- Trois grands enjeux
- Devenir le champion des énergies zéro carbone
- La palette des énergies décarbonées
- Quatre grandes lignes de métier
- Les différentes étapes de la digitalisation des entreprises
- Comment une ambition démesurée s’est transformée en pari rationnel
- La structuration de la software company
- Les logiciels produits par ENGIE
- Des logiciels destinés à un usage interne
- L’articulation avec la DSI
- Les choix d’orientation stratégique
- D’où viennent les innovations ?
- Not invented here
- Le recrutement
- L’art difficile de la transformation
Exposé d’Olivier Sala
Avant d’être nommé, il y a quelques mois, à la direction de la recherche et de l’innovation du groupe ENGIE, j’étais directeur général de l’entité ENGIE Digital, qui incarne la transformation de ce groupe en software company.
Trois grands enjeux
Le contexte énergétique actuel se caractérise par trois grands enjeux. Le premier consiste à accélérer la transition énergétique, avec une urgence climatique qui exige d’agir sans attendre pour maîtriser l’ampleur du réchauffement dans trente ou cinquante ans. Pour ce qui est des vingt prochaines années, quoi que nous fassions, la messe est dite et nous allons devoir gérer un inéluctable réchauffement climatique.
Le deuxième enjeu consiste à construire un projet de transformation énergétique avec toutes les parties prenantes. Il doit susciter l’adhésion et cela met au défi notre modèle démocratique, car d’autres pays appliqueront un modèle autoritaire.
Le troisième enjeu est la nécessité de gérer une très grande incertitude qui provient à la fois de l’évolution des technologies et de la règlementation, mais aussi des marchés et de la géopolitique. Cette incertitude rend l’exercice de transition complexe dans la mesure où, par nature, celui-ci repose sur une planification de long terme. Un groupe comme ENGIE est amené à réaliser des investissements lourds et doit en permanence identifier les scénarios les plus robustes, tout en gardant du “jeu de jambes” pour pouvoir s’adapter en cas de besoin.
Devenir le champion des énergies zéro carbone
Face à de telles mutations, il existait deux grandes options. La première consistait en une stratégie d’adaptation progressive en maximisant la valeur des business historiques le plus longtemps possible. Cette stratégie ne peut pas être gagnante à terme, mais elle est tentante en raison de sa grande rentabilité à court et moyen terme. L’autre option consistait, dans un monde qui est en train de basculer, à se séparer des outils du monde ancien tant qu’ils ont encore de la valeur, afin d’investir dans les outils du monde de demain. C’est cette stratégie qu’ENGIE a choisie, à travers l’objectif défini en 2016 par sa directrice générale, Isabelle Kocher, et systématiquement réaffirmé depuis, avec un engagement publié l’an dernier d’une neutralité carbone d’ici 2045.
Cet objectif suppose que le Groupe non seulement développe un mix énergétique décarboné, mais accompagne ses clients dans leurs trajectoires de décarbonation. En effet, selon le Greenhouse Gas Protocol, les émissions de gaz à effet de serre (GES) sont réparties en trois échelles, ou scopes : le scope 1 regroupe les émissions générées directement par l’entreprise (usines, flottes de véhicules…) ; le scope 2 regroupe les émissions indirectes provenant de l’électricité, de la vapeur, de la chaleur ou du refroidissement achetés par l’entreprise ; le scope 3 concerne les autres émissions indirectes, que ce soit en amont (déplacements du domicile au travail, achats de produits et services…) ou en aval (investissements, utilisation des produits vendus…). Pour une entreprise comme ENGIE, le scope 3, qui recouvre notamment l’énergie que nous vendons à nos clients (par exemple, le gaz acheté par un client particulier pour se chauffer), représente 70 % des émissions de GES.
Atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2045 nécessite, compte tenu des actifs concernés, de prendre des décisions très structurantes dès maintenant. D’ores et déjà, entre 2015 et 2020, ENGIE a réduit de 72 % sa production d’électricité à partir de charbon, une énergie fortement émettrice de CO₂. Les centrales à charbon du Groupe, situées surtout en Amérique du Sud et dans les pays d’Asie, ont été cédées. À l’horizon 2045, l’essentiel du mix énergétique reposera sur la production d’énergies renouvelables centralisée (photovoltaïque, éolien et hydroélectricité) et sur les énergies renouvelables produites par nos clients.
