Exposé de Christophe Dolique
Un marché stratégique
Une grande partie de ma carrière s’est déroulée dans les secteurs du paiement et des télécommunications mobiles, domaines dans lesquels la recherche de solutions de paiement innovantes pour assurer la viabilité économique des services mobiles déployés était indispensable. Chez Ingenico, en tant que vice-président exécutif en charge de la stratégie, de l’innovation et de la nouvelle division de services transactionnels, j’ai pu mesurer que les services de paiement basés sur la carte ne permettaient pas, sous leurs formes, de répondre à ces besoins.
En 2011, j’ai mené une analyse faisant apparaître la répartition des principaux moyens de paiement dans le monde. Elle montrait que les transactions en point de vente étaient réalisées pour moitié en espèces (14 500 milliards de dollars par an), mode de paiement en déclin, et pour moitié par carte bancaire (10 000 milliards de dollars), mode de paiement mature. Ces deux modes de paiement dominaient alors largement ce marché et les paiements digitaux et le e-commerce, qui ont depuis largement progressé, ne représentaient que 780 milliards de dollars. Cet écosystème du paiement, avec ses différents acteurs et ses règles, fut bouleversé par l’apparition du smartphone. De nouveaux grands noms du numérique l’utilisèrent pour prendre pied dans le monde du paiement avec, dans une première phase, un focus sur le e-commerce et, dans une seconde phase, grâce à l’accélération de la digitalisation, un focus sur le monde plus difficile à appréhender du retail physique.
Il s’est rapidement avéré que l’enjeu ne serait pas tant le simple paiement que la maîtrise des données générées et le déploiement de nouvelles expériences d’achat, émergentes ou restant à inventer, permettant de développer l’activité commerciale. Par exemple, la vente en click and collect, très sollicitée dans le cadre de la pandémie de Covid-19, nécessite de faire évoluer les modes de paiement puisqu’il n’y a plus de passage en caisse ni d’insertion de carte dans un terminal de paiement électronique (TPE). Ce nouveau mode de vente va redéfinir la relation client et les interactions entre commerçant et consommateur.
Le paiement n’est donc plus la seule finalité. Ce qui importe désormais est de savoir comment, à partir d’un ensemble de données et de fonctionnalités, améliorer la relation client et développer des modèles et des services pouvant générer de l’argent au-delà du seul paiement.
C’est sur la base de ces constats que le projet Lyf Pay est né. Nous avons cherché à nous positionner au cœur de la nouvelle relation marchand-consommateur en apportant au monde du retail physique les bénéfices de l’online retail.
La complexité initiale du déploiement dans le monde physique s’est finalement avérée être une opportunité : elle freine encore l’entrée massive des grands acteurs du numérique qui restent dans le monde du paiement, très éloignés des problématiques du “brick and mortar”.
Un alignement des planètes
Pour qu’une révolution ou une disruption ait une chance d’aboutir, il est indispensable que plusieurs facteurs s’alignent, ce qui est le cas depuis les cinq à dix dernières années dans le monde du paiement.
Le premier domaine où cela s’est manifesté a été celui des technologies. Aujourd’hui, le smartphone de tout un chacun est devenu le principal support mature de communication et d’échanges commerciaux. La qualité des réseaux est bonne et ne cesse de s’améliorer, et les plateformes sont omniprésentes. La technologie de base nécessaire à notre projet était donc déjà présente, peu onéreuse et largement déployée.
Avec le smartphone, de nouveaux usages de consommation entrent peu à peu dans les mœurs. Par exemple, les réservations ou les commandes à distance se développent, le click and collect et le click and delivery étant à l’honneur en ces temps de confinement. Ainsi, les nouveaux usages d’achat poussent à changer tant les façons dont les solutions sont mises en œuvre que les acteurs qui les déploient.
De nouveaux modèles économiques apparaissent, liés à l’usage des data générées dans des domaines aussi variés que la connaissance fine du client, la gestion de la fraude, l’évolution des recommandations, les interactions entre parties, etc.
De même qu’une nouvelle réglementation avait vu le jour dans le domaine des télécoms, entre 1995 et 2000, suite à l’arrivée de nouveaux acteurs, le domaine du paiement voit de nouvelles règles s’appliquer pour la même raison. Ainsi, la deuxième directive européenne des services de paiement (DSP2) définit un nouveau cadre dans les services financiers et de paiement.
