Exposé de Dominique Mockly

La société Gaz du Sud-Ouest a été créée en 1945. Lors de la fusion entre Elf Aquitaine et Total, elle a été intégrée sous l’acronyme TIGF (Total infrastructures gaz France). Quand le groupe a cédé ses infrastructures, l’entreprise a conservé ce nom qui signifiait désormais Transport infrastructures gaz France. En 2018, nous avons pris le nom de Teréga, composé à partir des mots territoire, réseau et gaz, afin d’évoquer à la fois notre métier d’opérateur d’infrastructures gazières et notre ancrage dans les territoires. Nous avons volontairement omis le z de gaz, car, dans l’esprit des gens, ce mot désigne essentiellement le méthane. Or, nous nous préparons à transporter, dans les prochaines années, différents types de gaz, notamment de l’hydrogène.

Transport et stockage

Notre premier métier consiste à transporter d’importants volumes de gaz d’un point à l’autre du réseau, entre les grands expéditeurs et ceux qui consomment le gaz, notamment des industriels (119 postes de livraison) ou des réseaux de distribution publique (324 postes de livraison). Au total, nous travaillons pour 68 clients et nous gérons 5 000 kilomètres de canalisations, soit 16 % du réseau de transport de gaz national.

Notre deuxième grand métier est le stockage de gaz naturel pour répondre aux variations saisonnières de la demande et garantir la sécurité d’approvisionnement. Dans ce domaine, nous avons 27 clients et nous disposons de 2 sites de stockage souterrains en nappe aquifère, très proches l’un de l’autre, à Lussagnet (Landes) et Izaute (Gers). Avec 2,9 gigamètres cubes de volume disponible, ils représentent 26 % des capacités de stockage françaises.

Depuis 2018, l’activité de stockage est régulée, comme l’était déjà celle du transport. Notre chiffre d’affaires, qui s’élève à 460 millions d’euros (pour 661 collaborateurs), repose sur des tarifs fixés tous les quatre ans. En contrepartie, nous n’avons pas de compétiteur sur notre territoire, qui correspond au quart sud-ouest de la France.

Le réseau de Teréga comporte 2 interconnexions avec GRTgaz et 2 autres avec le réseau espagnol, ce qui nous permet de faire transiter le gaz vers le nord et l’est de la France ou vers le sud, dans un sens ou dans l’autre, en fonction des besoins.

Les deux grandes “artères” de notre réseau, qui nous permettent de recevoir le gaz en provenance des quatre terminaux GNL (gaz naturel liquéfié) français (Montoir-de-Bretagne, Dunkerque, Fos Tonkin et Fos Cavaou), se croisent à Lussagnet. Le fait que, contrairement à d’autres compagnies, nous assurons à la fois le transport et le stockage nous permet de répondre très rapidement aux besoins de nos clients.

Notre siège est situé à Pau, de même que l’activité de dispatching (commande, contrôle et équilibrage du gaz).

Un plan stratégique pour faire face aux grandes transitions

J’ai rejoint l’entreprise en 2016, à un moment où la sortie du groupe Total était encore récente et où TIGF se cherchait un second souffle et devait se préparer à faire face aux grandes transitions, énergétique, sociétale et numérique. Notre changement de nom a coïncidé avec le lancement de notre plan stratégique, baptisé IMPACT 2025. Comme en témoigne notre nouvelle signature, Le gaz, accélérateur d’avenir, nous voulons nous positionner comme un accélérateur de la transition énergétique et comme un contributeur majeur au modèle énergétique de demain, dans lequel les différents gaz joueront un rôle clé. C’est pourquoi nous cherchons à aider les acteurs qui participent à la transition énergétique dans le domaine des gaz au sens large. En effet, si le ou les gaz ne font pas partie de la transition énergétique, notre réseau n’aura plus de valeur et n’existera plus. C’est donc un enjeu vital pour nous.

Satisfaire le consommateur et le marché

Le premier levier de notre stratégie consiste à satisfaire le consommateur et le marché, ce qui n’est pas évident, car nous ne sommes pas en contact avec le consommateur final. Pour nous, le pire serait de nous retrouver dans la position des agriculteurs, à qui l’on a expliqué qu’ils devaient produire des bovins et qui sont désormais priés d’arrêter d’en élever, car les consommateurs ne mangent plus de viande.