En complément de la réduction de l’empreinte carbone de notre mix électrique, nous devons également nous préoccuper de réduire l’empreinte carbone de nos clients, que ce soit en les aidant à améliorer leur efficacité énergétique, ou encore en les incitant à produire leur propre énergie verte. De cette façon, nous espérons contribuer à éviter l’émission annuelle de 45 millions de tonnes d’équivalent CO₂ à l’horizon 2030. Il faut souligner que cette part de la réduction de l’empreinte carbone de nos clients n’est pas prise en considération dans notre propre empreinte carbone, car on ne peut pas la compter deux fois. En revanche, elle contribue à renforcer l’impact du Groupe.
La palette des énergies décarbonées
La transition énergétique repose, avant tout, sur l’efficacité énergétique et la sobriété, mais aussi sur l’électrification de tout ce qui peut l’être. En effet, celle-ci va entraîner, mécaniquement, une réduction de la part des énergies carbonées au bénéfice des énergies décarbonées, dans la mesure où une partie croissante de l’électricité sera produite à partir d’énergies renouvelables.
Certains usages de l’énergie sont difficiles à électrifier, en particulier dans le domaine des transports lourds. Si l’on voulait électrifier un porte-conteneurs, par exemple, ce dernier ne transporterait plus que ses propres batteries. Les productions de ciment, d’acier, de verre ou d’ammoniaque, très énergivores, sont également peu propices à l’électrification.
Pour ces différents usages, la solution consiste à recourir à des molécules bas carbone ou décarbonées, avec deux options possibles. La première est la méthanisation, c’est-à-dire la décomposition de la biomasse par des bactéries afin de produire du méthane. La deuxième consiste à fabriquer des molécules de synthèse (par exemple du e-kérosène ou du e-méthane) à partir d’hydrogène, lui-même produit grâce à des énergies renouvelables.
Quatre grandes lignes de métier
Dans la perspective de cette transition, ENGIE déploie quatre grandes lignes de métier.
La première est celle des énergies renouvelables, qui représentent désormais notre plus grosse ligne d’investissement. Nous disposions, à la fin de l’année 2021, de 34 gigawatts de capacités installées en énergies renouvelables. Nous les augmentons de 4 gigawatts par an actuellement, avant de passer à 6 gigawatts à partir de 2026, ce qui représentera une accélération très forte.
Notre deuxième grande ligne de métiers est celle des solutions énergétiques, c’est-à-dire les activités d’accompagnement de nos clients (entreprises, collectivités locales…) vers des solutions plus renouvelables, et c’est celle qui motive notre transformation en software company.
La troisième est celle des infrastructures (réseaux de transport, réseaux de distribution, stockages souterrains et terminaux GNL).
La quatrième ligne de métiers concerne le thermique et la fourniture d’énergie, c’est-à-dire, une fois que le Groupe sera complètement sorti du charbon (en 2025), la gestion des centrales au gaz naturel, qui devront progressivement être verdies, mais aussi la production d’hydrogène, ou encore le management du stockage destiné à pallier l’intermittence des énergies renouvelables.
Les différentes étapes de la digitalisation des entreprises
Comme pour les autres entreprises, la transformation d’ENGIE en software company s’est faite en plusieurs étapes.
Le temps des “innovations digitales” dans une logique de communication
Il y a encore dix ans, la transformation digitale des entreprises prenait souvent la forme d’équipes de cinq ou six jeunes programmeurs que l’on installait sur un plateau joliment décoré et équipé d’un baby-foot. Ils développaient du code, sortaient un bout de logiciel, tout le monde s’écriait que c’était formidable – idéalement, l’entreprise gagnait un prix, ce qui lui valait quelques lignes dans la presse –, puis on jetait le bout de code en question, qui ne servait à rien, et les “innovations digitales” se succédaient, sans aucun impact réel sur le cœur de métier. Cette politique ne coûtait pas trop cher et, dans les dîners en ville, elle permettait de moderniser l’image de l’entreprise, censée « prendre la mesure des transformations à l’œuvre ». Je grossis ici le trait, vous l’aurez compris, mais je pense que nous l’avons tous observé.
La création d’une digital factory
Depuis une petite dizaine d’années, les entreprises ont pris conscience que la question de l’innovation digitale ne relevait plus de la communication et qu’il y avait lieu de s’interroger sérieusement sur ce que le digital pourrait leur apporter.