Cela concerne en particulier les acteurs qui développent de nouveaux services en réalisant de l’agrégation de comptes (Account Information Services Providers – AISP) et ceux qui font de l’initiation de paiement (Payment Initiation Services Providers – PISP), c’est-à-dire ceux qui passent des ordres de paiement pour le compte de tiers.
Aujourd’hui, les European Passport Licences permettent à tout acteur domicilié dans l’Union européenne de pouvoir opérer dans un autre pays membre. Pour ces nouveaux acteurs, cela facilite une approche globale européenne et une harmonisation des différentes pratiques au sein de l’Union européenne.
La nouvelle réglementation redéfinit aussi les moyens d’identification à distance d’un utilisateur par l’émetteur du moyen de paiement, préalablement à toute opération (Strong Customer Authentification – SCA). Ceci impacte fortement l’expérience utilisateur.
Un autre point est l’obligation désormais faite aux banques de mettre à la disposition d’acteurs tiers des interfaces de programmation d’application (Application Programming Interface – API) afin qu’ils puissent développer des services bancaires ou financiers innovants à partir des données et services ainsi accessibles.
De nouvelles règles (Multilateral Interchange Fees – MIF) uniformisent également les redevances dues lors des paiements par carte au niveau européen (domestiques et transfrontaliers). La Commission européenne a baissé leur montant, il y a deux ans, ce qui a remis en cause un certain nombre de pratiques.
Ces éléments viennent en complément des mesures déjà imposées par le règlement général sur la protection des données (RGPD) concernant la protection des données utilisateurs, particulièrement dans le domaine du digital.
Le grand chambardement
L’ensemble de ces évolutions a donc permis à une myriade de nouveaux acteurs d’apparaître dans ce secteur du paiement que je classerai en plusieurs familles.
La première famille, que je nomme les XPay (Apple Pay, Google Pay, Samsung Pay, etc.), regroupe tous les acteurs qui, globalement, s’appuient sur la carte bancaire, l’intègrent au smartphone et la font dialoguer avec les terminaux existants par le biais d’une interface NFC (Near Field Communication). Cela reproduit le comportement classique d’une carte bancaire et donc ne constitue pas une évolution majeure. Cette évolution ne permet pas au commerçant de capitaliser sur cette approche, celui-ci ne connaît pas plus son client après le paiement qu’avant et ne peut donc interagir en aucune façon avec lui par le biais de son smartphone.
Ensuite, nous trouvons des associations de banques (Paylib, PayDirect, Payconiq, etc.), organisées pour fournir des solutions de paiement mobile et différents types de prestations de services, qui varient selon les pays.
Puis viennent les grandes enseignes commerciales (Casino, Fnac, Carrefour, Starbucks, etc.) qui développent leurs propres solutions, chacune voulant intégrer la sienne dans son application, non seulement pour proposer et monétiser leurs services marchands, permettre le paiement dans leurs magasins via leur application mobile, mais aussi pour interagir avec leurs clients grâce à leur mobile.
D’autres types d’acteurs coexistent avec les précédents : des opérateurs des télécoms (Orange, Vodafone, etc.) ; des acteurs de la fintech (Lydia, Pumpkin, etc.), qui proposent des services consacrés en premier lieu aux paiements de personne à personne (P2P) tels que les règlements entre amis ou aux services de cagnotte ; des acteurs focalisés sur des marchés verticaux, comme PayByPhone, dédié au paiement des parkings ; ou encore de grands acteurs, comme PayPal ou Amazon, qui, fort de leur positionnement de leaders dans le e-commerce et de leurs importantes bases d’utilisateurs, se lancent, eux aussi, dans l’aventure.
De par leur positionnement, tous ont des angles d’attaque très différents pour se déployer, des choix technologiques qui leurs sont propres, des propositions de valeur variées, chacun étant cependant tendu vers un seul objectif : prendre place sur le marché prometteur et stratégique du paiement mobile et se constituer la plus large audience d’utilisateurs.
Mobile first
Au sein de cet écosystème, notre stratégie a d’abord été de définir la bonne cible, le bon angle d’attaque et un positionnement viable, afin de nous assurer que notre solution répondrait bien et de façon innovante aux besoins de ce nouveau marché tout en apportant une vraie valeur à ses différents acteurs : les utilisateurs, les commerçants, les fournisseurs de services et les banques.
