Deux histoires de trésors
À la fin du témoignage de Christian Brabant sur le fonctionnement d’ecosystem, un éco-organisme chargé de recycler les déchets d’équipements électriques et électroniques, quelqu’un lui a demandé d’où il tirait l’énergie qui lui avait permis de construire et de faire vivre une entreprise aussi complexe, avec notamment une comitologie à donner le tournis. « Pendant vingt-cinq ans, a-t-il répondu, j’ai vendu des millions d’appareils de froid ou de machines à laver sans me soucier de ce qu’ils deviendraient après usage. Parvenu à l’âge de 50 ans, il était temps que je me préoccupe de leur fin de vie ! »
Cette réponse m’a fait penser à un petit conte juif : « Pendant trois nuits d’affilée, Eisik fils de Yekel, qui vivait à Cracovie, fit le même rêve : un trésor l’attendait à Prague, sous le pont Charles, face au Palais royal. Eisik, étant très pauvre, décida de tenter sa chance et se mit en route. Parvenu devant le pont, il l’examinait sous tous les angles, ne sachant où chercher le trésor, quand le chef des gardes, intrigué par ses allées et venues, lui demanda ce qu’il manigançait. Penaud, Eisik lui raconta son rêve et l’autre éclata de rire : “Alors c’est pour un simple rêve que tu es venu ici ? À ce compte, j’aurais pu, moi, aller à Cracovie. Voilà trois jours que je rêve qu’un fabuleux trésor se trouve sous le fourneau d’un certain Eisik fils de Yekel, à Cracovie”. Eisik retourna chez lui, où il déterra le trésor sous le fourneau. »
On peut trouver plusieurs rapports entre les deux histoires. Eisik a gagné une grande fortune grâce à son vieux fourneau, de même que nous pourrions économiser beaucoup d’argent en réparant ou recyclant tous les objets qui nous entourent.
Eisik a dû entreprendre un grand voyage avant de découvrir ce qui se trouvait depuis toujours chez lui, et nous devons déployer des trésors d’ingénierie et de gestion pour accomplir ce que la nature fait depuis toujours en recyclant en toute discrétion tous les déchets qu’elle produit.
Eisik s’est trouvé tout penaud devant le pont, sans savoir par où commencer, mais s’il ne s’était pas obstiné malgré ce moment d’échec et de doute, il n’aurait pas rencontré le chef des gardes. Et s’il n’avait pas eu le courage de lui raconter son rêve, au risque de paraître ridicule aux yeux de quelqu’un qui ne croyait pas aux rêves, il n’aurait pas appris le secret qui allait le rendre riche. De même, j’imagine que Christian Brabant a dû s’obstiner malgré de nombreux échecs et moments de doute, qu’il a dû croiser, sur son chemin, des tas de gens qui lui ont expliqué que son projet n’était qu’une utopie, et que ce sont ces doutes et ce scepticisme qui lui ont permis de trouver les bonnes solutions aux différents problèmes rencontrés.
Mais surtout, jamais Eisik n’aurait creusé sous son fourneau s’il n’avait auparavant fait un voyage qui l’avait emmené à plus de cinq cents kilomètres de là et, de même, jamais, comme Christian Brabant le laisse entendre, il n’aurait trouvé l’énergie de résoudre le problème des déchets électroniques s’il n’avait, pendant vingt-cinq ans, contribué à disséminer des déchets électroniques sur la planète.
En revanche, contrairement à Eisik, on peut penser qu’il n’a pas eu besoin d’un rêve mystérieux pour se lancer dans son projet. Tout s’est sans doute passé comme dans un ressort, dans lequel la compression accumule de l’énergie, qui est ensuite libérée par l’extension.
Ceci me conduit à une autre histoire de trésor, juive également : « Un homme se promène le long d’une plage quand il entend une voix qui lui dit : “Creuse !” Personne autour de lui. Il pense avoir eu une hallucination. La voix reprend : “J’ai dit ‘Creuse’ !” L’homme se met à creuser et trouve rapidement un coffre rouillé, qui s’avère être plein de pièces d’or. “Va les changer contre de l’argent !” L’homme s’exécute, ravi. “Rends-toi au casino !” Il y court. “Joue à la roulette et mets tout sur le numéro 27.” Surexcité, l’homme met tout son argent sur le 27. La roulette tourne, tout le monde retient son souffle, et la bille s’arrête sur le 26. “Eh Meeeeerde !” dit la voix. » Toutes les voix mystérieuses ne sont pas bonnes à entendre, et encore moins à écouter. Cela tombe bien. Nous sommes tous des Christian Brabant : cela fait si longtemps que nous jetons au lieu de réparer ou de recycler. Fini de rêver, mettons-nous en route !