C’est dans ce contexte qu’a été créée, en 2016, la digital factory du Groupe, baptisée ENGIE Digital. L’objectif était d’accompagner les entités business dans l’identification de cas d’usage digitaux et dans la réalisation des applications, en leur apportant des compétences dont elles ne disposaient pas forcément et en définissant un certain nombre de standards techniques : « Pour des applications mobiles, il faudra utiliser telle technologie. Pour un système analytique, il faudra recourir à telle plateforme. » La création d’une digital factory répondait aussi à des contraintes de recrutement. Autant il était difficile d’attirer des programmeurs dans l’arrière-boutique de la direction des systèmes d’information (DSI) de la filiale lambda de telle branche, autant, en les réunissant en une seule entité, rendue visible et installée dans des locaux sympathiques, on créait une certaine attractivité.
Le passage à une vision industrielle d’un modèle opérationnel digitalisé
Toutefois, au bout de deux ans, force fut de constater que les projets accompagnés par ENGIE Digital n’avaient pas l’impact espéré sur les activités du Groupe. En effet, ces projets prenaient la forme d’un MVP (minimum viable product) destiné à répondre aux besoins d’une équipe donnée, à un moment donné, grâce à un petit développement ad hoc, mais, précisément parce que ce produit avait été conçu de façon très spécifique, les possibilités de le transférer ailleurs étaient très réduites.
C’est toute la différence entre un MVP et un véritable logiciel, qui suppose d’aborder le sujet de façon plus large, de sorte que tous les cas d’une même famille de problèmes puissent être traités par ce logiciel, au prix éventuellement de quelques paramétrages locaux. En d’autres termes, au lieu d’empiler des projets spécifiques, il fallait construire une vision industrielle de ce que pourrait être un modèle opérationnel digitalisé, afin de pouvoir se projeter dans les logiciels qui lui donneraient corps.
Vers la “plateformisation” digitale du cœur de métier ?
Après l’étape du MVP et celle du logiciel, l’étape ultime de la digitalisation est la plateformisation digitale du cœur de métier, celle où l’entreprise n’a plus besoin d’une software company au service des autres entités, dans la mesure où le digital est vraiment au cœur de l’activité. Google, par exemple, n’a pas d’entité Google Digital… Je ne suis pas certain qu’une entreprise comme ENGIE parviendra à ce stade, ni que ce soit pertinent pour le Groupe, mais d’autres entreprises sont engagées dans cette évolution.
Comment une ambition démesurée s’est transformée en pari rationnel
Quand j’ai pris la direction d’ENGIE Digital, en 2018, l’enjeu était de transformer cette digital factory, conçue comme une entité support au service des business units, en une véritable software company qui conçoive, construise et déploie des logiciels permettant à ENGIE de s’assurer un avantage compétitif.
Cette ambition pouvait paraître excessive pour un groupe industriel comme ENGIE, de surcroît français, car, c’est bien connu, seuls les Américains savent développer des logiciels : « C’est un vrai métier, or vous ne le maîtrisez pas et vous ne réussirez pas à attirer les compétences nécessaires. » Il est vrai que nous aurions pris de grands risques en essayant de développer des applications de comptabilité ou de CRM (gestion des relations avec la clientèle) plus performantes que celles de SAP et de Salesforce. En revanche, dans la mesure où nous nous concentrions sur des problématiques intimement liées à notre cœur d’expertise et où nous nous appuyions sur notre proximité avec nos clients, nous disposions d’atouts importants par rapport aux éditeurs de logiciels génériques.
À cet égard, il faut souligner que les entreprises digitales leadeuses sur leur marché telles qu’Airbnb, Uber ou Netflix ne sont pas, à l’origine, des entreprises technologiques. Uber, par exemple, s’est contenté d’assembler diverses technologies existantes pour digitaliser en profondeur une offre de fonctionnalité autour du transport de personnes. En revanche, dans la mesure où leurs savoir-faire digitaux sont directement ancrés dans leur cœur de métier, ils constituent un avantage concurrentiel décisif par rapport à leurs concurrents.