Notre parti pris initial a été d’être mobile first. Tout le monde dit la même chose, mais peu d’acteurs poussent la logique jusqu’au bout, à savoir être non seulement un élément du processus de paiement, mais aussi un moyen d’accès aux services (marchands) et un mode ou un média d’interaction permanent et personnalisé avec le client.
En effet, en sortant d’un magasin où vous avez payé avec votre solution XPay, le commerçant ne vous connaît pas plus que lorsque vous y êtes entré, alors qu’il pourrait interagir avec vous (si vous le souhaitez) pour mieux vous servir en fonction de vos habitudes et de vos préférences et, ainsi, personnaliser la relation client en faisant du marketing one to one. En second lieu, le smartphone peut devenir le support de nouveaux modes de distribution, à travers, par exemple, le scan and go, qui permet à l’utilisateur, via son smartphone, de scanner en magasin les produits qu’il souhaite acheter, les payer et sortir sans passer en caisse. Pour y parvenir, le paiement mobile est un préalable incontournable. La question est donc de savoir comment ce paiement mobile peut servir au mieux toutes ces propositions de valeur et comment, en retour, on peut attendre de lui qu’il enrichisse les différents acteurs tout en respectant leurs choix. Il est important que le commerçant connaisse vos comportements pour mieux vous servir, vous proposer des remises adaptées, mais si vous ne voulez pas être “tracé”, cela doit être possible aussi. Chez Lyf Pay, le client décide s’il accepte de suivre tel ou tel commerçant, il sait ce qu’il reçoit en échange et il peut changer d’avis et cesser de le suivre à tout moment. Cela a été pensé dès la conception du système, ce qui fait que nous n’avons eu aucun problème avec le RGPD, dont nous avions pleinement intégré la philosophie très en amont.
Un écosystème à fédérer
Comme il s’agissait de nous positionner au cœur d’un écosystème, il nous fallait aller bien au-delà des seuls marchands et consommateurs. Notre parti-pris très fort de compliance devait donc être complété par une démarche visant à fédérer un ensemble d’acteurs tels les banques, les opérateurs de services, les marques, les consultants et les services financiers, indispensables pour bâtir une offre qui soit pertinente, la plus riche possible et réellement différenciante.
Lyf Pay se positionne donc dans une logique de partenariat gagnant-gagnant avec chacun de ces acteurs afin de travailler le plus efficacement possible.
Chaque acteur contribuant au projet en retire un bénéfice qui se veut à la mesure de la valeur créée par sa contribution. Prenons comme exemple le service de click and collect que nous déployons en ce moment. Sur ce marché, certains spécialistes ont les savoir-faire nécessaires au développement de solutions pour le marché de la restauration ; nous intégrons donc leurs solutions dans notre application. En retour, ils bénéficient de notre audience d’utilisateurs, des moyens de paiement prêts à l’usage que nous mettons à leur disposition ainsi que de notre savoir-faire d’animation et d’accompagnement des marchands et des utilisateurs. Dès le début, notre volonté a été de fédérer et de trouver le modèle le plus agile et le plus attractif pour ces acteurs afin qu’ensemble, nous puissions offrir les solutions les plus riches et les plus complètes possibles.
Aujourd’hui, quand un commerçant veut déployer une application intégrant le paiement mobile pour développer son activité, il a principalement le choix entre les trois options suivantes :
• Choisir de développer l’ensemble de la solution en propre avec tous les services, les savoir-faire, les mesures de sécurité, etc. qui en découlent. En outre, il devra éduquer le marché, mettre à jour ses technologies, animer des communautés, etc. Beaucoup d’enseignes ont fait ce choix, mais, après quelque temps ainsi que beaucoup d’énergie et d’argent investis, elles se sont retrouvées, pour certaines, face à des résultats en deçà de ceux attendus.
• Adopter la solution d’un grand opérateur – c’est-à-dire un GAFA – et accepter les conditions proposées pour accéder à un service plus ou moins adapté à ses besoins.
• Adhérer au modèle que Lyf Pay propose, dans lequel chacun participe en développant au mieux son activité grâce à la plateforme et aux services mis à sa disposition selon différentes formules.
Nous avons matérialisé cela par une gouvernance originale : sont présents au capital à la fois des banquiers et de gros retailers qui participent ainsi au développement et à la mise en œuvre de ce type de solution. C’est d’autant plus important que, si ces acteurs aux objectifs différents ont réussi à trouver un modus operandi respectant les intérêts de chacun, cela conforte les autres acteurs de l’écosystème à penser que leurs intérêts aussi seront bien pris en compte.
