Exposé de Laetitia Vasseur

Après une formation en droit et en sciences politiques, j’ai commencé mon parcours professionnel comme collaboratrice parlementaire au Sénat. J’y ai notamment participé à l’organisation d’un débat parlementaire et d’échanges avec les cabinets ministériels dans la perspective d’une proposition de loi visant à créer le délit d’obsolescence programmée, thème complètement nouveau à l’époque. Une fois ce délit légalement institué, en 2015, j’ai considéré qu’il fallait aller plus loin, en mobilisant concrètement autour de cette cause. J’ai donc créé l’association HOP, Halte à l’obsolescence programmée, pour fédérer les consommateurs, faire valoir leurs droits et réduire le sentiment d’impunité des marques en la matière. Aujourd’hui, notre action dépasse le cadre du délit d’obsolescence programmée, puisqu’elle consiste aussi à réfléchir aux moyens d’allonger la durée de vie des produits. HOP est également agréée comme association nationale de protection de l’environnement.

L’allongement de la durée de vie des produits est un vaste combat, qui couvre les champs de la sobriété, de la réparation et du réemploi.

L’association HOP

Notre association compte 5 salariés et une vingtaine de bénévoles, et fédère 60 000 personnes environ. Nous actionnons plusieurs leviers d’action : sensibiliser et mobiliser une communauté de consommateurs pour défendre leurs intérêts et protéger l’environnement ; faire du plaidoyer pour obtenir des changements systémiques ; imposer des modifications dans le comportement des entreprises pour ensuite en faire la norme en France et en Europe.

Nous fédérons aussi des entreprises au travers du Club de la durabilité, dont l’ambition est de montrer qu’une économie fondée sur des produits plus durables et réparables est possible et viable. Ce club réunit des entreprises de toute taille et intervenant tout au long du cycle de vie du produit – fabrication, réparation, reconditionnement. Ces interactions avec les acteurs économiques procurent plus de poids à notre plaidoyer. Elles nourrissent aussi nos réflexions et nous permettent d’affiner nos propositions, dont le caractère pragmatique, concret et constructif est gage de succès.

En outre, nous avons constitué un comité des experts dont l’objectif est d’interagir avec le milieu de la recherche. De fait, il nous paraît essentiel de fonder notre action sur des études objectives et de creuser les thématiques dont nous traitons. Nous avons également créé notre propre institut de formation, l’Institut de la durabilité, pour les professionnels et les citoyens. Il participe à notre ambition de traduire concrètement nos victoires législatives et de disséminer la connaissance des enjeux et des implications de la durabilité dans toute la société.

Lutter contre l’obsolescence programmée

Nous utilisons tout un arsenal d’outils et d’actions.

Faire condamner les pratiques illégales

Puisque nous avons réussi à faire inscrire le délit d’obsolescence programmée dans la loi, nous faisons en sorte de l’utiliser, en recourant aux plaintes. Nous venons d’ailleurs d’en déposer une contre Apple.

Nous l’avions déjà fait en 2018, pour pratique commerciale trompeuse par omission et obsolescence programmée. Au terme d’une négociation avec la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes), seul le premier grief avait été retenu et Apple a été condamné, en 2020, à une amende de 25 millions d’euros et à publier une communication sur son site. En l’occurrence, il proposait en toute connaissance de cause des mises à jour qui, une fois téléchargées, faisaient ralentir et dysfonctionner les smartphones.

