- Un secteur en croissance
- Un marché français à fort potentiel
- Les chiffres clés de Cdiscount
- Les trois phases de notre développement
- Des enjeux stratégiques
- Vers le B to B
- Une politique d’open innovation à l’échelle
- Une plateforme responsable, inclusive et solidaire
- Des idées et des talents
- Le plaisir et l’énergie
Exposé d’Emmanuel Grenier
La première moitié de ma vie professionnelle s’est déroulée dans la distribution classique, en France et à l’international, dans les entrepôts et dans les magasins. Depuis 2008, j’exerce dans le e-commerce chez Cdiscount. Ce parcours m’a appris à connaître tous les volets de ce métier, depuis l’alimentaire en magasin jusqu’au non alimentaire en ligne.
Un secteur en croissance
Le secteur du e-commerce représente un marché mondial de 4 280 milliards de dollars en 2020, en croissance de 30 %. Sur la même période, la hausse du marché européen a été de 10 % (757 milliards de dollars) et celle du marché français de 8,5 % (112 milliards de dollars). Ce dernier connaît un taux de pénétration deux fois inférieur à ceux du Royaume-Uni ou de l’Allemagne, mais très supérieur à ceux de l’Italie ou de l’Espagne. Jusqu’au début des années 2010, le marché français a connu une croissance annuelle régulière d’environ 20 % qui s’est progressivement infléchie pour ne plus atteindre que 10 % aujourd’hui, alors que le marché mondial a maintenu une croissance soutenue, notamment du fait des marchés asiatiques.
La particularité du marché du e-commerce actuel est d’être tiré par les market places, qui ont pris leur essor à partir de 2010. Ce ne sont pas des sites de commerce vendant leur catalogue de produits, mais des plateformes accueillant tous les commerçants qui le désirent moyennant le paiement d’une commission de 10 à 15 % sur chaque vente. Par ce biais, le commerçant peut atteindre un nombre de clients très supérieur à celui qu’il toucherait seul à partir de son site web. C’est donc un modèle d’échange entre, d’une part, des vendeurs qui proposent une grande quantité de produits et, d’autre part, une plateforme qui met à leur disposition de la technologie et du trafic. Les vendeurs bénéficient du trafic et la plateforme des produits. Les market places connaissent une croissance moyenne de 20 % par an contre seulement 5 à 7 % pour les sites web de ceux qui tentent d’attirer leurs clients par eux-mêmes. On estime qu’en 2022, 75 % des ventes en ligne seront réalisées par l’intermédiaire des market places.
La plus grande market place au monde est la chinoise Alibaba, dont le modèle est 100 % market place. La deuxième est Amazon, dont les ventes se répartissent à 50-50 entre sa market place et son propre catalogue, ce qui est également le cas pour Cdiscount.
Un marché français à fort potentiel
Le périmètre du marché français regroupe plusieurs types d’acteurs. On y trouve d’abord des pure players généralistes, qui vendent plusieurs millions de produits de toutes catégories, alimentaires ou non, en vente directe ou en market place. Généralement, il n’y en a qu’un par pays, le plus souvent Amazon, alors qu’en France, avec la présence de Cdiscount, il en existe deux.
La deuxième catégorie regroupe les acteurs verticaux, spécialistes d’une catégorie homogène de produits et qui les distribuent dans leurs propres magasins. En France, ce sont des acteurs historiques comme la Fnac, Darty, Boulanger, Ikea, Leroy Merlin, Maisons du monde, etc. Jusqu’en 2019, ils ne réalisaient qu’environ 10 à 15 % de leur activité sur Internet. Du fait de la Covid-19, ces acteurs ont dû accélérer leur transition digitale pour s’adapter et ont ainsi fortement augmenté leur volume de ventes en ligne.
Le troisième type d’acteurs est celui des nouveaux arrivants, à la fois verticaux et pure players. Dans cette catégorie, on citera ManoMano pour le bricolage et Back Market pour les produits reconditionnés. Ces acteurs ont levé des fonds considérables, investissent énormément en marketing et se sont donnés cinq à six ans pour s’imposer. Leur croissance, liée à ces importants investissements dans le marketing, est forte, mais leur modèle de rentabilité reste à consolider.