Dans une démarche d’innovation, il est très important de démontrer et de garantir aux clients potentiels qu’il s’agit bien d’une ambition industrielle pérenne et non d’un projet sans garantie de lendemain. Notre écosystème se situant à la rencontre du retail et du paiement, l’objectif est de fédérer le plus grand nombre d’acteurs pour le bénéfice de chacun au travers du déploiement et de l’utilisation de la solution Lyf Pay.
Au cœur d’un changement de paradigme
Le paiement par carte que nous utilisons quotidiennement est né durant la seconde moitié des années 1980. Initialement dédiées à la seule fonction de paiement, vers 1990, les cartes ont évolué pour offrir différents services, tels que des assurances, des services VIP (carte Gold, carte Black)... Dans les années 2000, l’accent a été mis sur l’usage de ce moyen de paiement avec le 1-Click d’Amazon et de PayPal. En 2008, sont apparues les premières sociétés, comme Cardlytics, qui ont bâti des offres reposant sur la connaissance du client basée sur ses habitudes d’achats pour lui suggérer d’autres types de produits susceptibles de l’intéresser. Les évolutions suivantes ont porté sur la simplification du déploiement des services de paiement chez les commerçants, telle l’offre proposée par l’entreprise Adyen, se substituant ainsi à plusieurs intervenants externes nécessaires auparavant. En 2010, une société américaine, Venmo, a percé sur le marché du paiement entre particuliers, ce qui a démontré l’intérêt de la dimension sociale du paiement, son importance dans les interactions avec nos proches : partage d’addition au restaurant, remboursement des courses, paiement du loyer en collocation… Enfin, sont arrivés Alipay et WeChat Pay, qui agrègent dans une même application tous les services dont l’utilisateur a besoin dans son quotidien pour faire ses courses, régler ses factures, se divertir, etc.
Lyf Pay a donc choisi de combiner l’ensemble de ces fonctionnalités, à l’instar des acteurs chinois, pour proposer une solution à la fois complète et répondant aux (futurs) besoins de consommation quotidiens des utilisateurs.
Après avoir déterminé ce que nous allions faire et avec qui, il nous a fallu définir le modèle sur lequel nous allions nous appuyer.
Les sociétés qui se sont ruées vers l’eldorado du paiement mobile peuvent être classées selon les deux types de stratégies qu’elles ont choisies dans la mise en œuvre de ces services.
D’une part, il y a celles qui travaillent à partir de l’existant, avec la carte bancaire comme vecteur, et qui s’inscrivent dans la logique des néobanques. D’autre part, il y a celles qui estiment que pour proposer une palette de services marchands autour du paiement, il faut aller bien au-delà de la capacité de l’existant. Ces dernières s’inscrivent plus dans une approche de type Alipay.
Chacune de ces options présente des avantages et des inconvénients. Partir de l’existant permet de capitaliser sur l’éducation du marché en s’appuyant sur le business model de la carte, comme le fait Apple Pay, avec une première offre bâtie autour du seul service de paiement sans contact. En revanche, ces legacy systems1 n’ont pas été pensés pour le développement des services de paiement mobile devant s’intégrer dans des environnements marchands n’appelant pas de paiement.
Le second modèle, à l’instar de celui promu par Alipay, dans lequel Lyf Pay s’inscrit, requiert entre autres le déploiement chez les marchands d’un nouveau réseau d’acceptation pour prendre en compte cette nouvelle proposition de valeur – combinant services de paiement, services de fidélité, nouvelles expériences d’achat… –, ainsi qu’une éducation du marché et la création d’une audience.
Selon nous, les acteurs inscrits dans un modèle de néobanque, basé en particulier sur la carte bancaire, auront de plus en plus de mal à intégrer le foisonnement des nouveaux usages à venir dans des systèmes hétérogènes qui n’ont pas été conçus pour les accepter.
Une proposition de valeur tout-en-un
L’application et la plateforme Lyf Pay donnent au commerçant de la visibilité et une présence sur le mobile de ses clients et prospects. Elles lui permettent aussi de se constituer et d’animer une communauté de clients et de prospects, d’améliorer l’expérience client en proposant des parcours d’achat innovants, de développer une animation commerciale personnalisée et de dématérialiser la phase de paiement dans son intégralité en point de vente (paiement, fidélité, coupons, tickets de caisse).
