La capacité de réinvention permanente de L’Oréal reste une énigme managériale. Diverses explications ont été avancées, mais il pourrait en exister d’autres, plus méconnues. Beaucoup de grandes révolutions semblent, en effet, naître d’une intuition de la direction générale, appuyée sur la culture du Groupe et diffusée à travers un “cri de ralliement”. Les L’Oréaliens se mettent ensuite en mouvement et fabriquent collectivement la réponse du Groupe. Parce que le corps social de L’Oréal fait vivre ce concept, il devient la stratégie…

Exposé de Rémy Simon

Après six années passées à la Lyonnaise des Eaux, d’abord en tant que plume du président-directeur général, Jérôme Monod, puis dans des fonctions de communication, je suis depuis vingt-huit ans chez L’Oréal. J’ai d’abord exercé à la communication corporate, puis à la communication financière et, en parallèle, auprès de deux dirigeants, Lindsay Owen-Jones et Jean-Paul Agon depuis son arrivée, en 2006.

Après avoir dû faire face à la crise de 2008, qui a éclaté moins de deux ans après son arrivée à la tête de l’entreprise, Jean-Paul Agon a été confronté à des transformations massives de l’environnement, qui ont rendu cruciale la mobilisation de l’ensemble des collaborateurs pour réinventer l’entreprise.

C’est ce thème, mobiliser pour réinventer, que je vais développer aujourd’hui. J’évoquerai d’abord les traits culturels de l’entreprise qui ont rendu ces transformations possibles, puis je prendrai pour exemple les révolutions qui ont eu lieu durant les quinze dernières années. Je m’appuierai, pour cela, sur des citations des dirigeants successifs de la Maison.

Deux traits culturels de L’Oréal

Le culte de la croissance et de l’aventure

Le premier trait culturel marquant de L’Oréal est le culte de l’aventure, comme le souligne François Dalle, qui dirigea l’entreprise de 1951 à 1984, dans son livre L’Aventure L’Oréal. L’entreprise est concentrée sur la croissance, le leadership et la conquête, ce qui se traduit souvent par l’utilisation d’un vocabulaire guerrier : on aime livrer des batailles, parler des troupes, des généraux, célébrer des victoires. Ce culte de la croissance est indissociable de l’esprit d’aventure, comme en témoigne Lindsay Owen-Jones : « Nous n’avons jamais considéré la croissance comme un simple objectif financier. Nous la voyons plutôt comme une aventure collective, une véritable quête du Graal qui, par définition, ne s’arrête jamais. Si nos collaborateurs vivent l’aventure, c’est parce qu’on a su lui donner des aspects de conquête, de jeu, de mission, d’accomplissement personnel, d’aventure humaine. »

L’aventure humaine est d’abord individuelle. Pour Jean-Paul Agon, elle est très étroitement liée à la notion d’entrepreneuriat : « Je suis rentré chez L’Oréal parce qu’on m’a dit que ce serait une aventure : “Votre carrière, c’est vous qui la ferez. Vous serez l’entrepreneur de votre propre destin”. »

À cette aventure individuelle s’ajoute l’aventure collective. Jean-Paul Agon confirme : « L’Oréal, c’est d’abord des hommes et des femmes qui partagent ensemble des valeurs, des ambitions, des rêves, des objectifs, et donc une aventure collective. » Le sentiment d’appartenance est très fort, comme le soulignent les études internes. On parle d’une “supracommunauté” de L’Oréaliens à travers le monde, unis au-delà de toute frontière par un projet commun, des valeurs, des principes éthiques et des façons d’être et de faire : « Chez L’Oréal, Chilien ou Chinois, on est d’abord L’Oréalien. »

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