Il y a quelques années encore, beaucoup, dans l’entreprise, redoutaient l’arrivée du biométhane (« Plus on favorise le biométhane, moins on laisse de place pour le gaz naturel »). En réalité, le biométhane représente l’avenir et il ne faut surtout pas en avoir peur ! Nous devons, au contraire, contribuer au développement des nouveaux gaz (biométhane, hydrogène, CO₂, oxygène…) et de leurs usages.

Améliorer notre efficacité et notre responsabilité

Notre principale action opérationnelle pour améliorer notre efficacité a consisté à réorganiser notre réseau pour faire en sorte que la direction des opérations soit plus efficiente, anticipe les problèmes, assure un véritable monitoring et pas seulement une maintenance corrective.

Sécuriser nos activités

Assurer la sécurité des personnes, des installations et de leur environnement est pour nous une priorité absolue. Celle-ci s’est traduite, en 2018, par l’élaboration du programme PARI 2025 (prévention des accidents et des risques industriels), destiné à mobiliser tous nos collaborateurs sur les sujets de sécurité industrielle, de sécurité au poste de travail, de sûreté et de cybersécurité. Notre objectif, pour 2025, est de parvenir à “zéro accident, zéro accrochage, zéro surprise”.

Assumer notre responsabilité environnementale

Le volet environnemental de notre RSE a été baptisé BE Positif (bilan environnemental positif). Nous voulons réduire au maximum l’empreinte environnementale de nos activités, dans les domaines à la fois de l’eau, de l’air, du sol, des paysages, de la biodiversité, des déchets, ou encore du bruit. Nous appliquons une méthode appelée MERCI : monitorer, éviter, réduire, compenser nos impacts.

Nous avons, par exemple, remplacé nos véhicules diesel par des véhicules au GNV (gaz naturel pour véhicules), réalisé des économies d’énergie dans nos bâtiments – dont la plupart sont désormais certifiés HQE –, développé un logiciel d’optimisation qui nous permet de gérer au mieux le fonctionnement des compresseurs avec une contrainte d’émission de CO₂, remplacé une partie d’entre eux par des compresseurs électriques, réduit les émissions de méthane et de CO₂ lors des opérations de maintenance grâce à des recompresseurs. Nous allons également doter notre centre de stockage d’une infrastructure de fabrication d’électricité verte.

Nos deux objectifs étaient de parvenir à la neutralité carbone en 2020 et d’être positifs en 2025, au sens où nous pourrions contribuer à compenser les émissions de carbone au niveau national. Nous avons atteint le premier objectif et nous poursuivons le second en mobilisant des moyens supplémentaires.

Assumer notre responsabilité sociale

Notre fonds de dotation, baptisé Teréga Accélérateur d’Énergies, nous permet de soutenir des projets philanthropiques ou d’intérêt général avec des initiatives en matière de soutien éducatif et culturel dans les quartiers défavorisés, ou encore dans la protection de l’environnement. Nous sommes ainsi partenaires du projet Polar Pod, une plateforme habitée destinée à explorer l’océan Austral. Ces engagements répondent à la fois aux attentes de nos collaborateurs et à celles de nos parties prenantes.

Pour ne pas effaroucher nos actionnaires, nous avons mis en place un “comité probatoire de mission” qui devra se prononcer sur le fait que Teréga puisse devenir une entreprise à mission ou non.

Accroître notre notoriété

La première fois que j’ai présenté TIGF à un interlocuteur, il m’a interrogé : « C’est quoi, cette taxe ? » D’autres me demandaient : « Pourquoi venez-vous me rencontrer ? J’ai déjà vu Total ! » et je devais leur expliquer que nous ne faisions plus partie de ce groupe.

C’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons changé de nom. C’était en effet un moyen de nous faire connaître. Nous avons aussi organisé quelques événements, notamment le Teréga Open Pau-Pyrénées, un tournoi international de tennis masculin lancé par le joueur Jérémy Chardy. Créé en 2019, il est désormais connu localement comme “Le Teréga”, ce qui est un beau succès.

Sécuriser et accélérer

Cet axe regroupe l’ensemble de nos activités de développement, tant dans le domaine régulé que dans les activités en dehors de la régulation.