Dans le nouveau contexte lié à la crise sanitaire de la Covid-19, cette dematérialisation permet au commerçant de limiter les contacts physiques. Il peut également optimiser les flux en magasin pour accueillir ses clients dans les meilleures conditions – en y limitant le temps passé, en supprimant le passage en caisse… – et proposer des alternatives à la venue en magasin telles que le click and collect, le click and drive ou le call and collect.
Le consommateur, quant à lui, bénéficie d’une application tout en un, regroupant les services lui permettant de gérer ses paiements et ses achats du quotidien.
Les différentes fonctionnalités proposées par l’application s’articulent principalement autour de trois grands thèmes. Payer en caisse permet de payer en un seul geste en magasin, en présentant le QR code généré par l’application Lyf Pay, avec la prise en compte des éléments liés au programme de fidélité du commerçant et la dématérialisation du ticket. Il permet également la dématérialisation et la gestion des cartes de fidélité ainsi que le paiement en sans contact NFC pour certains utilisateurs. Entre amis donne la possibilité d’envoyer ou de demander de l’argent à un ami ainsi que de créer et de partager une cagnotte. Enfin, Sans passer en caisse permet de faire ses achats et/ou ses paiements directement depuis son mobile (scan and go, click and collect, paiement à table, etc.). En dehors de ces thèmes, d’autres services permettent, par exemple, de faire un don à des associations caritatives, participer à des achats groupés, partager ses dépenses…
Certains de ces services nécessitent une intégration de l’environnement des commerçants (par exemple, le scan and go). D’autres, que l’on nomme standalone, ne nécessitent pas ce type d’intégration (par exemple, le P2P), ce qui simplifie leur déploiement.
En fonction des ses choix, le client va pouvoir, entre autres, recevoir les notifications de ses paiements, être informé des actualités de chaque marchand sélectionné, recevoir des coupons personnalisés, s’inscrire en un clic à un programme de fidélité, toutes choses relevant classiquement de l’animation commerciale.
Lyf Pay sera donc pour lui une “super application” qui simplifiera et enrichira son quotidien de consommateur, grâce à ce qui sera devenu un véritable paiement augmenté. Cette variété d’utilisations permet un usage soutenu et récurrent de l’application Lyf Pay.
Les marchés ciblés
Lyf Pay cible tous les domaines de la vie quotidienne. Notre cœur de marché est le commerce organisé – alimentaire, habillement, maison, etc. Viennent ensuite les secteurs de la restauration, sur place ou à emporter, celui des PME et des TPE, des artisans, des professions libérales, etc. Comme il s’agit d’un changement profond qui nous fait passer d’un monde familier à un monde digitalisé, cela requiert un important travail de pédagogie, aussi bien auprès des utilisateurs que des commerçants et de leur personnel.
L’événementiel, avec les salles de spectacles ou les enceintes sportives, est aussi un secteur intéressant, car il est encore très largement resté au paiement en espèces. Il lui faut, comme l’a fait la Chine, passer directement des espèces au mobile, avec tout ce que cela induit comme avantages, tels que la constitution de bases clients et la construction de nouvelles interactions. Enfin, le secteur des transports nous intéresse également. Si une ville veut s’équiper, il lui faut en effet prendre en compte de façon cohérente tous ses éléments structurants, depuis les commerces jusqu’aux transports et au tourisme, afin d’avoir une offre pertinente de bout en bout valorisant l’ensemble de son écosystème urbain.
Le but de Lyf Pay est donc non seulement de simplifier les usages du quotidien, mais aussi de permettre à tous les acteurs qui les sous-tendent d’établir de nouvelles interactions et de proposer de nouveaux modèles. Par exemple, faire ses achats dans un centre commercial implique un ensemble d’interactions telles que régler une place de parking, faire des achats en boutique, prendre un café au bar ou un repas dans la galerie marchande, aller au cinéma, etc. Cela ouvre un champ du possible à inventer où tous ces acteurs pourront interagir pour proposer de nouveaux services combinés à leurs clientèles.
Les principaux enseignements
Nous nous inscrivons dans un modèle pluridimensionnel du paiement. Son succès dépendra de la taille des communautés que nous serons en mesure d’activer, des volumes de paiement générés par l’utilisation des différents services à valeur ajoutée que nous mettons à disposition et de notre capacité à interagir de manière efficiente avec une audience qualifiée et engagée.