Nous avons déposé une nouvelle plainte ce matin-même, après avoir constaté qu’Apple mettait des entraves à la réparation, en recourant à la “sérialisation” ou à l’“appariement”. Cette pratique consiste à attribuer, dans une micropuce, un numéro de série aux pièces détachées d’un smartphone, afin d’entraver le remplacement des pièces usées en dehors des réseaux agréés. Certains fournisseurs proposent des pièces détachées génériques ou “cannibalisées”, c’est-à-dire récupérées sur d’anciens produits de la marque, mais ces pièces entraînent des dysfonctionnements – messages d’alerte abusifs, fonctionnalités non restaurées, mises hors service lors des mises à jour… – que seul un technicien Apple peut empêcher en débloquant le verrou logiciel lors du reconditionnement. Certes, des correctifs ont été apportés suite aux bugs constatés lors de la dernière mise à jour du système d’exploitation, l’iOS16, mais ils sont insuffisants dans de nombreux cas. L’application de prix de réparation prohibitifs et l’obligation de passer par le réseau Apple, pour ne pas risquer des dysfonctionnements, constituent une discrimination dans l’accès aux pièces détachées et aux outils de réparation. Aussi avons-nous déposé une plainte au titre de la loi dite REEN, réduction de l’empreinte environnementale du numérique, et de la loi dite AGEC, anti-gaspillage pour l’économie circulaire, pour tromperie par omission et délits assimilés à de l’obsolescence programmée dans le cas de mises à jour pouvant engendrer des problèmes, des alertes anxiogènes non circonstanciées et des entraves à la réparation.

L’existence d’un réseau indépendant de réparateurs est primordiale pour offrir au consommateur le libre choix en matière de prix et de qualité des pièces en cas de réparation. Alors que les iPhones sont réputés être plutôt de bonne qualité, fiables et durables, il est dommage de ne pas pouvoir correctement les réparer du fait de tarifs dissuasifs.

Améliorer l’information des consommateurs

Nous avons instauré un indice de réparabilité, avec une notation de 1 à 10. Plus la note s’approche de 10, plus le produit est réparable par tous. Pour reprendre cet exemple, l’indice de réparabilité moyen d’un iPhone est de 6,7. Pour certaines marques plus engagées, comme Samsung ou Fairphone, il peut monter jusqu’à 8 et même plus de 9.

Cet indice tient compte de plusieurs critères comme la démontabilité, la remontabilité, l’accès aux pièces détachées et leur prix, ainsi que des critères spécifiques en fonction des produits concernés, dont la gamme s’étend progressivement – téléviseurs, smartphones, ordinateurs portables, lave-linges, tondeuses à gazon, aspirateurs, lave-vaisselles.

En 2024, nous proposerons aussi un indice de durabilité, dont l’objectif sera de fournir aux consommateurs des informations non seulement sur la réparabilité, mais aussi sur la fiabilité et la robustesse des produits.

Convaincus que l’information des consommateurs doit être généralisée, nous avons obtenu la création prochaine d’un repair score au niveau européen, notamment pour les smartphones. Un important travail reste à faire, afin que cet indice tienne compte du prix des pièces détachées.

Encourager la réparation

Un fonds réparation entrera en vigueur le 15 décembre 2022, pour de nombreuses catégories de produits. Ainsi, les consommateurs qui recourront à un réparateur labellisé QualiRépar bénéficieront d’une réduction forfaitaire sur leur facture. L’enjeu est d’autant plus fort que les études montrent que le coût de la réparation constitue un frein dans 70 % des cas. Aussi avons-nous fortement milité pour un système aisément accessible à tous, plutôt que celui de chèques ou de CESU, plus compliqués à mettre à en place. La loi confie le pilotage du fonds réparation aux éco-organismes et le financement provient des écocontributions versées par les entreprises, au même titre que le recyclage.

Poursuivre les avancées

Nous avons avancé sur l’obsolescence logicielle, afin de rendre illégales certaines pratiques. Pour autant, la réversibilité des mises à jour – en particulier pour les produits Apple – n’est toujours pas acquise. Nous espérons que ce paramètre sera toutefois pris en compte dans les indices de durabilité et de réparabilité : les constructeurs qui feraient des efforts en ce sens bénéficieraient de points supplémentaires et pourraient valoriser leurs bonnes pratiques. Ce serait positif, mais nous considérons que cela ne suffit pas. À nos yeux, la réversibilité devrait être obligatoire.

Les choses avancent aussi à l’échelle européenne, au-delà du repair score. Ainsi, la Commission européenne s’est engagée à tendre vers plus de durabilité, voire à faire en sorte que les produits durables deviennent la norme. La directive européenne Ecodesign vise à fixer des règles de conception, produit par produit, garantissant la qualité et la durabilité avec, par exemple, la mise à disposition obligatoire de pièces détachées durant un temps donné. Aujourd’hui, dans la plupart des cas, la disponibilité des pièces détachées dépend du bon vouloir des fabricants.