Réinventer l’ADN de l’entreprise

Enfin, notre plan stratégique vise à réinventer l’ADN de l’entreprise. Expliquer aux collaborateurs d’une entreprise régulée qu’il va falloir réduire les coûts pour accroître la rentabilité n’est pas forcément évident, pas plus que relancer le développement commercial alors que celui-ci avait été complètement abandonné depuis dix ou quinze ans, avec l’entrée en régulation. Pour transformer notre ADN, nous avons réalisé un exercice sur les valeurs et la culture de l’entreprise, mais nous nous sommes aussi énormément appuyés sur le digital pour bousculer les habitudes.

La transformation digitale au cœur de la stratégie

Quand j’ai rejoint l’entreprise, chaque direction avait sa propre DSI (direction des services d’information), et celles-ci étaient au service des opérationnels : « J’ai décidé qu’on allait faire comme ceci ; il faudrait que tu me programmes l’application correspondante. » Nous avons inversé les rôles, ce qui n’a sans doute été possible que parce que nous sommes une petite entreprise.

La Direction de la transformation, du digital et de la performance

Nous avons créé une seule DSI, appelée Direction de la transformation, du digital et de la performance (DTDP), dans laquelle nous avons réuni tous ceux qui, au sein des différents services, s’occupaient du digital, mais aussi des “urbanistes”, c’est-à-dire des personnes capables de repenser les systèmes d’information en fonction des nouveaux besoins. Aujourd’hui, par exemple, il n’y a plus de spécialiste du numérique à la direction financière ni à la direction commerciale.

Nous avons également mis à la poubelle le schéma directeur des systèmes d’information et défini une stratégie qui a été confiée à la nouvelle DTDP. Au sein du comité exécutif, celle-ci a désormais une voix prépondérante pour les questions relevant de son domaine, même si les décisions sont prises de façon collégiale. Si nous n’avions pas procédé de cette façon, nous n’aurions même pas pu franchir le premier pas de la transformation numérique.

Libérer la donnée

Après avoir regroupé les informaticiens au sein de la DTDP, encore fallait-il réunir les données éparpillées un peu partout dans l’entreprise. Nous nous sommes heurtés à une certaine résistance : « Si ce n’est plus nous qui gérons ces données, on va devoir changer de logiciel et ça, ce n’est pas possible ! » Les gens avaient l’impression de perdre le contrôle de leur cartographie, de leur réseau, de leurs données techniques.

Nous avons réuni les équipes de la direction des opérations et celles de la DTPD pour organiser la gestion centralisée des données, et mis un opérationnel à leur tête pour leur inspirer confiance. Aujourd’hui, les membres de l’entreprise ont compris que lorsqu’on leur enlève la gestion d’une donnée, ils ne perdent pas cette donnée, mais la retrouvent sous une autre forme et aussi bien gérée que lorsqu’ils s’en occupaient eux-mêmes.

G Suite et cloud

Nous avons renoncé à nos messageries maison pour adopter G Suite (aujourd’hui Google Workspace). La mise en place d’outils collaboratifs n’a pas été trop difficile, mais ressaisir ou convertir tous les documents existants pour les mettre au format de ces nouveaux outils a demandé beaucoup d’énergie.

Ce choix nous a permis de proposer à la CRE (Commission de régulation de l’énergie) une réduction de nos CAPEX informatiques (dépenses d’investissement) – puisque nous cessions d’être propriétaires de certaines infrastructures informatiques – et d’augmenter nos OPEX (dépenses d’exploitation), c’est-à-dire notre capacité à créer des applications métiers. Au départ, les actionnaires étaient réticents, car, dans une entreprise régulée, ce sont les CAPEX qui rapportent de l’argent. Nous avons réussi à les convaincre de sauter le pas. Au passage, en 2017, nous avons doté le conseil d’administration d’un outil digital performant qui nous a permis de supprimer tout le papier, de travailler de façon totalement sécurisée et d’ouvrir des perspectives que les actionnaires n’auraient jamais imaginées, alors même que plusieurs d’entre eux participent à de nombreux autres conseils d’administration.

Nous avons également basculé nos données dans le cloud, seule façon de nous mettre à la hauteur de ce que proposent Storengy, GRTgaz ou même l’espagnol Enagás, et de ce qu’attendaient nos clients, par exemple des outils d’enchère en ligne pour l’entrée en régulation des capacités de stockage.

