Décider à long terme
Le présent Journal évoque des projets qui engagent des ruptures parfois massives par rapport aux pratiques précédentes. Prévoir à court terme est une étape évidente de tout acte de gestion (gouverner, c’est prévoir), mais les décisions qui impactent durablement l'avenir posent des problèmes de prévision souvent insolubles. L'actualité en offre divers exemples : qui aurait pu prévoir la pandémie de Covid-19, le confinement, la guerre en Ukraine, l'inflation, les problèmes d’énergie, événements dont tout décideur a dû tenir compte, mais qu'il ne pouvait pas voir venir de loin. Que faire ?
Les choix évoqués ci-après sont tous de ce type. Qu’on en juge : qu’il s’agisse de transformer la culture d’une entreprise, modifier celle d’une chaîne de télévision, introduire des considérations écologiques dans les choix financiers ou modifier l’urbanisme et les déplacements dans une grande ville, l’aspect de long terme ne fait pas de doute. On le retrouve également dans l’article qui conclut ce Journal, intitulé « Une source d’énergie illimitée pour le monde d’après ». Le bon sens suggère qu’en l’absence de prévisions fiables, la bonne méthode consiste à s’entourer d’un maximum d’avis convergents. Tant qu’à se tromper, autant se tromper ensemble.
Les choix qui s’offrent à nous sont le jeu du marché, l’action publique et les start-up. La première réponse est celle du capitalisme traditionnel. Toutefois, encore faut-il que se manifestent des entrepreneurs disposés à risquer leurs capitaux et leur travail avec un espoir suffisant de réussite. Par ailleurs, la fréquence des défaillances d’entreprises et des licenciements a donné corps au concept “d’horreur économique” pour dénoncer la fréquence des tragédies entraînées par les hasards des affaires. L’action publique est la réponse collectiviste, que l’on retrouve dans les services publics, comme les transports urbains, la santé, l’éducation, à côté d’initiatives privées dans les mêmes domaines. Ces solutions traditionnelles évoquent de vifs débats bien connus, mais je préfère mettre l’accent sur le rôle récent et croissant des start-up.
Il s’agit de petites entreprises, souvent animées par des jeunes, pour la plupart fortement diplômés, qui se lancent dans une innovation prometteuse, mais incertaine. Elles sont financées par des fonds spéculatifs attirés par des espoirs de profits rapides, tout en restant conscients du risque élevé de déconvenue. Les acteurs trouvent de quoi nourrir leur goût des affaires et sont suffisamment jeunes pour assumer un premier échec et le transformer en expérience enrichissante. L’accélération des innovations industrielles et commerciales que l’on observe actuellement ainsi que la mondialisation de l’économie favorisent la multiplication des start-up aidées par des grandes entreprises qui se réservent le droit de les absorber en cas de succès et qui n’auront pas beaucoup perturbé leur propre structure en cas d’échec. Par rapport aux risques du long terme, c’est là une démarche logique, qui fournit des terrains d’expérience à de jeunes entrepreneurs et des lieux d’exploration pour les entreprises matures, sans risques excessifs ni durables pour les uns et les autres. Ainsi, on observe aujourd’hui que trois start-up sur quatre disparaissent en moins de trois ans, mais sans dégâts dramatiques.
La coexistence de ces formules est une réponse adaptée à la vie tumultueuse des affaires qui règne actuellement, et permet de se soustraire à une planification rigide à long terme, impossible dans beaucoup de domaines.