« En même temps »
La célèbre formule présidentielle « en même temps » trouve dans la transition énergétique des applications qui éclairent son ambivalence.
Jean-François Caron nous explique ainsi que, dans sa commune de Loos-en-Gohelle, la pose d’une toiture photovoltaïque sur l’église a revêtu une valeur symbolique pour inciter les habitants à poser des panneaux sur leurs maisons, mais, plus prosaïquement, rapporte 5 000 euros par an à la municipalité et alimente les véhicules électriques du béguinage voisin qui, en retour, servent à stocker l’électricité non utilisée. De son côté, Éric Scotto évoque les serres anticycloniques couvertes de panneaux solaires installées par Akuo à La Réunion, qui permettent aux agriculteurs de conjuguer production électrique et production alimentaire, et de contribuer à la sécurité alimentaire durant les tempêtes tropicales.
Le concept d’agrivoltaïsme illustré par ce dernier exemple suscite toutefois quelques polémiques. Dans les régions où l’ensoleillement est excessif, l’ombre apportée par les panneaux peut être bénéfique aux cultures, mais, dans les climats plus tempérés, la réduction de l’ensoleillement entraîne mécaniquement une diminution de la production agricole. Le « en même temps », au lieu d’être gagnant-gagnant, s’avère être un jeu à somme nulle : l’espace consacré au photovoltaïque devient improductif pour l’agriculture.
Plus grave, la Confédération paysanne dénonce, dans l’agrivoltaïsme, un déséquilibre entre la rente financière liée à la production d’électricité et les revenus agricoles, laissant craindre que ce qui est présenté comme un complément de rémunération pour les agriculteurs devienne une fin en soi et que la spéculation entraîne la minéralisation et l’industrialisation des terres agricoles, au détriment de la souveraineté alimentaire de notre pays. En témoigne l’exemple d’une exploitation de Bourgneuf-en-Mauges, dont les 5 hectares de serres couvertes de panneaux photovoltaïques et initialement destinées à la production de fraises sont désespérément vides depuis plusieurs années. Le « en même temps » évoque alors le conte du loup et des chevreaux. Comme le loup, même en imitant la voix de la chèvre, ne parvient pas à se faire ouvrir la porte de la maison des chevreaux, qui ont aperçu sa patte noire sur le rebord de la fenêtre, il couvre ladite patte de farine et les chevreaux lui ouvrent alors sans méfiance. L’expression “montrer patte blanche”, tirée de ce conte, trouve aujourd’hui une nouvelle illustration dans le greenwashing. Quand la farine s’envole, ne reste que le loup et, dans ce jeu à somme nulle, l’un des joueurs rafle toute la mise.
L’exemple de l’église de Loos-en-Gohelle me paraît beaucoup plus vertueux. La pose d’une toiture photovoltaïque sur l’église ne nuit en rien à la fonction du bâtiment ni à sa vocation religieuse. Tout au contraire, l’énergie solaire recueillie par la toiture peut évoquer les langues de feu qui, à la Pentecôte, sont apparues au-dessus des têtes des apôtres, symbolisant l’Esprit-Saint qui descendait sur eux ! Plus sérieusement, le « en même temps » renvoie ici à deux fonctions distinctes (l’accueil des paroissiens et la production d’électricité) qui ne se font aucune concurrence et s’additionnent au lieu de prétendre se confondre, au risque que l’une prenne le pas sur l’autre.
De ce point de vue, la notion d’économie circulaire, qui peut être considérée comme une autre illustration du « en même temps », semble beaucoup plus convaincante que l’agrivoltaïsme, sauf dans des cas très particuliers comme celui décrit à La Réunion.
Tout cela me rappelle une photo prise par mon mari au Mont-Saint-Michel. Il avait cherché à me prendre en photo en même temps que la chapelle Saint-Aubert située au pied du mont, et, faute de recul suffisant, il nous avait coupées en deux l’une et l’autre. Qui trop embrasse mal étreint !