La Commission s’est également engagée à mieux informer le consommateur, à “l’encapaciter” à aller vers une consommation responsable, mais aussi à réduire les pratiques commerciales trompeuses et l’asymétrie entre le fabricant – qui connaît la fiabilité de ses produits – et le consommateur – qui connaît uniquement leur prix et leur performance.

Cela étant, il convient de noter que les stratégies de lobbying sont plus féroces au niveau européen qu’en France. Certaines entreprises estiment qu’informer le consommateur sur l’obsolescence programmée suffit, alors que nous considérons que cette pratique devrait être interdite.

La sobriété comme nouveau modèle économique

L’allongement de la durée de vie des produits n’est pas sans incidence économique. De fait, des produits qui durent plus longtemps sont moins fréquemment renouvelés, ce qui peut – en théorie – se traduire par des chiffres d’affaires moindres et par moins d’emploi. Cela étant, les rapports du Club de la durabilité montrent qu’une économie circulaire fondée sur des produits conçus pour durer et être réparés constitue un terrain favorable pour une économie rentable, avec d’ailleurs plus d’emplois locaux que pour le recyclage, et porteuse de nouvelles dynamiques complémentaires comme l’économie de la fonctionnalité, l’usage, la mutualisation, voire l’économie collaborative.

Même si la durabilité et l’économie circulaire ne sont pas encore la norme, notre dernier rapport observe, d’une part, une réelle prise de conscience et, d’autre part, l’apparition de nouvelles tensions ou frictions entre les acteurs de l’économie sociale et solidaire (ESS), dont la force de frappe reste limitée, et les acteurs classiques de l’économie marchande qui saisissent les opportunités législatives et économiques pour se développer dans les domaines du réemploi et du reconditionnement. Ces deux types d’acteurs, dont les logiques économiques ne sont pas les mêmes, se battent pour l’accès au gisement que représentent les appareils qui arrivent en fin de vie. Or, nombre de ces produits sont mal collectés – combien de smartphones dorment dans des tiroirs ? – ou fléchés vers le recyclage, ce qui empêche les acteurs de massifier la proposition de valeur que représente le réemploi. Cette situation conduit également certaines entreprises marchandes à récupérer, sur des marketplaces et auprès de brokers, des appareils venus des États-Unis ou de Chine en vue de les reconditionner et de les revendre en France. C’est le contraire d’un circuit court et cela entraîne des effets rebonds problématiques pour l’environnement.

Une autre tension vient du fait que de nouveaux acteurs, comme Vinted, permettent de démocratiser le réemploi, mais poussent aussi à une forme de surconsommation et d’hyperconsumérisme avec, là encore, des effets rebonds : d’une part, on se donne bonne conscience avec le réemploi, pour finalement acheter du neuf ; d’autre part, les dons sont moins nombreux et les acteurs de l’ESS disposent de produits de moins bonne qualité dans le cadre du don pour le réemploi.

Face à ces constats, il est nécessaire de tendre vers une économie circulaire à la fois plus locale, plus sociale et plus écologique – donc plus vertueuse.

Débat

Agir en lien avec les autres acteurs

Un intervenant : Quels sont les alliés et les adversaires de HOP ?

Laetitia Vasseur : Les acteurs du Club de la durabilité sont volontaires et placent le curseur plus haut que la moyenne. Toutefois, il peut nous arriver d’être en désaccord avec certains d’entre eux, comme avec Fnac Darty sur la question des garanties. Les réparateurs et les plateformes d’autoréparation et de vente de pièces détachées vont généralement dans notre sens, puisqu’ils y trouvent leur intérêt. Les associations de consommateurs et de défense de l’environnement comptent également parmi nos alliés.

À l’inverse, nous nous heurtons aux fédérations, qui ont le défaut d’agréger le plus petit dénominateur commun de l’ensemble de leurs membres afin de faire le moins de vagues possible. Ainsi, même si certains membres sont plus motivés ou vertueux que d’autres, il est rare qu’elles promeuvent le progrès. Dans le meilleur des cas, elles préfèrent maintenir un statu quo plutôt qu’avancer. Certains fabricants restent également très réfractaires et organisent un lobby très actif en France et en Europe, ce qui rend nos combats difficiles.