Le dernier type est celui des acteurs C to C, historiquement représentés par eBay et, en France, par leboncoin.
Les concurrents de Cdiscount ne sont aujourd’hui plus les mêmes qu’il y a dix ans, quand les enseignes les plus connues étaient Rue du Commerce, Pixmania, Mister Gooddeal, etc., qui ont depuis pratiquement disparu. Sont encore là Amazon, évidemment, ainsi que quelques acteurs verticaux comme Fnac Darty, ou C to C comme leboncoin. Ce marché est donc très dynamique et nous oblige à évoluer en permanence.
En France, Amazon pèse un peu plus de 20 % dans le marché du e-commerce, ce qui peut paraître considérable, mais, aux États-Unis comme dans la plupart des pays européens, cette enseigne représente de 40 à 50 % des parts de ce marché, ce qui relativise sa pénétration dans notre pays. Cdiscount est le second acteur national généraliste, avec 7 % des parts du marché français, situation singulière qui n’a d’équivalent qu’au Japon, avec Rakuten, et en Inde, avec Flipkart, dont Walmart est actionnaire. Derrière Cdiscount, viennent la Fnac (avec 3,3 % de parts de marché), puis Veepee, Darty, Boulanger et Zalando.
Les chiffres clés de Cdiscount
En 2020, Cdiscount a réalisé un chiffre d’affaires de plus de 4,2 milliards d’euros. Il compte 10,2 millions de clients actifs, c’est-à-dire ayant réalisé au moins un achat au cours des douze derniers mois, soit environ un ménage français sur trois, avec une moyenne de 23 millions de visiteurs uniques par mois, face aux 30 millions d’Amazon, aux 40 millions de Google et aux 28 millions de leboncoin.
Le trafic est crucial, car c’est lui qui génère les ventes et la croissance de la société. Nous le mesurons donc de façon quotidienne, voire horaire. Aujourd’hui, plus de 70 % de ce trafic est réalisé sur smartphone, ainsi que 50 % des ventes. La vente sur mobile, qui atteint déjà 95 % en Asie, est donc la deuxième grande tendance du marché.
Désormais, avec l’avènement du mobile, les clients veulent pouvoir acheter, parmi des millions de produits accessibles, ceux qu’ils souhaitent, 24 heures sur 24, et être livrés rapidement, où qu’ils soient. En conséquence, nous livrons chaque année 24 millions de colis, depuis nos 530 000 mètres carrés d’entrepôts situés à Bordeaux, Lyon et Paris. Si Cdiscount est bien une société commerciale, qui achète et revend des produits, c’est aussi une importante entreprise logistique de distribution.
C’est, de plus, une société de technologie qui développe et gère son outil numérique. En effet, être une market place exige que vous vous plongiez immédiatement dans la technologie, les volumes que vous devez gérer n’ayant plus rien à voir avec ce qu’ils étaient auparavant. Par exemple, nous avons dû nous adapter pour pouvoir créer jusqu’à 1 million de nouvelles références produits par jour. On se doute que cela ne peut fonctionner que de manière très automatisée, d’autant que, pour que les moteurs de recherche puissent fonctionner correctement, tous ces produits doivent être classés de façon pertinente dans l’une de nos 8 000 catégories et les produits en double ou contrefaits, voire illégaux, doivent être détectés. Face à l’ampleur de la tâche, le recours à une intelligence artificielle (IA) est une nécessité absolue. Notre IA aide aussi les moteurs de recherche à se repérer parmi les 100 millions de références afin de proposer au client qui effectue sa recherche les 25 produits les plus pertinents, en temps réel. L’étape finale consiste à personnaliser le parcours que devra suivre le client, à fixer le prix et, éventuellement, à proposer un crédit. Pour développer et exploiter cette technologie de pointe, nous disposons de 800 ingénieurs et de 50 data scientists, ce qui est beaucoup. Nous sommes aujourd’hui très en avance, tant en France qu’en Europe. Néanmoins, nous jouons à 1 contre 100 face aux Américains ou aux Chinois. Ainsi, Amazon et Alibaba comptent chacun plusieurs dizaines de milliers d’ingénieurs et Amazon a d’ailleurs annoncé en recruter 55 000 de plus cette année !
