Coronavirus et cybercriminalité
Tant que la pandémie n’aura pas été vaincue, il est frappant d’observer ses similitudes avec la cybercriminalité telle qu’elle est présentée dans l’article ci-après. Dans les deux cas, on observe une activité considérable des acteurs les plus qualifiés pour juguler ces fléaux, et les médiocres résultats obtenus jusqu’ici.
Par contraste, dans les quatre autres articles de ce Journal, qui mettent en scène des systèmes d’une complexité importante, la maîtrise de leur gestion est remarquable. Comment expliquer ce contraste ?
J’y vois, pour ma part, une saisissante application d’un paradigme qui m’est cher, à savoir le contraste entre le dur et le mou. Je rappelle que cette opposition trouve son expression la plus claire dans Discours de la méthode de Descartes, qui recommande de se garder de la précipitation et de la prévention pour accéder à la vérité, c’est-à-dire de rejeter les propositions éphémères ou subjectives. Le dur contient tout ce qui est scientifique, objectif, universel, le mou tout ce qui relève du subjectif, du local, de l’émotionnel.
Le mou est quasi absent du monde de la recherche médicale et du numérique, les quatre derniers exemples en regorgent. Qu’on en juge.
Les relations entre une start-up et une grande multinationale sur un objet aussi singulier qu’une brosse à dents connectée ne reposent pas seulement sur les propriétés objectives du produit, mais surtout sur les incessantes démarches diplomatiques de son talentueux promoteur, normalien converti aux innovations industrielles.
L’entreprise SMPF fabrique de très nombreuses petites pièces en toutes sortes de métaux et tire son extrême agilité en matière de rapidité et de qualité de sa petite taille et de son caractère familial.
Le monde du jeu vidéo est gigantesque, multinational, fortement concurrentiel, et se trouve confronté à des délais de conception et de réalisation qui se mesurent en plusieurs années. Et pourtant, la définition précise des rôles et la permanence des relations permettent de mener à bien des constructions très ambitieuses et très complexes.
Il en va de même dans l’univers de la gestion des déchets électroniques, où l’entreprise ecosystem fait figure de référence, grâce à une intense activité de concertation qui tient le plus grand compte des préoccupations locales des acteurs.
On aboutit à une situation où les fabuleuses conquêtes du dur, dont témoigne l’hégémonie croissante du numérique, se heurtent à la difficulté que le langage de ce dernier se limite à deux valeurs, zéro et un, et sont donc embarrassées pour prendre en compte les nuances variées et mouvantes des terrains et des relations entre les acteurs.
En vérité, cette présence du mou dans la vie économique est une réalité éternelle, sous l’aspect du commerce. Alors que les théories économiques classiques voient dans le prix le seul élément explicatif de la demande, le recul des pénuries et l’accroissement de la concurrence ont donné une importance majeure à la séduction, qui dispose de bien d’autres moyens que le prix.
Il en va de même en matière politique, où des voix locales se font entendre face aux autorités centrales avec une force inédite, ce qui explique des événements récents, comme le Brexit ou le phénomène Trump aux États-Unis, ou encore les désordres récents dans l’ex-Union soviétique, pourtant réputée pour sa discipline de fer. Ces évolutions plaident en faveur d’une répartition locale des pouvoirs, comme le pratique depuis toujours la Suisse, sauf lorsque les menaces ont un caractère résolument mondial, comme pour la crise de la Covid-19 ou la cybercriminalité, où les insuffisances du dur apparaissent en pleine lumière.