Un deuxième facteur de succès a été l’évolution du paysage technologique. Il y a dix ou quinze ans, éditer un logiciel utilisable à l’échelle du Groupe nécessitait de maîtriser toutes les couches d’infrastructures (stockage des données, capacités de calcul, réseaux, systèmes de sauvegarde…) avant de pouvoir développer la couche fonctionnelle à valeur ajoutée. Même une fois que l’application était mise au point, passer de 1 000 à 150 000 utilisateurs en opérant des data internes représentait un effort colossal. Depuis l’avènement du cloud, les capacités de calcul et de stockage de données sont réunies dans des data centers mondiaux dont les performances en matière de fiabilité, de flexibilité et de mise à l’échelle sont impressionnantes, le tout à des coûts défiant toute concurrence. À partir du moment où vous testez avec succès une application, vous pouvez, dès le lendemain, la déployer auprès de centaines de milliers d’utilisateurs. De surcroît, les fournisseurs de cloud mettent à votre service des modules de plus en plus sophistiqués à partir desquels vous pouvez développer vos propres couches logicielles. Par exemple, pour du machine learning, vous pouvez partir du module SageMaker d’AWS, développer votre logiciel, puis le déployer à l’échelle mondiale en quelques mois.
De ce point de vue, le handicap apparent que constituait le fait de débuter dans le monde du logiciel s’est avéré être un atout, car nous avons pu d’emblée adopter les bonnes pratiques définies par les grands groupes du web, qui n’ont rien à voir avec la façon dont on produisait les logiciels il y a dix ans.
Au final, ce qui pouvait apparaître comme une ambition démesurée s’est révélée être un pari stratégique rationnel : en nous concentrant sur les fonctionnalités qui sont au cœur de notre expertise, en nous appuyant sur les outils du cloud et en recrutant des personnes formées aux bonnes pratiques, il est réaliste de penser que nous pouvons fabriquer des logiciels plus pertinents et performants que ceux des éditeurs génériques.
La structuration de la software company
Nous avons progressivement mis en place une équipe de 420 personnes réparties entre la France, la Belgique, les États-Unis et le Brésil, et organisées en product teams. L’équipe dédiée à chaque logiciel dispose réellement du pouvoir de concevoir, construire et faire tourner une application spécifique répondant à un besoin du business. Elle s’appuie, en revanche, sur des équipes transversales offrant des compétences en matière d’opérations, de data science, de design, de software engineering ou de cybersécurité, qu’il ne serait pas intéressant de fractionner. Il est, en effet, toujours économiquement préférable de mutualiser des ressources aussi difficiles à recruter et à conserver. C’est d’ailleurs aussi une configuration recherchée par les profils concernés. Ils apprécient la proximité de pairs qu’ils reconnaissent pour leurs compétences, ce qui leur garantit de continuer de progresser et de travailler sur des projets stimulants.
Pour la conception des logiciels, nous appliquons quatre grands principes tirés des bonnes pratiques des géants du web : se baser sur les besoins du business ; industrialiser la production en recourant à des outils d’automatisation, ou encore de débogage ; concevoir des produits qui durent (sachant qu’ENGIE signe parfois des contrats sur vingt ou trente ans) ; construire un écosystème digital interopérable.
Les grands choix d’orientation stratégique, qui permettent de définir la nature de l’avantage concurrentiel recherché, l’ampleur des investissements consacrés au projet, ou encore le périmètre de déploiement, sont donc définis par un comité composé de dirigeants de business units.
Les équipes fonctionnent en mode agile, ce qui signifie qu’elles développent des fonctionnalités logicielles autoportantes dans un délai maximal de deux ou trois semaines. Un rendez-vous de PI Planning (Program Increment Planning) permet alors d’analyser le résultat pour le valider, ou le réorienter. Cette progression par itération, qui est devenue la démarche type en développement logiciel, permet de se réaligner en permanence avec les besoins du business et de construire progressivement le produit.
Le modèle économique est assez simple. ENGIE Digital réalise les investissements, est propriétaire de ses logiciels, puis les facture aux différentes entités sous forme de licences. En effet, à la différence des petits projets réalisés par la digital factory, qui étaient assez peu coûteux, les logiciels que nous produisons désormais nécessitent des investissements importants, récurrents et forcément risqués, que les entités business n’apprécieraient guère de financer sur plusieurs années. Le fait de centraliser l’investissement permet d’éviter des négociations épuisantes et de se protéger des injonctions de court terme du cycle opérationnel. Ce sont, en dernier lieu, les entités business qui supportent le coût du logiciel, mais à un moment où le risque a disparu et où la valeur créée commence à être tangible.