Les trois phases de notre développement
La première phase de notre développement a été celle de l’essor du e-commerce, dont, en fait, les principaux acteurs étaient, jusqu’en 2010, des magasins en ligne. À cette date, Cdiscount proposait un catalogue de 70 000 produits, qui correspondait globalement à l’offre du secteur bazar d’un hypermarché, à ceci près que le client pouvait commander de chez lui et y être livré. La particularité des modèles économiques d’alors était qu’il était difficile de trouver son équilibre, les coûts de la logistique, d’une part, et la tension extrême sur les prix, d’autre part, permettant difficilement d’atteindre les seuils de rentabilité.
Dans un deuxième temps, les market places sont apparues, et ce pour deux raisons. Tout d’abord, elles ont permis d’élargir considérablement l’offre faite au public, ce qui a été fondamental. En dix ans, Cdiscount est ainsi passé de 70 000 produits à 100 millions, c’est-à-dire à une offre quasi illimitée se démarquant radicalement de celle de n’importe quel magasin physique. La market place s’est alors avérée être un modèle économique plus rentable que celui du catalogue. Néanmoins, s’il est facile d’ouvrir un site et de mettre des produits en ligne, il l’est beaucoup moins d’attirer une audience et encore moins d’amener cette dernière à l’acte d’achat, environ 3 % seulement des visiteurs des sites y achetant quelque chose. À ce jour, il existe plus de 200 000 sites de e-commerce en France, dont l’immense majorité reste totalement inconnue des clients potentiels.
Pour la troisième étape de notre développement, celle qui est en cours, nous avons décidé de commercialiser nos différents savoir-faire afin d’exploiter toutes les opportunités nées des phases précédentes. Pour cela, nous nous sommes organisés autour de trois axes de développement, chacun porté par une filiale.
Octopia propose, grâce à notre technologie et à nos moyens de production, des solutions clés en main aux commerçants qui souhaitent créer ou accélérer leur propre market place.
C-Logistics, leader de la logistique pour le e-commerce et les retailers, intervient tant sur la livraison des petits produits que sur celle des produits encombrants. Elle permet aux vendeurs et aux distributeurs de garantir à leurs clients une livraison performante.
Avec Cdiscount Advertising, plateforme publicitaire très technologique, nous proposons aux sites clients de gérer leur mise en avant dans les moteurs de recherche.
En vingt ans, le petit vendeur de DVD bordelais que nous étions est donc devenu une entreprise de la tech de premier plan, évolution aussi rapide que violente. Désormais, notre modèle global est à la fois un modèle de B to C, avec cdiscount.com, mais aussi un modèle B to B qui renforce la rentabilité, avec Cdiscount Advertising, Octopia et C-Logistics, qui vendent des services – y compris à certains de nos concurrents.
Des enjeux stratégiques
Fidéliser les clients
En B to C, le premier enjeu est la fidélité des clients. L’axe clé, appelé Cdiscount à volonté, est un programme de fidélité que nous avons créé en 2014 et qui est lié à la livraison, comme Prime chez Amazon. Ce programme propose une livraison gratuite express illimitée à nos clients en contrepartie d’une adhésion annuelle de 29 euros. C’est un levier de fidélisation bien plus puissant que tous les systèmes de cash back ou de promotions. Cdiscount à volonté compte aujourd’hui 2,5 millions d’abonnés. Chacun d’entre eux achète en moyenne trois fois plus qu’un non abonné. Pour que le maximum de produits présents sur la market place rentrent dans ce programme de fidélité, il nous faut inciter les vendeurs à travailler en fullfillment, c’est-à-dire en prépositionnant leurs produits dans nos entrepôts, condition indispensable pour que la promesse de livrer le client sous 24 heures puisse être tenue.
Nos abonnés sont précieux et nous avons envers eux une politique de “oui au client”. Quand ils nous appellent, nous leur répondons systématiquement : « Oui, nous vous remboursons », « Oui, nous remplaçons le produit immédiatement », « Oui, nous répondons favorablement à votre demande », etc. À charge pour nous de régler ensuite le problème en interne.
