage de troisième chez Axon’ Cable. Ce genre d’initiative gagnerait à être encouragé par les pouvoirs publics.

Dernièrement, le Gouvernement a annoncé le lancement d’un nouveau stage destiné aux élèves de seconde, avec une plateforme recensant des entreprises prêtes à accueillir les stagiaires. Hélas, au lancement, il s’agissait en majorité de GE et de start-up qui, contrairement aux ETI, ne pourront sans doute pas proposer des stages sur l’ensemble du territoire.

Contribuer à l’attractivité du territoire

Pour attirer davantage de cadres, c’est-à-dire, d’après l’étude citée plus haut, des profils plutôt non-captifs, les ETI doivent s’efforcer de contribuer à l’attractivité de leurs territoires.

À l’heure actuelle, ce travail sur l’attractivité s’opère surtout au niveau régional : les Clubs ETI sont structurés à ce niveau et, par ailleurs, les régions détiennent la compétence en développement économique. Cependant, d’après nos entretiens avec des dirigeants d’ETI, les initiatives les plus fructueuses sont menées au niveau communal, en synergie avec le maire et le sous-préfet.

Le groupe Albéa est un créateur et fabricant d’emballages à destination de l’industrie cosmétique. La commune a contribué à la sécurisation du foncier pour faciliter l’installation d’une entreprise de transport routier non loin du site d’Albéa, ainsi qu’à la construction d’un restaurant interentreprises, et elle s’emploie à réhabiliter des logements vacants à proximité du site d’Albéa pour que celle-ci puisse accueillir des stagiaires et des jeunes cadres. Le maire a pris l’habitude d’échanger avec l’entreprise chaque semaine, afin de pouvoir plus facilement recueillir des suggestions et porter des projets.

Et la rémunération ?

Nous nous sommes également interrogés sur le rôle que pourrait jouer, dans l’attractivité des ETI, le niveau de rémunération proposé aux collaborateurs. D’après les données fournies par l’etilab sur les salaires horaires bruts moyens par secteur et par catégorie d’entreprises, les ETI rémunèrent leurs salariés, en moyenne, à des niveaux comparables à ceux pratiqués par les GE, en particulier pour les ETI exposées à l’international, avec cependant des disparités d’un secteur à l’autre.

Dans le commerce et les services, les salaires horaires bruts sont alignés avec ceux des GE. Dans la construction et les transports, on note un léger décrochage entre les ETI – respectivement 21,50 euros et 18,20 euros – et les GE – respectivement 23,30 euros et 20,70 euros. Dans l’industrie, enfin, le décalage est très net : le salaire horaire brut moyen est de 22,60 euros dans les ETI et de 28,20 euros dans les GE.

Cet écart de 20 % masque toutefois une disparité entre les salaires d’entrée dans les ETI, comparables à ceux offerts par les GE, et les salaires des profils très expérimentés, c’est-à-dire au-delà de 40 ans, davantage pénalisés. De fait, beaucoup d’ETI nous ont fait part de leur difficulté à retenir leurs salariés les plus compétents : ceux-ci sont souvent bien identifiés par les donneurs d’ordre, qui les attirent chez eux en leur proposant des salaires plus élevés.

L’écart de rémunération entre ETI et GE de l’industrie s’explique aussi par le fait que, dans les ETI, le salaire horaire ne représente pas toujours l’ensemble de la rémunération, notamment lorsqu’un actionnariat salarié est mis en place. Par ailleurs, la majorité des ETI sont implantées dans des régions où le coût du logement est plus faible qu’en région parisienne, en sorte que le niveau de vie peut y être le même avec une rémunération moins importante.

Débat

L’appellation ETI

Un intervenant : Je ne connais pas de dirigeants se présentant comme des « patrons d’ETI ». Ils préfèrent dire qu’ils ont « une belle entreprise », par exemple. Les chefs d’entreprise ne se sont pas vraiment approprié l’appellation ETI, imaginée par des statisticiens, ce qui pose des problèmes en matière de communication.

Int. : Quelqu’un a suggéré de considérer qu’ETI signifie “entreprise de taille idéale”, interprétation plus flatteuse que “de taille intermédiaire”…

Int. : Le développement des Clubs ETI a changé la donne. L’appellation ETI est désormais mieux connue et davantage employée.

Manon Nguyen Van Mai : Il a fallu quinze ans pour qu’elle se répande, non seulement parmi les dirigeants d’entreprise, mais également au sein de l’Administration. Il y a sans doute encore des efforts à faire, mais il paraîtrait dommage de tout reprendre à zéro.

Une catégorie transitoire ?

Int. : L’adjectif “intermédiaire” laisse entendre que le statut d’ETI pourrait être conçu comme une étape transitoire avant d’accéder à celui de grande entreprise.