Comme nous sommes dans un marché biface avec des commerçants et des utilisateurs à recruter, il nous faut simultanément développer ces deux dimensions afin de créer de la variété et de la récurrence d’usage. Nous avons essayé plusieurs types de positionnement et la conclusion à laquelle nous sommes parvenus est que nous devons être dans une stratégie de communication B2C2B. Cela implique que la création et l’animation de la communauté d’utilisateurs est finalement aussi importante que le déploiement en direction des commerçants et que ceux-ci, s’ils peuvent jouer un rôle de relais, ne sont cependant pas suffisants pour recruter nos futurs utilisateurs dans une première étape.
L’autre enseignement est que nous devons nous focaliser sur les early adopters, car il ne sert à rien d’essayer de convaincre des commerçants et des utilisateurs qui ne sont pas dans une dynamique de changement ou d’évolution des usages. Sur ce point, les festivals ont été pour nous un très bon terrain d’expérimentation, car ils attirent précisément la population friande de ce genre d’innovation, capable de la comprendre et de l’accepter très rapidement, et ensuite de s’en faire la porte-parole auprès d’autres catégories de population. La façon dont nous avons structuré notre communication, en fonction des opportunités et de la maturité de certains segments, s’est donc avérée essentielle.
Lorsque l’on parle de paiement mobile, il ne faut pas non plus ignorer toutes les règles qui s’appliquent à cette mobilité. Aujourd’hui, il existe plus de 4 millions d’applications sur Google Play et sur l’Apple Store, mais seule la moitié des mobinautes charge plus d’une application par mois, l’autre moitié n’ayant qu’une activité plus occasionnelle. Pour apparaître en page d’accueil et être choisie de manière répétitive, notre application doit réunir et mobiliser un certain nombre de critères et de savoir-faire.
Tout l’enjeu, pour exister sur le mobile va donc être de recruter, développer et animer une communauté engagée. À cette fin, il est nécessaire de maîtriser les bonnes pratiques pour parvenir à être bien référencé, être promu sur les bons médias, acquérir la maîtrise de certaines technologies et d’outils spécifiques, définir les bons critères en matière de design de service, toutes choses essentielles qui conditionneront l’adoption et l’usage de l’application. Ensuite, il sera incontournable de faire vivre le contenu de l’application dans un environnement sécurisé propre et d’interagir de façon très fine avec les utilisateurs pour que la communauté reste engagée. Tout cela relève de métiers très divers et très techniques et si le savoir-faire paiement est essentiel, le savoir-faire mobile l’est tout autant. Le centimètre carré sur la page d’accueil d’un smartphone est très très convoité !
Un enjeu d’écosystème
Quand nous nous sommes lancés dans cette aventure, il était important de trouver la bonne proposition de valeur tout en créant de la disruption. En premier lieu, il nous a fallu procéder par étapes, en adaptant constamment notre stratégie afin d’appréhender les poches d’opportunités (low hanging fruits) et en ajustant en permanence la trajectoire pour atteindre notre cible en fonction des changements affectant notre environnement. Ainsi, par exemple, nous avons dû nous adapter à cinq changements de réglementation financière liée à notre domaine en quatre ans. De tels aléas peuvent rapidement vous conduire à l’échec si vous ne prenez pas à temps les bons virages. Il est donc vital de bien appréhender la maturité du marché plutôt que d’en subir les évolutions. La gestion du temps face aux contraintes, aux incertitudes, à l’acceptabilité du marché est donc un élément crucial pour tirer le meilleur parti de l’agenda.
La capacité à fédérer est tout aussi indispensable, à la fois pour démarrer et être pertinent dans la durée, ce qui nécessite d’avoir recours à des savoir-faire et à des technologies qu’une entreprise de la fintech classique ne maîtrise pas forcement. Il est donc nécessaire de s’appuyer sur des partenaires qui vous ouvrent l’accès à ce genre de marchés et de technologies. Il est également important de pouvoir compter sur des acteurs susceptibles de tester votre solution et de la mettre en œuvre dans une démarche de coconstruction afin d’ajuster et de valider la ou les proposition(s) de valeur, car ce sont eux qui savent le mieux ce dont ils ont besoin. De plus, cela permet d’avoir des premières références et d’accéder efficacement aux diverses clientèles potentielles. Enfin, cela permet de pouvoir se démultiplier grâce aux partenaires, dans le cadre d’un modèle partagé gagnant-gagnant.