Les logiciels produits par ENGIE
Voici maintenant quelques-uns des logiciels que nous avons développés.
Darwin collecte en temps réel les données communiquées par les parcs éoliens, solaires, hydroélectriques et biogaz, et les croise avec d’autres informations, comme les prévisions météorologiques. Cela aide les équipes opérationnelles à détecter les performances et sous-performances, à améliorer la maintenance prédictive et à accroître la prévisibilité sur la production, ce qui permet, grâce à l’intelligence artificielle, de commercialiser l’énergie produite à des tarifs plus élevés. Ce logiciel est désormais déployé mondialement.
Le logiciel eCare, destiné aux particuliers, leur permet, grâce aux compteurs communicants et à des algorithmes de machine learning, d’optimiser leur consommation énergétique – en décalant certains usages dans le temps et en tenant compte de leur éventuelle autoproduction d’électricité photovoltaïque, par exemple, ou de leurs possibilités de stockage –, mais aussi de contrôler en temps réel l’état de fonctionnement du parc et de résoudre les problèmes à distance.
BeeWe est une plateforme d’économie collaborative permettant de visualiser les stocks de pièces de rechange dont disposent les dizaines de centrales thermiques d’ENGIE à travers le monde. Certaines de ces pièces sont critiques, à la fois parce qu’elles coûtent cher et parce que, si elles viennent à manquer, la centrale s’arrête, ce qui se traduit par un manque à gagner rapidement très important. BeeWe permet de gérer les échanges de pièces de rechange entre les différentes centrales de façon à optimiser à la fois le niveau des stocks et l’acheminement des pièces en cas de panne. Aujourd’hui, lorsqu’une pièce fait défaut au Chili, on peut identifier la pièce en question dans le stock dont dispose une centrale située aux Émirats arabes unis et la faire venir en urgence. Jusqu’alors, la centrale du Chili devait attendre trois mois que la pièce soit produite.
Robin Analytics permet d’anticiper la dégradation des équipements des centrales thermiques due au stress imposé par le caractère intermittent des énergies renouvelables dans le mix énergétique. Grâce à cette solution, on évite les pannes et arrêts non planifiés, tout en optimisant la stratégie de maintenance.
Agathe est une solution de maintenance prédictive installée chez nos clients, en particulier dans les centrales de traitement d’air. Elle permet de prévenir les défaillances et les dérives énergétiques des installations – par exemple, les colmatages de filtres. En combinant expertise en data science et expertise technique de la maintenance, elle permet d’améliorer en continu les algorithmes par la validation des préconisations proposées.
Notre filiale ENGIE Impact aide les entreprises à calculer leur empreinte carbone, puis à établir une feuille de route optimale vers la neutralité carbone. La solution Ellipse leur permet de recueillir et de traiter une grande quantité de données, en particulier pour les émissions de scope 3 – particulièrement difficiles à calculer dans la mesure où elles sont générées en amont ou en aval de l’entreprise –, d’identifier les points sensibles ainsi que de modéliser des scénarios d’atténuation en vue de réduire les émissions de manière proactive.
Livin’ est un logiciel de pilotage urbain permettant d’optimiser les décisions d’arbitrage ou de planification en matière d’éclairage public, de régulation du trafic, de sécurité, de stationnement, de qualité de l’air, de gestion des bornes de recharge électrique, etc.
Nemo permet d’optimiser l’efficacité énergétique des réseaux de chaleur, en tenant compte des points de consommation, des points d’injection de chaleur et des pertes thermodynamiques du réseau, et aussi d’accroître la part d’énergies renouvelables mobilisée par ces réseaux. Désormais, cette solution s’applique aussi aux réseaux de froid, comme celui de Fraîcheur de Paris (anciennement Climespace), dans notre capitale.