Optimiser les investissements des partenaires
Le marketing digital représente un second enjeu stratégique qui marque une révolution dans notre manière de travailler avec nos partenaires. Historiquement, tous les grands retailers, Casino, Auchan, Carrefour, Ikea, Walmart, etc., entretiennent avec leurs fournisseurs qui souhaitent être mis en avant, une relation fondée sur le versement de budgets en contrepartie d’un service rendu dans le magasin. En rupture avec ces pratiques impliquant souvent des négociations exigeantes et une visibilité limitée sur les retours sur investissement, nous mettons à la disposition de nos partenaires un service grâce auquel ils peuvent, de manière autonome, décider des produits pour lesquels ils veulent être mis en avant, et même sur quelles tranches horaires. Ayant un accès en temps réel à leur chiffre de vente réalisé via notre site, ils peuvent, pour chacun de leurs produits, avoir un retour précis sur leur investissement.
Par ailleurs, grâce à la quantité de données que nous partageons avec eux, nos partenaires sont désormais en mesure d’investir de manière pertinente dans les ventes les plus profitables. Nous avons à cet effet introduit dans nos moteurs de recherche une logique d’équilibre entre pertinence et enchères, qui permet automatiquement de faire remonter très haut dans les propositions un produit répondant au mieux à cet équilibre. Sachant que les clics des clients sont concentrés sur les trois ou quatre premières propositions affichées, les vendeurs de la market place et les fournisseurs rivalisent, sur un portail dédié, afin de sélectionner le type de requête sur lequel ils souhaitent investir en priorité. Cette logique de pari (biding), similaire à celle de Google, est très rémunératrice pour les meilleurs vendeurs et fournisseurs qui peuvent ainsi accroître jusqu’à 15 % leur chiffre d’affaires. Là encore, si le principe est simple, sa mise en œuvre a demandé beaucoup de travail et de technologie. En Europe, très peu d’acteurs maîtrisent ce savoir-faire.
Au-delà de ce premier développement, nous proposons maintenant aux vendeurs de gérer leur trafic sur Google en achetant pour eux des mots-clés pertinents afin de diriger vers Cdiscount les clients recherchant sur Google des produits correspondant aux leurs.
Vers le B to B
Pour le B to B, nous avons bâti plusieurs actifs et nous avons décidé d’en monétiser deux, qui concernent nos savoir-faire en matière de market place et de logistique.
L’offre market place
Avec Octopia, nous sommes partis du constat que, le marché progressant grâce aux market places, tout site de e-commerce veut aujourd’hui posséder la sienne. Or, pour cela, il lui faut disposer de trois éléments indispensables, que nous lui proposons donc : notre technologie market place, notre base de meilleurs vendeurs et de meilleurs produits – il peut ainsi choisir parmi nos meilleurs vendeurs ceux qu’il souhaite intégrer à sa propre market place – et une logistique performante.
Il s’agit là d’un package que le client peut acquérir, clés en main, soit dans sa globalité, soit élément par élément. C’est aussi un énorme avantage pour les vendeurs, qui n’ont souvent pas les moyens nécessaires pour se connecter à de multiples market places.
Alors que l’enjeu est devenu mondial et que nous venons juste de démarrer, nous avons déjà signé cinq gros contrats en Europe et au Moyen-Orient. À ce jour, cette offre est révolutionnaire, très peu d’acteurs maîtrisant ce savoir-faire.
Si Octopia est bien une filiale de Cdiscount, elle est cependant gérée de manière très autonome, puisqu’elle peut également servir nos concurrents directs. Sa direction, ses équipes et sa culture sont spécifiques, le B to B n’ayant en effet rien à voir avec le B to C.
L’offre logistique
Jusqu’à la fin des années 2000, la logistique de Cdiscount n’était pas de grande qualité. En tant qu’ancien patron de celle de Casino, j’ai été chargé de prendre la direction de Cdiscount afin d’améliorer la qualité de sa logistique. Dans un deuxième temps, nous avons développé deux offres B to B.
La première est C Chez vous, qui livre à domicile, sur rendez-vous ou en point retrait, les produits volumineux, gros électroménager, meubles, etc., activité pour laquelle nous sommes leader en France avec plus de 2 millions de pièces livrées annuellement. Nous avons mis cette expertise sur le marché et nous livrons actuellement pour le compte de 25 clients tels But, Maisons du Monde et Miliboo. Le potentiel de développement est très grand et cela nous permet également de renforcer la performance de Cdiscount, qui profite des volumes grandissants de C Chez vous.
