L'astuce de Parmentier

« Comme mon entreprise fabrique les meilleurs câbles du monde, nous explique Joseph Puzo, j’ai estimé qu’elle devait également disposer du meilleur service de prévention et de santé au travail du monde. » Il s’y est pris un peu de la même façon dans les deux cas.

Dans le livre que nous avons écrit ensemble (Réinventer l’industrie, les aventures de Joseph Puzo), le PDG d’Axon’ Cable explique que dans les années 1970, en raison du plan Téléphone de Giscard d’Estaing et de l’essor des centrales nucléaires, le besoin de câbles a été massif, ce qui a entraîné la création d’innombrables PMI. Au bout de quelques années, la surproduction était devenue telle qu’elles faisaient faillite les unes après les autres. Joseph Puzo comprend alors que s’engager dans une guerre des prix ne le mènera nulle part et que la seule solution consiste à fabriquer des produits plus techniques et sophistiqués que ceux de ses concurrents. Il décide de prendre pour modèle l’entreprise américaine Gore, qui est alors le meilleur fabricant au monde d’un produit extrêmement sophistiqué (un câble isolé en téflon poreux). Grâce à un embryon de service de R&D conforté par un partenariat avec l’école de chimie de Montpellier et l’accueil de stagiaires en fin d’études, Axon’ invente, en moins d’un an, une nouvelle méthode pour fabriquer les mêmes câbles que Gore, sans avoir besoin de lui acheter de licence.

La même démarche a été suivie pour doter l’usine Axon’ de Montmirail du « meilleur service de santé au travail autonome du monde ». Après avoir découvert, grâce aux nombreuses filiales d’Axon’ implantées à l’étranger, que, contre toute attente, les systèmes les plus performants de médecine du travail se trouvent en Inde et en Lettonie, Joseph Puzo décide de les imiter, et même de les surpasser. Les docteurs en informatique médicale qu’Axon’ a recrutés mettent au point les différents progiciels de gestion des visites médicales, d’intelligence artificielle, de télétransmission ou de cryptographie dont il a besoin pour cela.

À l’époque où Joseph Puzo venait de racheter son entreprise et voulait convaincre les banquiers de lui accorder des crédits, il se présentait dans leur bureau avec une ampoule montée sur un cordon Vibraflamme, une innovation maison développée pour l’industrie pétrolière. Il débranchait la lampe de bureau du banquier, branchait l’ampoule à la place puis, devant son interlocuteur effaré, allumait un chalumeau dont il projetait la flamme sur le câble, afin de montrer que l’ampoule restait allumée et qu’il ne se produisait aucun court-circuit, ce qui démontrait les qualités de résistance à la chaleur de son produit.

Le service de santé au travail autonome de Montmirail a déjà démontré sa capacité à fonctionner sans débaucher de médecins du travail, puisqu’il n’emploie que des praticiens retraités, et à solder en moins d’un an toutes les visites médicales en retard du personnel. Toutefois, la véritable épreuve du feu sera de vérifier, d’ici quelques années, que les salariés d’Axon’, grâce à la prévention de pointe dont ils bénéficient, vont moins souvent à l’hôpital et y restent moins longtemps que la population générale.

Le parallèle entre les deux démarches s’arrête là, comme nous l’explique Joseph Puzo : « Autant j’assigne au tribunal tous ceux qui copient nos câbles brevetés, autant je serais très heureux qu’Hygie Prévention fasse des émules partout en France. » Malheureusement, les esprits bougons lui en veulent de faire de l’ombre à la médecine du travail interentreprises, et beaucoup de médecins du travail protestent qu’il leur serait impossible d’effectuer tous les examens médicaux réalisés à Montmirail, faute de bras. À quoi l’on peut objecter que la désaffection des médecins du travail vient du faible intérêt d’une activité largement inefficace, et que multiplier les initiatives de qualité comme celle d’Axon’ pourrait, au contraire, attirer de nouvelles recrues. Peut-on suggérer à Joseph Puzo de s’inspirer du philanthrope Antoine Parmentier, dont on dit que, pour rendre les pommes de terre désirables, il en avait cultivé plusieurs hectares qu’il faisait protéger par des gardes armés, mais de façon plutôt… poreuse ?