La solution Smart Institutions a été développée pour un campus américain, l’Ohio State University, qui accueille quotidiennement 110 000 personnes et fonctionne comme une petite ville, avec un hôpital lié à la faculté de médecine, ou encore un stade d’une capacité de 50 000 spectateurs. Smart Institutions permet d’assurer le suivi des consommations à l’échelle du campus, ce qui représente un terrain de jeu passionnant pour tester des transformations énergétiques d’une certaine ampleur, car, contrairement à ce qui se passe dans les municipalités françaises, où les circuits de décision peuvent être complexes, dans les campus américains, c’est le président de l’université qui prend toutes les décisions. Cette solution a, depuis, été mise en œuvre dans plusieurs campus américains. Nous tenons là une preuve de compétitivité accrue grâce au logiciel, qui est la cristallisation des savoir-faire du Groupe.
Débat
Des logiciels destinés à un usage interne
Un intervenant : Certains de vos concurrents, comme TotalEnergies ou EDF, doivent rencontrer les mêmes problématiques que vous. Leur vendez-vous vos logiciels ?
Olivier Sala : Dans la mesure où ceux-ci sont destinés à nous procurer un avantage concurrentiel, nous nous gardons bien de les partager avec nos concurrents. D’autres entreprises ont un modèle d’affaires différent, comme Schneider, qui a racheté des sociétés dont le métier consiste à mettre des logiciels sur le marché.
L’articulation avec la DSI
Int. : Comment l’articulation entre ENGIE Digital et la DSI d’ENGIE se fait-elle ?
O. S. : Les deux rendent compte au même directeur, mais elles s’occupent de domaines différents. La DSI protège les fondations de l’entreprise en matière d’infrastructures, de cybersécurité, d’interopérabilité, de politique de données, etc., mais elle ne produit pas de logiciels pour les entités business, rôle qui est dévolu à ENGIE Digital.
Les choix d’orientation stratégique
Int. : Vous avez indiqué que les choix des grandes fonctionnalités développées sont définis par un comité dirigé par les patrons des entités business. Or, ceux-ci sont habituellement peu impliqués dans des problèmes vus comme informatiques. Comment réussissez-vous à les mobiliser ?
O. S. : Les solutions que nous développons sont susceptibles de nous assurer deux grands types d’avantages concurrentiels, une amélioration de l’efficacité opérationnelle (optimiser l’exploitation des parcs, accroître leur disponibilité, réduire les coûts de maintenance…) ou une différenciation constituant un atout pour décrocher de grands contrats à l’international. La définition précise de l’ambition stratégique assignée au futur logiciel est confiée aux managers business. Ces derniers doivent prendre leurs responsabilités et formuler un objectif parfaitement clair, de sorte que toutes les équipes puissent s’aligner sur celui-ci. En effet, il serait très risqué que ce soient les managers de la partie software qui décident de ce qui est pertinent pour la compétitivité du métier. Il serait tout aussi risqué de faire prendre de telles décisions par des représentants des métiers qui n’auraient pas toute la légitimité nécessaire pour entraîner l’entreprise sur des actions structurantes à long terme.
Int. : Comment les patrons des 24 entités business d’ENGIE se mettent-ils d’accord entre eux sur ces stratégies ?
O. S. : Tous ne sont pas concernés par tous les projets. En général, les comités prenant les décisions stratégiques comprennent de 4 à 7 parties prenantes clés, parmi lesquelles toutes n’ont pas le même poids et ne sont pas forcément motrices. Certains patrons ont le sens du risque et savent regarder loin devant. D’autres restent davantage en retrait. Comme toujours, il faut identifier les champions qui vont permettre d’obtenir les premières réussites, lesquelles vont convaincre le “ventre mou” de l’entreprise, jusqu’au moment où même les plus réticents seront obligés de suivre le mouvement.
Pour y parvenir, il est primordial que la direction générale tienne un discours de conviction : « La question n’est pas de savoir s’il est souhaitable de se procurer un avantage concurrentiel par nos logiciels, mais de comprendre comment nous allons y parvenir, et c’est à vous, qui connaissez parfaitement votre business et vos métiers, de nous expliquer de quelle façon nous allons faire gagner ENGIE sur chacun de ces métiers. »
En réalité, le plus difficile n’est pas d’obtenir l’implication du top management dans la définition de la valeur ajoutée recherchée, mais de réussir à déployer les solutions partout sur le terrain, même lorsque celles-ci ont fait leurs preuves. Catherine MacGregor, notre nouvelle directrice générale, est très vigilante sur ce point.
D’où viennent les innovations ?
Int. : Qui est à l’origine des propositions de nouveaux logiciels ? Le top management ? Les salariés ?