Int. : Au contraire, nous avons besoin de toutes ces entreprises qui ne sont ni des PME ni des grands groupes, mais présentent d’énormes capacités de développement à l’international, tout en restant agiles et flexibles. En tant que dirigeant d’ETI, je vois de plus en plus de candidats à la recherche de ce qui fait notre spécificité : « Je n’en peux plus de la lourdeur des grands groupes, dans lesquels je ne me sens qu’un rouage dans la machine. J’ai envie d’un lien direct entre ce que je fais et les résultats. »

Int. : Dans une séance précédente, Jean-Philippe Demaël nous a raconté comment, alors qu’il s’ennuyait en tant que CEO d’ArcelorMittal Inox au Brésil, il a été recruté par Somfy, une ETI savoyarde spécialisée dans l’automatisation des ouvertures et fermetures pour les secteurs tertiaire et résidentiel3. Grâce à son “surdimensionnement”, il a pu conforter la position de leader mondial de Somfy.

La comparaison avec l’Allemagne

Int. : Une des raisons pour lesquelles les ETI ont été mises sur le devant de la scène est la prise de conscience que cette catégorie d’entreprises contribue beaucoup plus à l’économie allemande qu’à l’économie française. Qu’en est-il, selon vous ?

Louis Gaget : Le périmètre des ETI allemandes n’est pas exactement le même que celui des ETI françaises. Le Mittelstand recouvre l’ensemble des entreprises patrimoniales, c’est-à-dire celles dont plus de la moitié de l’actionnariat est familial. En revanche, ces entreprises peuvent être de tailles très diverses. La comparaison avec la contribution des ETI à l’économie française est donc délicate.

M. N. V. M. : On évoque souvent un facteur trois entre le nombre d’ETI en France et en Allemagne. Ce chiffre est probablement surévalué, même s’il existe bien un écart, lié à la fois aux modèles d’industrialisation différents, davantage conçu en France comme devant être porté par des GE, et au fait que les règles de transmission françaises ont abouti au rachat de nombreuses entreprises patrimoniales par de grands groupes.

L’investissement dans la RSE

Int. : Je suis manager de transition et je peux témoigner qu’une bonne façon de rendre une entreprise plus attractive est de lui faire obtenir le label Great Place To Work. J’ai expérimenté cette démarche dans une PME du secteur informatique qui avait été vendue par son fondateur à un fonds d’investissement, dont l’objectif était de passer de 250 salariés à 500 en cinq ans. L’obtention du label a nécessité un changement profond de culture, qui a permis de remotiver tous les salariés et d’en faire des ambassadeurs de l’entreprise sur les réseaux sociaux.

M. N. V. M. : Ce label pourrait effectivement être précieux pour des ETI, mais s’engager dans ce genre de démarche demande beaucoup d’investissement et toutes n’en ont pas les moyens.

Int. : Au-delà d’un label de ce type, l’investissement dans la RSE peut s’avérer très bénéfique pour le recrutement. Certains candidats me disent : « Le poste que vous me proposez me paraît intéressant et le salaire est correct, mais je n’accepterai pas de rejoindre votre entreprise si je ne me sens pas en phase avec ses valeurs. » C’est quelque chose de nouveau pour nous et nous devons savoir y répondre.

Int. : Alain Zelverte, président de STTM, une entreprise de mécanique de précision, a décidé de faire de sa société un modèle de RSE dans tous les domaines. Cela a eu pour effet d’attirer non seulement davantage de candidats à l’embauche, mais aussi des clients qui souhaitent pouvoir améliorer leur performance RSE grâce à celle de leurs sous-traitants4

Un problème de communication ?

Int. : En matière d’attractivité, l’une des différences entre ETI et grands groupes est que ces derniers investissent beaucoup plus dans la communication sur leur marque employeur. La plupart des ETI ne sont pas conscientes que se doter d’une véritable stratégie de communication est aussi important que d’assurer leur cybersécurité, par exemple.

Int. : Je dirige une ETI et je suis également son directeur de la communication. Le temps dont je dispose étant limité, j’ai choisi de m’appuyer essentiellement sur LinkedIn pour notre communication institutionnelle. Pour la communication sur nos produits, en revanche, nous faisons appel à des professionnels.

Int. : S’il est vrai qu’une marque employeur forte permet de réaliser 43 % d’économies sur les recrutements, ce serait pourtant un investissement rentable.

M. N. V. M. : Beaucoup de dirigeants d’ETI tiennent à se charger eux-mêmes de la communication sur la marque employeur ou à contrôler ce qui est fait, dans ce domaine, par leurs équipes RH, afin de s’assurer que les valeurs de l’entreprise sont bien mises en avant.

Int. : Le dirigeant est loin d’être le seul membre de l’entreprise à communiquer sur la marque employeur. Ses principaux ambassadeurs sont, de gré ou de force, ses collaborateurs.