Int. : Quid des acteurs publics ?

L. V. : Nous trouvons des alliés au sein du ministère de la Transition écologique et solidaire et de l’ADEME, qui ont conscience de l’intérêt écologique d’allonger la durée de vie des produits. En revanche, Bercy reste encore très réfractaire à cette évolution. En 2012, mon premier interlocuteur était Benoît Hamon, alors chargé de la consommation : nous souhaitions porter le sujet de l’obsolescence programmée dans la loi relative à la consommation de 2014, mais (presque) rien n’a été possible dans la mesure où il dépendait de Bercy. Il a fallu passer par l’intermédiaire de Ségolène Royal et du ministère de l’Environnement pour obtenir des avancées dans la loi de transition énergétique pour la croissance verte. De la même façon, nous avons obtenu des avancées dans la loi AGEC, défendue par Brune Poirson, mais nous restons très peu écoutés lorsque nous évoquons le sujet de la TVA réduite avec Bercy. Malheureusement, l’économie linéaire classique prime souvent sur l’économie circulaire.

Int. : Êtes-vous en relation avec UFC-Que Choisir ? Cette association pourrait conduire des essais et des tests dans ses laboratoires, de manière complémentaire avec vous.

L. V. : Nous nous sommes fondés sur certaines de ses études. Cette association mène un travail intéressant, toutefois plus axé sur la consommation que sur la protection de l’environnement. De son côté, HOP est agréée protection de l’environnement, mais travaille les sujets de consommation. Nos rapports sont assez maigres dans la mesure où UFC-Que choisir travaille, selon mon ressenti, plutôt en solo en France. Nos actions communes restent donc marginales. Jusqu’à très récemment, peu de représentants d’UFC-Que Choisir avaient participé aux groupes de travail sur les indices de réparabilité. De ce point de vue, je considère que cette association n’a pas assez représenté les consommateurs dans ces domaines. C’est dommage, car elle aurait les capacités de contribuer plus activement à nos actions.

Int. : La grande qualité des rapports du Club de la durabilité en fait une ressource précieuse, et je tiens à vous en remercier ! Plus généralement, comment et par qui se faire accompagner ? Si les offres sont abondantes en matière de design produit ou de développement logiciel, les acteurs qui proposent du consulting ou de l’aide opérationnelle pour améliorer la durabilité des produits sont rares.

L. V. : Le Club de la durabilité permet d’échanger les bonnes pratiques. Par ailleurs, le Pôle Éco-conception de Lyon ou l’agence MU accompagnent les entreprises dans leur transition vers des produits plus durables. L’appel à projets PERFECTO, de l’ADEME, s’adresse aussi aux entreprises engagées dans un projet de R&D pour améliorer la performance environnementale de leurs produits, services ou procédés.

Lutter contre les délits

Int. : Vous avez évoqué certaines pratiques d’Apple, mais Microsoft n’est pas en reste. Les développeurs obligent à acquérir la dernière version de son système d’exploitation, Windows, alors que certains ordinateurs, pourtant encore fonctionnels, ne peuvent pas effectuer ces mises à jour.

L. V. : Le terme “obésiciel” décrit bien ce phénomène des logiciels qui nous sont imposés, mais s’avèrent trop lourds à porter pour les appareils et finissent par les ralentir. Les changements de version et les mises à jour sont des problèmes récurrents, a fortiori lorsqu’il n’est pas possible de revenir en arrière.

Int. : La DGCCRF semble souvent très tolérante – peut-être parce qu’elle dépend de Bercy. Plus globalement, comment les tribunaux peuvent-ils appréhender les sous-entendus techniques parfois très subtils d’acteurs comme Apple ou Microsoft ?

L. V. : Certaines pratiques délibérées constituent à nos yeux des délits relevant du droit pénal. C’est la raison pour laquelle nous avons porté plainte contre Apple, notamment en obsolescence programmée. À l’instar des lanceurs d’alerte, lorsque nous portons plainte, nous évoquons un faisceau d’indices montrant que tel ou tel acteur ne respecte pas la loi. Il revient ensuite au procureur d’ouvrir une enquête et de mandater les enquêteurs de la DGCCRF pour conduire une investigation plus approfondie que la nôtre – même si la plainte que nous avons déposée ce matin compte 60 pages, signe que nous avons déjà bien creusé le sujet !