O. S. : Le top management apporte l’argent, l’ambition et la dynamique du projet. Les idées viennent des experts de terrain qui, contrairement aux top managers, ont une conscience précise de ce qui fera la différence avec la concurrence : « Moi, je peux vous dire que les clients, dans tel domaine, c’est telle fonctionnalité qu’ils veulent. » Il n’y a pas forcément grand monde dans l’entreprise qui détient ce savoir. Toute la difficulté est d’identifier les bonnes personnes.
Int. : Comment procédez-vous ?
O. S. : Lors des PI Planning, le responsable produit (product owner), qui assume la vision produit à long terme et qui est chargé de l’interface entre les opérationnels métier et les développeurs, organise des ateliers au cours desquels il identifie assez rapidement ceux qui ont quelque chose à dire. Certains de ces opérationnels experts sont très motivés car, venant des “sous-couches” de l’organisation, il ne leur arrive pas souvent de disposer de tels leviers d’action. Le rôle du responsable produit est d’essayer de les fidéliser en valorisant ce qu’ils apportent. Par exemple, la direction générale ou la présidence viennent rendre visite à ces personnes et se font expliquer que c’est leur contribution qui a permis de remporter tel ou tel contrat.
Not invented here
Int. : ENGIE a fait le choix de se doter d’une filiale digitale, mais comment être sûr de la compétitivité de cette dernière par rapport à des prestataires externes ? Il arrive que l’on freine une innovation au prétexte du “not invented here”, ou, au contraire, que les entités business refusent d’adopter une innovation au motif qu’elle vient de l’interne et que « l’externe, c’est mieux ». Comment gérez-vous ces difficultés ?
O. S. : Le genre de logiciel que nous développons ne se trouve guère sur le marché. Par ailleurs, pour gagner un avantage compétitif par rapport aux concurrents d’ENGIE, il est indispensable que les équipes de développeurs et les équipes business travaillent coude à coude, ce qui n’incite pas à recourir à un prestataire extérieur.
Bien sûr, cela nous impose de recruter nous-mêmes d’excellents développeurs, data scientists, ou encore architectes de logiciel, ce qui nous coûte très cher, mais, dans la mesure où nous cherchons à créer de la valeur ajoutée, la question du coût n’est pas prioritaire.
En contrepartie, cela nous impose de nous demander en permanence si les sujets que nous traitons sont vraiment importants et susceptibles de créer de la valeur ajoutée, ou si un résultat comparable pourrait être obtenu en recourant à un logiciel du marché.
Le recrutement
Int. : Réussissez-vous à attirer suffisamment de talents ?
O. S. : Dans l’ensemble, oui. D’une part, nous leur proposons de travailler dans une société entièrement dédiée aux logiciels et de très bon niveau, ce qui est attrayant pour eux et contribue à leur employabilité ultérieure. D’autre part, à la différence d’autres entreprises, nous les mobilisons sur un sujet d’actualité, la transition carbone. Enfin, ils savent que les logiciels qu’ils vont concevoir ne seront pas déployés de façon anecdotique, dans trois ou quatre quartiers de Paris, mais qu’ils seront mis en œuvre mondialement. À salaire égal et à technologies comparables, les jeunes générations préfèrent travailler chez nous que dans une banque ou chez un pétrolier.
L’art difficile de la transformation
Int. : Quelle a été la hauteur de la marche pour transformer l’entreprise et lui faire adopter le mode agile ?
O. S. : Notre stratégie a consisté à construire quelque chose de nouveau à côté de l’entreprise, plutôt que de chercher à rendre agile l’ensemble de l’organisation existante…
De toute façon, pour produire des logiciels de qualité, il vaut mieux créer une société qui aura, dès le départ, l’ADN approprié, puis la faire grandir.
Cela dit, même lorsque ENGIE Digital réussit à créer un logiciel dont les avantages sont démontrés, beaucoup reste à faire pour qu’il soit mis en œuvre dans l’ensemble de l’organisation. En effet, le logiciel lui-même est un vecteur de transformation, surtout s’il concerne les process de l’entreprise, et il va nécessairement avoir un impact sur le travail de milliers de gens. Les sociétés de service qui se chargent de mettre en œuvre les logiciels de SAP sont 20 fois plus grosses que SAP elle-même…
Le compte rendu de cette séance a été rédigé par :
Élisabeth BOURGUINAT