La seconde est C-Logistics, désormais acteur de référence pour l’entreposage, la préparation de commande et la livraison des petits colis du e-commerce. Ce monde de l’e-3PL (Third Party Logistics) est totalement distinct du précédent et beaucoup plus structurant, car il consiste en particulier à gérer des entrepôts. Il y a là aussi un gros potentiel avec un démarrage très dynamique.
Une politique d’open innovation à l’échelle
Cdiscount mène une politique très volontariste en direction des start-up. Depuis 2017, nous avons scanné un ensemble de 2 500 start-up françaises et européennes qui opèrent directement ou indirectement sur notre secteur afin d’identifier les plus intéressantes. Les domaines que nous ciblons sont extrêmement variés, allant de la logistique à l’expérience client, en passant par le service après-vente, la personnalisation, l’IA, etc. Nos différentes équipes peuvent ensuite travailler, de façon autonome, avec celles qui les intéressent.
Nous avons mené plus de 150 expérimentations en proposant à chacune des start-up élues d’être intégrée, pour une courte période d’essai, à notre structure, sur le modèle d’une Proof of concept (POC) Factory, en étant rémunérée pour cela. Très rapidement, elles peuvent ainsi valider la faisabilité de leur proposition, expérimentée dans les conditions réelles de Cdiscount. Sur l’ensemble de ces expérimentations, plus d’une centaine ont ainsi été mises en production.
En matière de logistique, nous avons monté un incubateur, en l’occurrence un entrepôt, The Warehouse by Cdiscount, destiné aux start-up afin qu’elles puissent mettre à l’épreuve du terrain leurs propositions de supply chain 4.0. En 2015, nous avons ainsi permis à Exotec, alors une start-up, de développer les robots de son système Skypod qui optimise la totalité du volume disponible dans un entrepôt en travaillant dans les trois dimensions. Exotec est devenu l’un des leaders mondiaux de la robotique. Ses solutions sont présentes, outre chez Cdiscount, chez Carrefour, Leclerc ou Uniqlo, et s’implantent en Europe et aux États-Unis. Nous développons, par ailleurs, la première blockchain applicable à la supply chain.
Dans un tout autre domaine, avec la start-up Agrikolis, nous avons développé un système de 200 points de retrait de gros colis dans des fermes.
Cdiscount a contribué à accélérer de nombreuses start-up qui sont maintenant des sociétés de premier plan.
Une plateforme responsable, inclusive et solidaire
La protection de l’environnement
Dès 2008, nous avons décidé que nous ne détruirions plus aucun retour client ni produit cassé, décision que nous avons été les premiers à prendre. Ces produits sont soit remis en état par le réseau Envie et revendus si leur état le permet, soit confiés à des filières de démantèlement ou de recyclage. Le sujet de la réparabilité, qui implique davantage les fabricants, est maintenant notre priorité. Notre rôle est double : il consiste d’abord à inciter les fabricants à rendre leurs produits réparables, puis à inciter les clients, avec l’affichage bientôt obligatoire d’un indice de réparabilité, à acheter les produits les moins impactants pour l’environnement.
Nous avons également concentré nos efforts sur la filière transport et l’emballage dit 3D. Ainsi, nous avons été les premiers en Europe à ajuster la taille de nos emballages à celle des colis, en supprimant les vides inutiles, ce qui nous a fait gagner 30 % en volume expédié. Nous avons parallèlement demandé à nos transporteurs d’optimiser leurs chargements. L’addition de ces efforts a contribué à réduire le nombre de camions de livraison en circulation. Enfin, nous généralisons désormais l’emploi des colis réutilisables.
Le soutien à l’économie locale et au made in France
Dès 2015, nous avons lancé une série d’initiatives destinées à soutenir les commerçants en les incitant à vendre en ligne et en leur ouvrant notre market place. Avec la crise de la Covid-19, nous avons accéléré ce dispositif en rendant l’accès à la market place gratuit. Nous avons, en outre, été les premiers acteurs, dès avril 2020, à importer 70 millions de masques sanitaires, qu’à la demande du ministre des Transports, nous avons distribué prioritairement aux PME et aux PMI. En quinze jours, grâce à nos capacités digitales, nous avons monté un site capable de prendre les commandes et de livrer ces masques à l’ensemble des magasins du Groupe – Leader Price, Franprix et Casino Supermarchés –, où les entreprises ont pu venir les retirer, de même que les mairies et les régions.