Nous sommes résolument passés d’un modèle propriétaire à un modèle SaaS (software as a service), ce qui nous a également demandé beaucoup de travail. Ainsi, lorsque nous nous sommes attaqués au SAP (progiciel de gestion intégré), nous avons dû intervenir dans toute l’entreprise. Ne pas le faire revenait à ne rien faire… Nous avons regroupé tous les logiciels présents dans l’entreprise en “trains” dont il fallait extraire les “wagons” un par un pour les faire passer dans le cloud, en gérant, chaque fois, les interfaces avec les autres logiciels. Le jour où l’on atteint la “locomotive” du train, c’est bon !

Dans cette démarche, nous nous sommes appuyés sur une approche BSI (business, support, infrastructure). Pour les infrastructures, nous nous sommes adressés à Amazon. De même, pour le support, nous ne voulions pas perdre une minute à faire ce que d’autres font mieux que nous, que ce soit pour la finance, les achats, les fiches de paie, etc. C’est pourquoi, au lieu de développer un intranet, nous avons adopté Facebook, en privilégiant les publications sur les groupes plutôt que sur les profils individuels. Nous avons préféré concentrer nos efforts sur tout ce qui relève du business tel que la gestion des infrastructures, des flux, l’engineering, le design, etc. En particulier, notre système d’information industriel, IO-Base, a été conçu en interne, afin de lui assurer une protection maximale.

Réinternaliser la maintenance

À mon arrivée, le territoire était divisé en 12 secteurs, chaque équipe organisait son propre planning et la maintenance était largement sous-traitée. Nous avons redécoupé le territoire en 7 secteurs et constitué 7 équipes de 10 à 20 personnes. La planification des tournées est aujourd’hui centralisée. Sachant que nous avons 5 000 kilomètres de canalisations à gérer, il est très important de réunir le maximum d’informations, que ce soit via des capteurs installés sur les installations ou grâce aux personnes qui contrôlent le réseau. Pour ce faire, chaque opérateur a été doté d’une tablette communicante – non sans mal, car il a été difficile de trouver des équipements compatibles avec une utilisation en zone à risque d’explosion. Le recours à des outils digitaux modernes nous a permis, à effectifs quasiment constants, de réintégrer la maintenance dans l’entreprise, chaque groupe d’opérateurs étant désormais capable d’effectuer aussi bien des opérations de maintenance que de surveillance. La réinternalisation de la maintenance avait aussi pour but d’éviter que des sous-traitants aient une connaissance fine de notre réseau.

Des formations pour tous

Pour réussir cette transition, nous avons dû commencer par former l’ensemble des opérateurs à l’utilisation des outils digitaux et leur donner accès, sur leurs téléphones ou sur des tablettes, à des outils semblables à ceux que chacun de nous utilise pour consulter son compte en banque. Ils peuvent ainsi accéder facilement à l’ensemble des informations dont ils ont besoin concernant l’entreprise et le réseau.

Nous sommes massivement passés à l’apprentissage en ligne, en réservant le présentiel pour les formations les plus qualifiantes. Pour aider ceux qui rencontrent des difficultés avec le numérique, nous avons identifié des “champions” par une pastille collée sur leur bureau : chacun peut les solliciter sur toute sorte de sujets (utilisation de Google Workspace, SaaS, applications mises à disposition, etc.).

La fonction support a également été digitalisée, avec un catalogue de services en ligne. Les collaborateurs n’ont plus besoin de téléphoner, ils peuvent poser leur question par écrit, comme quand ils s’adressent à leur banque.

Tous les six mois a lieu un Digital Day, destiné à présenter les dernières nouveautés à tous les collaborateurs. Ainsi, nous avons récemment fait le point sur les nouvelles briques de notre jumeau numérique.

Une R&I au service de la transition énergétique et digitale

Quand le groupe Total a cédé TIGF, il n’a pas inclus des capacités de recherche et innovation dans le lot. Nous nous en félicitons, car cela nous a permis de créer notre équipe de toutes pièces, avec des effectifs assez réduits : 60 collaborateurs, mobilisés dans toutes les directions de Teréga, travaillent en partenariat avec une quarantaine d’universités, d’industriels, de start-up, d’acteurs de l’énergie ou d’experts scientifiques. Plus de 60 projets de R&I sont en cours, sous 4 grandes thématiques : la sécurité (programme PARI 2025), l’environnement (BE Positif), la transition énergétique, et enfin la diversification de notre offre commerciale. Nos dépenses de R&I s’élèvent en moyenne à 5 millions d’euros par an.