Int. : Même s’il y a des “geeks” parmi les salariés, on ne leur demande pas d’assurer la sécurité informatique de l’entreprise. De même, on ne peut pas faire reposer la communication institutionnelle de l’entreprise sur ses collaborateurs. Cette mission doit être assumée par des professionnels ayant une bonne appréhension de l’écosystème et des réseaux sociaux, et capables d’aider le dirigeant ou les personnes incarnant la communication au sein de l’entreprise à délivrer les bons messages, à la bonne cible, avec les bons outils.

Le management des ETI, un facteur d’attractivité

Int. : Parmi les facteurs d’inattractivité possibles, vous avez évoqué la piste d’un management obsolète. Qu’en est-il ?

M. N. V. M. : En définitive, cet aspect ne nous semble pas être un facteur d’inattractivité très marquant des ETI. Tout au contraire, le mode de management des ETI, qui repose beaucoup sur l’autonomie et la responsabilité des salariés, pourrait être un atout s’il était davantage valorisé.

Les parcours de carrière

Int. : Lorsque quelqu’un cherche à être recruté par une grande entreprise, les lignes de son CV faisant état de son passage dans une ETI ne sont sans doute malheureusement pas les plus valorisantes…

M. N. V. M. : C’est effectivement un point qui est revenu assez régulièrement dans nos entretiens : « Votre entreprise est super, et le poste que vous me proposez est vraiment intéressant, mais j’ai peur que l’effet ne soit pas très bon sur mon CV. » Si les ETI étaient davantage valorisées, un passage dans ce type d’entreprises aurait le même impact sur le CV qu’une expérience dans une start-up ou dans une grande entreprise.

Int. : Un recrutement dans une ETI sera surtout apprécié par un cadre qui en a assez des grandes entreprises, mais il n’est pas aussi attractif pour un jeune démarrant sa carrière.

Int. : J’accompagne les participants à l’Executive MBA de HEC depuis quelques années et je vois de plus en plus de participants, âgés d’une quarantaine d’années, consacrer leur mémoire de fin d’études à des projets de reprise de PME et d’ETI.

Les limites de la mutualisation

Int. : Vous avez souligné, à juste titre, que les ETI sont souvent des sous-traitants, ce qui restreint leur visibilité. Ne pourraient-elles s’associer à leurs donneurs d’ordre pour créer des plateformes qui permettraient d’aiguiller leurs collaborateurs vers des parcours variés, tantôt dans les ETI et tantôt dans la grande entreprise ?

M. N. V. M. : Je doute que les dirigeants d’ETI soient très enclins à y participer, sachant que les GE n’ont déjà que trop tendance à débaucher leurs salariés…

Int. : Les entreprises familiales sont souvent très jalouses de leur indépendance et veulent pouvoir décider elles-mêmes de leur destin. C’est pourquoi je reste un peu sceptique sur les dispositifs de mutualisation des compétences que vous appelez de vos vœux dans le cadre des Clubs ETI, que ce soit en matière de recrutement, ou encore de cybersécurité. Chaque dirigeant souhaite pouvoir choisir avec qui il va travailler, en fonction de son environnement et de ses contraintes.

Int. : Une séance de ce séminaire a présenté le cas d’Aletia (Alliance des ETI agiles), créée par six ETI pour mutualiser leurs besoins de formation en management et, au passage, s’échanger leurs salariés pour enrichir leurs parcours de carrière5.

Int. : C’était l’un des objectifs de départ d’Aletia, mais il a fait long feu, faute d’un accompagnement suffisant. J’essaie, actuellement, de relancer ce dispositif, car je crois beaucoup à l’idée d’organiser des parcours de carrière entre plusieurs ETI, mais cela nécessite de s’en occuper très activement. Dans quelques années, j’espère pouvoir venir vous présenter des résultats concrets.

1. Voir Olivier Schiller, « Comment poursuivre sa croissance quand on est leader mondial ? », séminaire Aventures industrielles, séance du 17 juin 2015.

2. Voir Joseph Puzo, « Comment monter en gamme pour une PMI ou un territoire ? », séminaire Management de l’innovation, séance du 17 avril 2013.

3. Jean-Philippe Demaël, « La mutation internationale du groupe Somfy », séminaire Aventures industrielles, séance du 18 mars 2014.

4. Alain Zelverte, « La RSE, opportunité unique pour tout changer ? Le cas STTM », séminaire Aventures industrielles, séance du 20 décembre 2023.

5. Patrice Bonte, « Quand six ETI s’unissent pour créer un université d’entreprise », séminaire Aventures industrielles, séance du 25 mai 2021.

Le compte rendu de cette séance a été rédigé par :

Élisabeth BOURGUINAT