Nous ne sommes donc pas une entreprise uniquement soucieuse de croissance et de rentabilité, nous savons aussi nous préoccuper d’enjeux plus larges et du rôle sociétal que nous pouvons jouer.
Débat
Un intervenant : Comment aidez-vous vos clients, perdus face à une pléthore d’offres, à orienter leur choix ? Envisagez-vous d’utiliser votre IA pour les conseiller ou de mettre en ligne des avis techniques comme naguère ceux du LaboFnac ?
Emmanuel Grenier : C’est un sujet majeur que nous avions sous-estimé quand nous avons ouvert notre market place. Nous avons alors été inondés de références qui ont saturé nos moteurs de recherche et nous avons dû les améliorer avec des systèmes de machine learning.
Deux axes de travail coexistent dans ces moteurs. Le premier consiste à analyser la requête pour savoir si elle a déjà été faite par des clients et si elle a été bien notée. Dans ce cas, le système propose préférentiellement les produits qui ont déjà été achetés, ceux qui sont peu appréciés étant relégués dans les profondeurs du classement.
Le deuxième axe est beaucoup plus complexe, car il relève de la sémantique. En effet, un moteur de recherche classique ne donne de réponses satisfaisantes que si la requête ne comporte qu’un ou deux mots. Dès lors que sa formulation se rapproche du langage naturel, il faut faire appel à des systèmes de reconnaissance sémantique beaucoup plus sophistiqués et que seuls maîtrisent dans le monde Google, évidemment, Facebook, confronté à la nécessité d’identifier les messages illicites, et OpenAI, une société d’Elon Musk. Les recherches de ces sociétés sont souvent accessibles en open source. Nous recourons donc à leurs technologies.
Enfin, nous veillons à ce que les fiches produits soient mieux faites, avec des conseils, des labels, des avis, etc. Là encore, le recours à l’IA est incontournable. Dans le e-commerce, la bataille autour de la tech est donc fondamentale.
Int. : Comment vos fournisseurs classiques ont-ils réagi face au développement de la market place ?
E. G. : Nous avons deux types de partenaires, à savoir 1 500 fournisseurs et 15 000 vendeurs. Les fournisseurs entrent dans le cadre historique des négociations annuelles, de l’assortissement, des budgets de référencement, etc. À moins d’être une très grande marque qui s’impose, telle Apple, ils subissent la concurrence des vendeurs de la market place. Le monde de ces derniers est disséminé sur toute la planète et est totalement entrepreneurial avec des entreprises comptant de 3 à 1 000 personnes, que l’on source en temps réel. C’est un univers très darwinien, très agile, et qui travaille à travers des plateformes et des portails. En matière de produits techniques, ce sont toujours les marques qui structurent le marché, mais la plupart de celles proposant des biens non techniques sont déjà très concurrencées par les vendeurs. Pour renforcer nos liens avec les fournisseurs, nous leur proposons maintenant de vendre leurs produits en market place également.
Int. : Qu’est-ce qui vous distingue d’Amazon, si ce n’est la taille ?
E. G. : Si nous n’étions pas différents, nous n’aurions pas pu nous développer. Trois choses nous différencient donc. Historiquement, notre premier atout a été notre positionnement en matière de prix et de promotions, tant dans les faits qu’au niveau de notre image. Notre deuxième atout est notre leadership sur les gros produits, notamment grâce à une logistique dédiée de très grande qualité.
Les facilités de paiement sont notre troisième atout. En 2007, nous avons développé le paiement “4 fois en 1 clic”. Grâce à l’IA, nous sommes désormais en mesure de scorer un client, en moins de 100 millisecondes, entre le moment où il choisit son mode de livraison et celui où il arrive sur la page de paiement. En fonction du verdict, nous lui donnons, ou pas, la possibilité d’avoir accès à cette option. Cela concerne la moitié de nos ventes et nous sommes les seuls à le faire à cette échelle.