Selon les cas, le travail de la DGCCRF est plus ou moins rapide. Une précédente plainte contre Apple a abouti, au terme d’une négociation, à une sanction de 25 millions d’euros. En revanche, nous attendons toujours les résultats de l’enquête ouverte dans le cadre de la plainte que nous avons déposée en 2017 contre Epson et ses cartouches signalées à tort comme vides par les imprimantes.

Outre le pénal, HOP envisage de se porter partie civile dans certaines affaires.

Int. : Il est particulièrement difficile de caractériser les défauts d’un logiciel, y compris pour un informaticien. Pourquoi l’article 1641 du Code civil, relatif aux vices cachés, n’est-il pas plus invoqué pour contraindre les éditeurs de logiciels à prendre le sujet au sérieux ?

L. V. : Depuis la loi REEN, la garantie légale de conformité couvre aussi une garantie logicielle. Nous avons également milité, avec succès, pour que la charge de la preuve n’incombe pas au consommateur durant les deux premières années d’acquisition du produit. J’ajoute que la garantie légale de conformité s’applique aussi aux produits reconditionnés, mais que la charge de la preuve n’est en faveur du consommateur que durant la première année.

Faire évoluer les comportements

Int. : En dehors des grandes zones industrielles et commerciales, comment trouver des petits réparateurs fiables, en mesure d’effectuer un diagnostic ?

L. V. : L’annuaire des Répar’Acteurs, géré par la Chambre des métiers et de l’artisanat en lien avec l’ADEME, ainsi que le site longuevieauxobjets.gouv.fr répertorient les professionnels indépendants à proximité. Il est aussi conseillé de se fier à QualiRépar, ce label de qualité créé par les éco-organismes afin de gérer le fonds réparation. Nous lançons également le site produitsdurables.fr le 12 décembre 2022, pour cartographier les réparateurs et prodiguer des conseils concrets, produit par produit.

En outre, une plateforme comme Spareka permet d’effectuer des autodiagnostics parfois bien utiles, même s’ils ne valent pas l’expertise d’un réparateur.

Int. : Envisagez-vous de créer l’équivalent de l’application Yuka, en attribuant des notes, mais aussi en recommandant des produits plus performants en matière de réparabilité et de durabilité ? Dans l’affirmative, selon quels critères ?

L. V. : Notre outil produitsdurables.fr constituera un guide des produits durables, sous l’angle de l’achat, de la réparation, de l’entretien et du recyclage, avec des conseils qualitatifs plutôt que des notes. Les critères de réparabilité et de durabilité s’articuleront autour de la notion de fiabilité. L’objectif est d’aider les consommateurs à y voir plus clair et de les aiguiller vers les marques les plus durables et les plus engagées. Nous proposerons aussi des focus sur certaines marques et certains produits.

Int. : Les imprimantes 3D permettraient-elles de remplacer des pièces détachées qui ne sont plus fabriquées ?

L. V. : Bien qu’elle constitue une option intéressante et que nous y travaillions de longue date, l’impression 3D ne s’est pas développée de manière fulgurante. Outre les coûts d’investissement, de production et de qualité, la question de la certification de la sécurité reste posée pour des produits comme les jouets ou les automobiles. Boulanger avait lancé un catalogue d’impressions 3D, mais cette initiative ne s’est pas vraiment déployée.

Pour l’heure, l’axe principal de recherche concerne les pièces détachées d’occasion et la récupération de pièces fonctionnelles sur des produits hors d’usage, afin de les réemployer. Ce sujet est promu par la loi AGEC, mais il reste peu exploité, car il nécessite un long travail de standardisation, de compatibilité, de classification et de garantie. Pourtant, cette option s’avère moins onéreuse à la pièce que l’impression 3D.

Int. : L’indice de réparabilité se distingue des écolabels par sa clarté et sa simplicité. Cependant, la notion de réparabilité délivre un message relativement négatif puisqu’il véhicule l’idée d’une future panne. Si la notion de durabilité est plus attractive, n’est-elle pas plus difficile à objectiver ?