La structuration du Groupe

Avec la transition énergétique, les réseaux de gaz vont évoluer et nous devons chercher à nous positionner dans le nouveau paysage. En même temps, notre société doit respecter les règles imposées par la CRE et par la Commission européenne : nous n’avons pas le droit de fabriquer du biométhane ni de vendre du gaz sur le réseau, par exemple.

Pour pouvoir mener des activités hors du champ de la régulation, nous avons décidé de créer une autre société, Teréga Solutions. Teréga SA et Teréga Solutions dépendent de la même holding “animatrice”, Teréga SAS, qui fournit les ressources pour faire fonctionner ces deux sociétés opérationnelles. Teréga SAS dépend, pour sa part, de Teréga Holding, vers laquelle remontent les dividendes.

Depuis la création de Teréga Solutions, nous avons déjà lancé trois activités.

La première consiste à développer, construire et maintenir des unités de biométhane ainsi que des stations de GNV. Nous investissons pour cela dans des start-up comme Dualmétha, dont le procédé de méthanisation en voie sèche nous paraît intéressant pour atteindre des prix compétitifs. Après l’entrée en production du premier projet, nous nous sommes attelés à un nouveau modèle d’affaires, destiné à faciliter l’accès à la production de méthane pour les groupements d’agriculteurs. Nous leur proposons de concevoir le projet, d’obtenir les agréments, de construire l’infrastructure, de la maintenir et de la leur louer. Le premier montage de ce type concerne un projet situé près de Châteauroux, qui sera bientôt raccordé au réseau de GRTgaz.

La deuxième activité concerne le digital et nous l’avons développée à partir de notre système IO-Base. Il s’agit d’offrir des services digitaux permettant d’améliorer la performance industrielle de bâtiments, de procédés industriels et d’infrastructures, mais aussi leur performance environnementale, par exemple en monitorant les flux de chaleur fatale pour les récupérer dans des réseaux de chaleur. L’objectif, à terme, est d’offrir aux écosystèmes locaux des microplateformes de gestion énergétique et d’échanges énergétiques qui pourront impliquer du gaz, mais aussi de l’eau, de la chaleur, etc.

La troisième activité concerne l’hydrogène. La transformation de notre réseau, pour lui permettre de transporter de l’hydrogène, est pilotée par notre direction de la stratégie. La business unit Hydrogène de Teréga Solutions travaille, pour sa part, sur le développement, la construction et l’exploitation de systèmes de transport, de stockage ou de ravitaillement en hydrogène. Si nous ne nous mobilisons pas sur ce type de sujets, nous nous exposons à ce que les grands réseaux s’emparent de la totalité des futurs marchés. C’est ce qui nous a conduits à un partenariat, en 2021, avec le circuit de Pau-Arnos, qui accueillait deux manches de la coupe du monde des voitures de tourisme (WTCR) ainsi que la finale du Pure ETCR électrique, qui aurait dû avoir lieu en Corée du Sud. Les voitures électriques étaient rechargées par des piles à combustible et nous avons installé les postes de livraison de l’hydrogène ainsi que l’alimentation en hydrogène jusqu’aux piles à combustible. Nous sommes maintenant en train d’industrialiser ce dispositif pour le vendre à d’autres circuits.

Quelques réalisations

Le raccordement de nouveaux clients pour le biométhane

Pour le développement des connexions biométhane, nous sommes plutôt en retard par rapport aux autres grands opérateurs français, surtout en Occitanie. Notre réseau ne comprend encore que 3 sites d’injection de biométhane, mais 6 contrats supplémentaires ont été signés, et nous avons également 13 prospects, dont 2 en Nouvelle-Aquitaine et 11 en Occitanie, celle-ci étant en train de rattraper son retard.

Ces résultats sont le fruit d’un très gros effort commercial, à la fois pour trouver des prospects, pour les aider à faire en sorte que leur projet puisse se raccorder au réseau et pour organiser le zonage (« Telle installation de biométhane doit-elle être raccordée sur un réseau de transport ou sur un réseau de distribution ? »). Quatre personnes s’en occupent à plein temps.

Les stations de GNV

En ce qui concerne le GNV, 2 stations sont déjà raccordées et nous avons 5 prospects.

Les limiteurs d’émissions de méthane

Après la mise en place de notre premier limiteur d’émissions de méthane sur une station de compression, nous sommes en train d’équiper 2 autres sites, pour un coût unitaire de 5 millions d’euros. Là encore, notre petite taille a été un atout, car il est plus facile d’équiper un réseau comprenant 6 stations de compression, comme le nôtre, que celui de GRTgaz, qui en compte 28. Notre expérience peut néanmoins permettre à nos confrères de demander, à leur tour, à la CRE de prendre en compte la réalisation de ce type d’installation dans l’établissement de leurs tarifs.