À titre d’exemple, Alipay n’a commencé à vraiment exploser, en 2015, qu’après une période de maturation de plus de douze ans. Il faut un certain temps pour qu’un tel écosystème se mette en place et se déploie.
1. Système hérité ou système patrimonial – il s’agit d’un matériel ou d’un logiciel utilisé dans une organisation alors qu’il est supplanté par des systèmes plus modernes.
Débat
Un intervenant : Tout dans Lyf Pay est très simple, mais il faut quand même s’enrôler préalablement, c’est-à-dire que le système doit vous identifier de façon forte. Cela fait de vous un tiers de confiance qui peut authentifier les internautes. Les applications de cette authentification, considérables, ne vont-elles pas bien au-delà du paiement ?
Christophe Dolique : Nous devons effectivement enrôler les utilisateurs avec un certain nombre d’informations afin de garantir à toutes les parties un niveau de sécurité élevé et pour respecter toutes les obligations réglementaires. Nous nous sommes efforcés de faciliter les choses. Ainsi, les clients de nos partenaires Crédit Mutuel ou BNP Paribas peuvent s’enrôler directement depuis l’application de leur banque à distance, sans avoir à ressaisir leurs données personnelles. À terme, nous pouvons imaginer devenir une sorte de Facebook Connect du paiement et de l’achat, c’est-à-dire de pouvoir mettre en relation nos partenaires qui proposent leurs services dans notre application avec, sous réserve de leur consentement, des utilisateurs aux identités vérifiées et ayant ajouté des moyens de paiement certifiés.
Int. : Pouvez-vous nous donner des éléments chiffrés sur l’état de votre développement ?
C. D. : Nous comptons 3,5 millions de téléchargements et nous avons 1,5 million de comptes utilisateurs.
Int. : Quel est le degré de stabilité des interfaces de votre système ?
C. D. : Comme dans tout système, la perfection n’arrive pas du premier coup ! Nous en sommes à la cinquième version et sommes désormais parvenus à un niveau d’APIs (Application Programming Interface) et de fonctionnalités très stable, riche et facile à déployer. C’est pour parvenir à ce résultat qu’il faut avoir la capacité de s’inscrire dans la durée et de pouvoir travailler avec des acteurs et des partenaires qui peuvent vous aider à améliorer et à enrichir votre produit.
Coconstruire
Int. : Quelles interactions entretenez-vous avec les partenaires que vous faites entrer à votre capital ?
C. D. : En premier lieu, nos actionnaires nous accompagnent dans notre développement et la promotion de nos services. Ils facilitent aussi la mise à disposition de ces services innovants auprès de leurs propres clientèles. Nos banques actionnaires peuvent aussi distribuer nos produits auprès de leur clientèle de commerçants indépendants, ce qui représente pour nous un canal de distribution important. Quant aux commerçants, ils participent à la coconstruction des solutions que nous développons.
Int. : Comment parvenez-vous à coconstruire ?
C. D. : Nous gardons toute latitude pour faire des propositions et en entériner, qu’elles soient issues de nos propres idées ou de demandes que l’on nous a faites. L’enjeu est de trouver de manière pragmatique le bon équilibre pour embarquer les différentes parties.
Int. : À quelle étape de votre développement avez-vous réussi à attirer ces gros actionnaires ? Était-ce parce que vous aviez déjà largement fait vos preuves ?
C. D. : Nous nous attaquions à un très gros défi et il nous était essentiel d’obtenir ces appuis dès le premier jour. L’activité s’est initialement développée dans deux directions. Une première initiative, constituée autour du Crédit Mutuel, de Total et d’Auchan, a vu le jour, puis une autre est née, portée par BNP Paribas, avant que, très vite, on ne fusionne ces deux initiatives pour donner naissance à Lyf Pay.
L’équipe porteuse du projet fédérait un certain nombre d’expériences et d’expertises. À titre personnel, dans ma vie précédente, j’avais monté un business très rentable autour des services mobiles SMS et MMS, devenu le numéro un mondial du secteur, et j’avais eu différentes expériences dans des postes de direction chez Gemalto et chez Ingenico dans le démarrage et le développement de nouvelles activités. Ce double savoir-faire dans les services mobiles et le paiement, partagé par les membres de l’équipe, nous créditait donc de quelques atouts auprès des industriels approchés.
Int. : Comment facturez-vous vos services aux commerçants ?