L. V. : Le travail d’objectivation est effectivement plus complexe s’agissant de la durabilité, même s’il nous a aussi fallu deux ans pour instaurer l’indice de réparabilité. Face au manque de normes et de standards, mais aussi à la réticence des fabricants, nous devons nous focaliser sur la prévention. Notre ambition est de définir une grille de durabilité complète prenant en compte les garanties, les tests à l’usure et les normes de qualité de certaines pièces détachées. Il faudrait, par exemple, que les ordinateurs indiquent leur éventuelle surchauffe, mais, mieux encore, qu’ils soient conçus pour ne pas surchauffer – ce qui est très difficile à objectiver, d’autant que nous nous heurtons à la rétention d’informations de nombreux fabricants, plus réticents encore que face à l’indice de réparabilité.

Int. : Les critères de réparabilité et de durabilité n’entrent-ils pas parfois en contradiction les uns avec les autres ?

L. V. : Cela arrive, en effet. Par exemple, un produit très étanche risque d’être plus difficile à réparer. S’il est facilement réparable, sa note de durabilité sera probablement moins bonne. L’enjeu consiste à trouver la bonne pondération entre les deux, pour obtenir la note finale. Je ne perds pas espoir que l’indice de durabilité soit prêt en 2024. En tout cas, nous mettons tout en œuvre dans cette perspective !

Int. : Les distributeurs et les vendeurs sont globalement peu formés à l’indice de réparabilité. Ils sont évalués au nombre de produits vendus, et non aux services de réparation proposés. Comment envisagez-vous les indispensables transformations à venir ?

L. V. : La formation des vendeurs est effectivement loin d’être convaincante ! Lors d’une action dans un hypermarché, nous avons collé des stickers sur les produits pour lesquels l’obligation d’affichage de l’indice de réparabilité n’était pas respectée. Cela a permis de mettre en avant les lacunes en la matière. Il est du ressort de la DGCCRF de s’assurer que le consommateur est en mesure de faire un choix éclairé. Il importe aussi de sensibiliser davantage les responsables RSE des entreprises au rôle et à la formation des vendeurs autour des critères de réparabilité et de durabilité.

Des initiatives intéressantes méritent d’ores et déjà d’être soulignées. C’est notamment le cas de Fnac Darty, qui a instauré une prime pour inciter les vendeurs à se fournir en produits de qualité et à favoriser la vente de produits durables et fiables. Ce modèle innovant mérite d’être dupliqué. En outre, le baromètre Fnac Darty, en ligne sur le site leclaireur.fnac.com, repose sur l’analyse des retours en service après-vente et de la réparabilité effective des produits, avec un partage des données en toute transparence.

Enfin, l’indice de réparabilité n’a que deux ans et ne concerne que cinq catégories de produits. Cela explique que son déploiement n’en soit qu’à ses débuts et que tout ne soit pas encore parfait !

Pour aller plus loin

Int. : Vendre du kilomètre parcouru plutôt que des pneus, comme le fait Michelin, par exemple, favorise la durabilité et la rentabilité, donc la convergence d’intérêts. Conduisez-vous des travaux sur ce concept de modèle d’affaires ?

L. V. : Nous travaillons le sujet des modèles d’affaires au travers du Club de la durabilité, notamment en explorant les modèles économiques compatibles avec des produits plus durables et réparables. Certains réparateurs, par exemple, font aussi du reconditionnement et de la vente. D’autres développent des plateformes et de l’économie numérique. L’économie d’usage et de fonctionnalité est appréhendée par différents types de modèles innovants, notamment autour de la location de smartphones ou de matériel de bureau très durable. Nos rapports annuels identifient les freins, les leviers et les bonnes pratiques, mais aussi les opportunités et les menaces portées par la législation. La redevance copie privée pour les smartphones reconditionnés, par exemple, pénalise ce modèle d’affaires dans la mesure où cette redevance est déjà payée lors de la première mise en vente de l’appareil.

Int. : Lutter contre l’obsolescence programmée requiert des effectifs colossaux, notamment pour intervenir dès la conception des produits. Au-delà de HOP, qui pourrait mener ce combat ?