Mobile Comp

Lors d’une opération de maintenance, une quantité non négligeable de gaz part dans l’atmosphère ou est brûlée. Il existe des camions de recompression qui permettent de réduire ces émissions, mais ceux qui sont présents sur le marché ne correspondent pas aux plages de pression dont nous avons besoin sur certaines de nos installations.

Nous nous sommes donc dotés de camions de recompression spécifiques, que nous pouvons, si besoin, mettre à la disposition de nos confrères, en particulier les opérateurs espagnols. Chacun de ces Mobile Comp coûte environ 2,5 millions d’euros, mais, compte tenu de la quantité de gaz rejetée lors d’une opération de maintenance entre deux postes de sectionnement, c’est un investissement justifié.

Solus

Notre site de stockage de Lussagnet sera prochainement alimenté en électricité par une centrale d’énergie solaire. Celle-ci n’est pas suffisante pour les phases les plus intenses de soutirage ou de compression, pendant lesquelles nous sommes obligés de nous alimenter sur le réseau, mais elle nous permettra de couvrir nos besoins en période étale et même de compenser l’énergie électrique consommée sur nos autres sites.

La sécurisation de nos infrastructures existantes

Dans le domaine de la sécurisation, nous sommes en train de rénover 68 kilomètres de canalisations dans la région d’Albi, pour un budget de 77 millions d’euros. Mises en service en 2026, ces nouvelles installations vont nous permettre de raccorder de nombreuses stations de production de biométhane en Aveyron.

Le projet Secure Lug, quant à lui, est destiné à sécuriser les débits d’injection et de soutirage de nos deux sites de stockage.

IO-Base, jumeau numérique et Indabox

Notre outil IO-Base nous permet d’optimiser notre performance en tirant le meilleur parti de notre outil industriel, de notre système d’information – qui a été redimensionné – et des applications du cloud.

Ce socle digital nous a permis de créer un jumeau numérique à partir de nos données industrielles afin d’accélérer la création de valeur et de sanctuariser nos réseaux industriels vis-à-vis des risques de cybersécurité.

Nous avons, pour cela, développé une innovation, Indabox, qui a fait l’objet du premier brevet déposé par l’entreprise depuis 1989. Il s’agit d’une diode placée dans le tableau électrique, qui permet d’envoyer toutes les données du système industriel dans le cloud, en sens unique. Ces données alimentent des outils de visualisation, de simulation, de maintenance prédictive, de gestion des stations, de monitoring des flux à distance, etc. Désormais, quand un opérateur fait sa tournée, par exemple, il peut vérifier sur son téléphone si la station est sous pression ou non. Auparavant, il devait téléphoner pour demander quelle était la configuration de l’installation.


Débat

Devenir une entreprise numérique ?

Un intervenant : Certaines entreprises industrielles, après avoir développé des outils numériques pour elles-mêmes, se mettent à les vendre et deviennent quasiment des entreprises numériques. Pourriez-vous l’envisager pour Teréga ?

Dominique Mockly : Nous en avons discuté avec nos actionnaires et ce n’est pas du tout à l’ordre du jour. En revanche, nous allons continuer à valoriser ce que nous savons faire à travers des partenariats intelligents.

Le contrôle du régulateur

Int. : Quelles sont les interférences du régulateur avec vos choix de développement ? Teréga Solutions échappe-t-elle à son contrôle ?

D. M. : Je ne peux pas investir 1 centime dans Teréga Solutions sans obtenir au préalable l’accord du régulateur. Pour pouvoir acquérir 20 % du capital de Dualmétha, par exemple, nous avons dû expliquer au régulateur qu’en aucun cas, nous ne participerions à un projet aboutissant à injecter du biométhane sur notre propre réseau. Nous devons, chaque fois, démontrer que nous respectons les règles.

Le leasing d’opérations industrielles

Int. : Votre démarche consistant à monter des projets de méthanisation pour le compte des groupements d’agriculteurs me rappelle une autre séance de l’École de Paris du management, lors de laquelle une filiale du groupe Casino nous a expliqué comment elle propose à ses clients de financer l’installation de centrales solaires sur leurs bâtiments et de les leur louer ensuite1. Ce modèle semble se répandre de plus en plus.