Int. : Quel est votre intérêt à vendre votre technologie à vos concurrents français ?
E. G. : Octopia ne travaille évidemment pas avec certains concurrents directs français. Néanmoins, deux points sont à souligner : le potentiel de développement d’Octopia se situe, en particulier, à l’international – où Cdiscount n’est pas présent – et, en se développant, en attirant toujours plus de vendeurs et de produits, Octopia permet à Cdiscount de renforcer sa market place.
Int. : Puisque vos concurrents sont mondiaux, comment Cdiscount peut-il rester local ?
E. G. : L’internationalisation de Cdiscount se fera grâce à Octopia, qui est le bras armé de Cdiscount dans sa stratégie mondiale de B to B.
Des idées et des talents
Int. : En management, on connaît la fameuse alternative make or buy. Vous semblez ajouter que si vous vous décidez à faire, vous vous engagez aussi à vendre les technologies et les savoir-faire développés en interne. Au passage, cela vous oblige à apprendre à commercialiser ces solutions, et donc à développer une logique entrepreneuriale. C’est une rupture avec le dogme classique, surtout dans le retail. C’est un nouveau rapport à la tech. Quels changements cela induit-il dans un groupe comme Casino ?
E. G. : Dans la tech, il y a le back office et le front office. Dans le premier cas, ce sont des solutions comme la gestion financière ou la gestion des entrepôts. Ces solutions sont essentielles, mais ne permettent pas de se différencier, donc nous les achetons. En revanche, dans le cas de la tech de front office, celle qui se voit et qui fait la différence pour le client, nous faisons le maximum nous-mêmes et ensuite, effectivement, nous cherchons à vendre nos solutions pour en amortir les coûts sur une base plus importante, afin de développer du business et des opportunités supplémentaires. Effectivement, c’est une chose de développer la tech dont nous avons besoin, c’en est une autre de la vendre. C’est bien pour cela que nous avons créé nos trois filiales.
Il y a dix ans, nous étions encore des commerçants ; désormais, nous sommes une entreprise de la tech. Nous nous efforçons donc de faire coexister ces deux univers sans perdre notre ADN originel. Ce changement culturel passe avant tout par le recrutement. Dans la tech, les gens sont évidemment attirés par les salaires, mais surtout parce qu’ils y trouvent des référents, des gourous, en particulier en IA. À la tête de nos trois filiales, nous avons des entrepreneurs visionnaires, capables d’attirer des talents qui ont envie de travailler à leur contact. Il faut aussi instaurer des systèmes de rémunération attractifs pour les gens de très haut niveau que nous recrutons. L’un des enjeux des prochaines années est de permettre à chaque filiale de se développer en maintenant des valeurs communes entre des entités aussi différentes que Cdiscount, Octopia ou C-Logistics.
Int. : Comment attirez-vous ces talents chez vous alors que beaucoup d’entreprises se lancent dans la tech ?
E. G. : Tout d’abord, nous leur expliquons que nous sommes techniquement à la pointe dans notre métier, avec une plateforme de 800 personnes, des patrons reconnus et une organisation performante. Aujourd’hui, les gens en sont convaincus, ce qui n’était pas forcément le cas il y a cinq ans. Ensuite, nous leur vendons une aventure passionnante, intense et avec de vrais moyens, contre les meilleurs mondiaux. Il faut alors, point crucial dans leur recrutement, qu’ils aiment se battre et aient l’énergie vitale indispensable pour affronter cette compétition extrêmement exigeante. Nos rémunérations sont attractives, mais le salaire ne fait pas tout.
Int. : Si vous n’investissez pas dans les start-up, comment gérez-vous les conflits d’intérêts lorsqu’elles vous quittent ?
E. G. : Il n’y a pas de conflits d’intérêts. Nous n’y mettons pas d’argent, car nous ne sommes pas un fonds de private equity et elles repartent avec la pleine propriété intellectuelle de ce qu’elles ont pu développer chez nous. En retour, elles nous ont aidé à nous développer. Ainsi, sur l’emballage 3D, nous avons pris, grâce à elles, une avance de trois ans sur le marché, ce qui est un enjeu fondamental dans ce business. Nous bénéficions d’une collaboration avec plus d’une centaine de start-up, là où nos concurrents ont parfois bien du mal à collaborer avec une seule.