L. V. : J’ai bon espoir de doubler prochainement nos effectifs ! Nous avons également lancé une campagne d’adhésion et je vous invite à contribuer à notre noble cause. D’autres associations, comme iFixit, font également un travail remarquable.

Par ailleurs, les directives Ecodesign sont une bonne solution pour ancrer une démarche plus systémique, en imposant des normes minimales à respecter dès la conception. Objectiver ces normes est un chantier complexe, dans lequel nous sommes force de proposition aux côtés d’autres associations comme ECOS, spécialisée dans la standardisation, ou encore le Bureau européen de l’environnement, même si son action est plus généraliste. Alors que de nombreux industriels sont présents dans les groupes de travail, il est indispensable de faire entendre notre voix pour inverser le rapport de forces. Telle est l’ambition de la coalition européenne Right to Repair, qui vise à défendre des durées ambitieuses de disponibilité des pièces détachées, à obtenir des rallonges pour certains produits ou à agir sur le nombre de cycles des batteries.

Int. : Que pensez-vous des normes environnementales qui rendent obsolètes certains équipements, comme les chaudières ou les véhicules ? Je pense notamment aux ZFE (zones à faibles émissions).

L. V. : Vous pointez le sujet de l’obsolescence réglementaire, auquel nous avons encore peu travaillé, mais que nous entendons traiter de façon approfondie. Deux enjeux d’intérêt général se confrontent : d’une part, la réduction des émissions de CO₂ ; d’autre part, le cycle de vie des produits. Chaque paramètre doit être pris en compte pour mesurer l’empreinte environnementale d’un produit. Certes, les émissions de CO₂ polluent l’atmosphère et réchauffent le climat, mais l’utilisation de minerais pour fabriquer une voiture détériore les sols. Dans la téléphonie, la fabrication pèse jusqu’à 80 % de l’empreinte environnementale des produits.

En outre, le “rétrofit” permet de convertir un moteur thermique en moteur électrique sur les véhicules anciens – ce qui permet de conserver son véhicule tout en respectant les critères ZFE. Néanmoins, l’opération, à la charge du consommateur, reste très coûteuse.

Int. : Les fabricants sont parfois contraints de réduire la durée de vie d’un produit dans une logique de compromis entre qualité des composants et coût de revient. C’est notamment le cas pour le petit électroménager. Comment faire changer les choses ?

L. V. : Le petit électroménager est trop peu démontable, donc irréparable. De fait, les produits étant peu chers, personne ne voit l’intérêt de les réparer. Pourtant, concevoir du petit électronique réparable est essentiel. Pour l’heure, seul le groupe SEB est engagé dans ce domaine.

Par ailleurs, nous distinguons l’obsolescence programmée de l’obsolescence prématurée. La première est un stratagème visant à réduire la durée de vie d’un produit, tandis que la seconde est liée à des problématiques économiques et à la qualité même des composants. Si l’on raisonne en modèles d’affaires, il s’agit de trouver le bon équilibre pour qu’un produit soit vendu à un prix compétitif tout en étant suffisamment durable et réparable. En l’occurrence, je crois beaucoup à l’information et à l’objectivation de la réparabilité et de la durabilité : un consommateur acceptera de payer un produit un peu plus cher s’il a la certitude de sa qualité dans le temps.

Int. : Engagez-vous des actions en direction des plus jeunes ?

L. V. : Nous avons réalisé des interventions dans des lycées et des écoles, mais les sujets d’obsolescence intéressent davantage les 25-30 ans, c’est-à-dire les jeunes qui deviennent des consommateurs autonomes. Quoi qu’il en soit, nous militons pour que la réparation, l’entretien et le fonctionnement des objets quotidiens soient mieux enseignés dans les collèges, afin que les futures générations soient plus sensibles et responsabilisées, mais aussi pour créer des vocations de réparateurs et de formateurs, compte tenu du fait que ces métiers restent peu valorisés.

Int. : Pour poursuivre la réflexion, je suggère la lecture de l’ouvrage Le soin des choses – Politiques de la maintenance, de Jérôme Denis et David Pontille, résultat d’un travail de quinze ans sur une activité invisible et dévalorisée.