D. M. : Nous avons l’interdiction d’investir dans des sociétés productrices de biométhane et nos actionnaires ne souhaitent pas que nous investissions dans des fonds, car ils peuvent le faire eux-mêmes. Nous avons retourné le problème dans tous les sens et le leasing d’opérations industrielles nous est apparu comme le seul modèle envisageable.

Ancrage dans les territoires et petite taille

Int. : En quoi votre ancrage dans les territoires et votre petite taille ont-ils constitué des atouts pour engager votre transition environnementale et numérique ?

D. M. : Pour déployer le digital dans l’entreprise, nous avions besoin de 4 ou 5 alternants et cela ne représentait pas un volume suffisant pour que le CESI (Campus d’enseignement supérieur et de formation professionnelle) organise une formation. Nous avons fait le tour des autres entreprises et constitué un réseau avec celles qui avaient le même besoin que nous. Aujourd’hui, le CESI forme 15 alternants. Un grand groupe piloté depuis Paris n’aurait peut-être pas su trouver cette solution.

Autre exemple, en discutant avec des chercheurs de l’INRA (Institut national de recherche agronomique), à Toulouse, nous avons appris qu’ils ne pouvaient pas déployer certaines de leurs innovations faute de plateforme industrielle ou préindustrielle pour les tester. Nous avons créé une plateforme appelée Solidia, qui ne représentait pas un investissement important, mais nécessitait de mobiliser des sources de CO₂ et d’hydrogène, et aussi de disposer d’équipes pour en assurer la maintenance et l’entretien, ce qui ne posait pas de problème pour nous.

Nos partenaires locaux savent nous renvoyer l’ascenseur : ce sont pour nous de vrais alliés. Ainsi, François Bayrou, maire de Pau, dit souvent que « Pau, c’est Teréga et Teréga, c’est Pau ».

Lors de la création du Territoire d’industrie Lacq-Pau-Tarbes2, par exemple, les promoteurs du programme m’ont demandé d’être le référent industriel de ce dispositif. Ils savaient que, en tant qu’opérateur de réseau, je connaissais déjà tous les industriels locaux et que, par ailleurs, nous avions engagé une transformation digitale qui nous donnait des compétences utiles. Nous pouvons ainsi faire profiter même de petites sociétés de notre expérience de transformation en entreprise 4.0, ou encore de notre expérience de RSE. Là encore, la filiale d’un grand groupe n’aurait sans doute pas eu les mains libres comme nous pour prendre des initiatives sans en référer constamment à son siège. L’autonomie de décision est l’une des grandes forces des entreprises locales.

Notre petite taille constitue également un atout dans le cadre de partenariats stratégiques. Dans le nouveau monde de l’énergie qui est en train de se dessiner, la plupart des entrepreneurs ont peur des grands groupes (« Si je fais un partenariat avec eux, je vais me faire manger ! »), mais pas d’une entreprise de notre taille. Nous ne sommes propriétaires de rien à part notre réseau, nous n’avons pas de propriété intellectuelle, pas de grosse équipe de R&D et, en revanche, nous pouvons leur apporter une bonne connaissance de certains territoires et une assez forte technicité.

Notre petite taille nous apparente aussi à une équipe de rugby, dans laquelle les gens sont très proches les uns des autres.

La guerre en Ukraine

Int. : Quel peut être l’impact pour Teréga de la guerre en Ukraine et de la perspective d’arrêt des importations du gaz russe ?

D. M. : Compte tenu de la stratégie que nous avons adoptée, ces événements qui bousculent la vision selon laquelle le gaz russe serait éternel sont plutôt une opportunité pour nous. Des évolutions vont avoir lieu et elles iront dans le sens de la transition énergétique. Demain, il y aura dans nos tuyaux davantage d’hydrogène et davantage de biométhane qu’aujourd’hui, c’est certain.

1. Otmane Hajji, « Quand Casino se diversifie dans l’énergie renouvelable grâce au numérique », séminaire Transformations numériques et entrepreneuriales, séance du 18 janvier 2021.

2. Patrice Bernos, Audrey Le-Bars, Dominique Mockly et Jean-Michel Ségneré, « Lacq-Pau-Tarbes sait piloter son industrie », séminaire Aventures industrielles, séance du 26 novembre 2020.

Le compte rendu de cette séance a été rédigé par :

Élisabeth BOURGUINAT