C. D. : Il y des frais sur les transactions de paiement et sur les différents services proposés. Ces frais viennent en remplacement de frais existants (frais de paiement carte, frais de campagne marketing…) et/ou permettent de générer des ventes supplémentaires (service de click and collect…). Le seul investissement initial qui incombe aux commerçants est de s’équiper en faisant les travaux nécessaires dans leurs environnements (par exemple, le système de caisse), afin qu’ils puissent s’interconnecter avec nous. De plus en plus de fabricants de systèmes de caisse intègrent désormais la fonctionnalité Lyf Pay dans leurs systèmes et solutions, ce qui réduit d’autant l’effort et le coût pour le commerçant.
Int. : Avez-vous établi une forme d’exclusivité avec vos partenaires ?
C. D. : Un commerçant ne peut pas dépendre d’un seul service de paiement. Il n’y a donc pas d’exclusivité possible. Ceci dit, il est peu probable qu’ils prennent le risque de développer un système de paiement “exotique” avec quelqu’un d’autre.
Bâtir de nouveaux rails
Int. : Votre système peut paraître quelque peu effrayant pour tous ceux qui ne veulent surtout pas être reconnus et sollicités par les champions du marketing. Que leur répondez-vous ?
C. D. : Dans notre application, tous les commerçants sont référencés et vous ne vous abonnez qu’aux commerçants de votre choix. Comme sur Twitter, seuls les followers sont concernés par les informations, promotions etc. Le consommateur qui ne souhaite pas être importuné par un commerçant donné peut simplement ne pas le sélectionner. Il restera ainsi anonyme à ses yeux et ne recevra aucune information de sa part. À l’inverse, s’il veut recevoir les bons plans de cette enseigne, il doit explicitement la sélectionner. Nous avons conçu le système avec une démarche privacy inside afin d’être sûrs de respecter les appétences ou non appétences de chacun. De plus, certains services, comme le passage rapide en caisse ou les nouvelles expériences d’achat, n’impliquent pas que le commerçant vous connaisse pour qu’il vous les propose et que vous comme lui en soyez satisfait.
Int. : Arriverez-vous à faire des paiements directs sans carte bancaire ? On commence à s’inquiéter des digital currencies chinoises qui ambitionnent de le faire.
C. D. : En France, la carte bancaire est à ce jour le principal moyen de paiement. Le paiement direct ou instantané n’est pour le moment qu’une promesse et les usagers ne sont pas encore prêts. Notre plateforme a été conçue pour être “agnostique” vis-à-vis des moyens de paiement utilisés par les utilisateurs. Si demain l’usage de moyens de paiement comme l’instant payment ou de la cryptomonnaie se développe, nous les intégrerons à Lyf Pay et nous les utiliserons – à condition, toutefois, qu’ils soient plus pertinents d’un point de vue de l’expérience utilisateur, de leur coût, etc.
Int. : Vous êtres un petit acteur très spécialisé au milieu de grandes entreprises. Comment se passe la compétition entre les différents écosystèmes du paiement mobile ?
C. D. : Ce qui fait la force de Lyf Pay est sa capacité à intégrer dans une même équipe de 160 personnes tous les savoir-faire, expertises et composantes indispensables à la mise en œuvre de services pour le paiement mobile dans des univers marchands, tout en pouvant s’appuyer sur des partenaires industriels de premier plan. Lyf Pay a pour seul objectif d’être focalisé sur ce domaine et d’en être à l’avant-garde, a contrario d’autres entités où le paiement mobile ne représente qu’un sujet parmi tant d’autres. Il y a une formule en anglais qui résume cela : size doesn’t matter !
Plus nous avançons, plus nous nous améliorons et plus nous fédérons. Serons-nous l’entreprise qui fédérera plus que les autres ? Je l’espère et c’est notre état d’esprit. C’est ainsi que nous serons en mesure d’emporter la partie. La crise actuelle de la Covid-19 démontre un besoin de digitalisation jamais atteint, qui doit être satisfait rapidement et de façon pertinente. Je suis convaincu que nous allons vers un phénomène d’accélération qui nous portera dès que la crise sera derrière nous.
C’est pour cela que le lourd travail que nous avons réalisé au départ afin de bâtir de nouveaux rails pour développer cette nouvelle proposition de valeur était, selon nous, la condition sine qua non pour atteindre notre objectif.
Le compte rendu de cette séance a été rédigé par :
Pascal LEFEBVRE