Int. : Puisque vous n’achetez pas de start-up, quelle part la R&D en interne a-t-elle chez Cdiscount ?
E. G. : Notre première source d’innovation est corrélée à notre puissance de feu en technologie et en IA, qui reste limitée face à celle des acteurs américains, mais est significative par rapport aux autres acteurs européens. Notre seconde source d’innovation est notre ouverture à l’extérieur. Dans le monde des start-up, celui qui gagne n’est pas seulement celui qui a les idées, mais aussi celui qui sait les mettre en œuvre rapidement. Alors, soit vous innovez en interne, ce qui demande beaucoup de moyens, soit vous vous tournez vers l’extérieur et vous êtes capables d’industrialiser vos connexions. C’est pour cela que nous aidons les start-up de l’IA en mettant des jeux de données à leur disposition pour qu’ils leur servent de base de travail. Si les résultats sont intéressants, alors nous industrialisons ensemble.
Int. : Face aux contraintes du règlement général sur la protection des données (RGPD), comment gérez-vous ces échanges de données ?
E. G. : Nous y sommes extrêmement attentifs. Nous sommes maintenant à la pointe et très actifs sur le sujet afin d’aider à le structurer sur le plan européen. Nous sommes très stricts sur la gestion des données de nos clients.
Le plaisir et l’énergie
Int. : Comment réagissez-vous face aux transformations induites par le Digital Market Act de la Commission européenne ?
E. G. : Nous réagissons de façon très positive. Nous avons participé à toutes les réunions et sessions de travail avec les équipes du commissaire Thierry Breton. Cette réglementation vise en effet à réguler et à recréer de l’équilibre entre les acteurs. L’essentiel pour nous est que les différents acteurs soient traités de manière équitable. C’est une question cruciale qui se pose aussi à tous les citoyens soucieux de garder la main sur leur destin.
Int. : Que reste-t-il du plaisir de l’achat quand on n’est plus que face à son ordinateur ?
E. G. : Commercialement, le monde est coupé en deux. D’un côté, nous avons un modèle commercial américain, très automatisé, efficace, qui a pour objectif que les clients passent le moins de temps possible sur le site. De l’autre côté, à l’opposé, il y a le modèle chinois, qui est plus commerçant, propose des jeux et de très nombreuses promotions avec pour but que le client passe le maximum de temps sur le site, y prenne du plaisir et y revienne régulièrement. Cette approche est historiquement la nôtre et nous sommes en train de la renforcer afin d’améliorer l’expérience d’achat des clients qui y sont sensibles.
Int. : Comment faites-vous pour diriger sans faiblir depuis quatorze ans une telle aventure, à un tel rythme, avec une telle pression ? Parvenez-vous malgré tout à bien dormir ?
E. G. : La première qualité d’un chef d’entreprise, c’est la condition physique ! Parvenu à ce niveau-là, vous bossez énormément et il faut bien dormir ! C’est une question à la fois de volonté et de résilience. En quatorze ans, on passe aussi, forcément, par des moments de doute et de fatigue, et il faut tenir. C’est là une question de personnalité et de travail sur soi. S’il est important de cultiver ses talents, il l’est aussi de gérer ses fragilités personnelles et, pour cela, d’accepter de se faire coacher.
Quatorze années représentent aussi plusieurs cycles qui s’enchaînent et vous obligent à remarcher dans vos traces en permanence. Pour un dirigeant, le plus difficile est de devoir renouveler sa vision, la faire évoluer régulièrement. Il ne peut pas se permettre de ne plus rien avoir à proposer à ses équipes et à ses actionnaires et doit éviter des redites du passé. Il ne faut pas non plus être un dictateur, ce qui tuerait les idées neuves. Il faut donc savoir s’entourer de collaborateurs différents de soi et puissants, dont vous devez accepter qu’ils vous challengent en permanence. En somme, il faut de la fierté, celle que l’on ressent dans son for intérieur, mais pas de l’ego, qui empêche les autres d’exister.
Le compte rendu de cette séance a été rédigé par :
Pascal LEFEBVRE