- La cible de 3R
- Trouver des clients
- Instaurer la confiance
- L’évaluation de l’entreprise
- La lettre de mission
- La recherche d’un repreneur
- La négociation
- L’audit d’acquisition
- La garantie d’actif et de passif
- Le protocole de vente
- Un art plutôt qu’une technique
- La concurrence des banques
- Comment préserver l’anonymat du cédant ?
- La détermination du prix de vente
- La réaction des salariés
- Des échecs ?
Exposé de Thierry Hernandez
Avec une formation en droit privé et une maîtrise de droit à la faculté de Tours, je me destinais à l’expertise comptable. Toutefois, après un stage dans un cabinet d’audit, j’ai préféré m’orienter vers l’entreprise.
Après avoir participé pendant quelques années à des rachats d’entreprises au sein du groupe Pinault, j’ai rejoint la Lyonnaise des Eaux en tant que directeur financier du groupe OGF. J’ai ensuite été chargé, au sein du groupe Suez, de la direction d’une société qui proposait du crédit-bail immobilier en Europe. Au moment où cette société a été vendue par Suez, j’ai décidé de quitter les grands groupes et de me lancer dans la reprise d’entreprises. La première était une société spécialisée dans le négoce de terminaux de points de vente et la deuxième, une concession de matériel agricole. J’ai effectué plusieurs opérations de croissance externe dans ces deux sociétés et revendu le tout en 2004.
J’ai alors décidé de mettre mon expérience au service des patrons de PME (petites et moyennes entreprises) qui, au moment de partir à la retraite, souhaitent céder leur entreprise et ne savent pas comment procéder. Ma société, 3R Entreprises, a été fondée en 2007, à l’occasion d’une première opération d’évaluation, puis de vente de plusieurs sociétés d’agroéquipement près de Poitiers. Par la suite, j’ai élargi mon activité à d’autres secteurs. En dix-sept ans, j’ai contribué à une trentaine de cessions d’entreprises, à raison d’une à trois ventes par an et d’une ou deux années sans aucune cession, car ce sont des opérations qui demandent un gros investissement en temps.
La cible de 3R
En général, 3R intervient auprès de PME dont le chiffre d’affaires est compris entre 2 et 100 millions d’euros. En France, l’INSEE répertorie 159 000 PME et estime que 25 % d’entre elles seront à vendre dans les dix ans à venir, ce qui représente, pour la catégorie qui m’intéresse, 4 000 entreprises, en moyenne, susceptibles d’être cédées chaque année.
Selon la chambre de commerce et d’industrie de Paris, l’âge moyen des cédants est de 55 ans, avec vingt ans d’expérience dans la direction d’entreprise. On observe cependant un mouvement de rajeunissement : en 2024, 15 % des cédants ont moins de 40 ans, contre 10 % en 2023.
Les motivations des cédants sont le départ à la retraite (60 %), un changement de vie professionnelle (20 %), la diversification du patrimoine par la réalisation de la plus-value (10 %), ou encore des raisons familiales (10 %), par exemple un divorce ou la mobilité du conjoint.
La plupart des clients de 3R entrent dans la catégorie de ceux qui souhaitent prendre leur retraite. J’accompagne également des personnes ayant envie de se lancer dans un nouveau projet entrepreneurial, des groupes désirant se séparer d’une filiale, ou encore des fonds d’investissement cherchant à sortir d’une participation. 3R prend parfois aussi des missions de rachat.
Trouver des clients
Les patrons de PME ne sont pas des êtres solitaires : ils sont en permanence en relation avec leurs salariés, leurs clients et leurs fournisseurs. Pourtant, ils leur parlent généralement peu de leur projet de cession, surtout lorsqu’ils n’ont pas d’héritier ni de salarié intéressé. La nécessité de vendre leur société à un tiers génère chez eux un sentiment d’échec, car ce n’est généralement pas ce qu’ils avaient envisagé au départ. C’est un sujet intime qui les met mal à l’aise.
Comme ils ont l’habitude de régler tous leurs problèmes seuls, ils ne pensent pas toujours à faire appel à un conseiller pour ce type d’opération : « Pourquoi payer un consultant ? Il ne va quand même pas m’apprendre mon métier ! » C’est souvent sur la recommandation d’un de leurs confrères que les patrons de PME entrent en contact avec moi. Il m’arrive de trouver, le matin, des messages qui m’ont été adressés, via le site de 3R, pendant la nuit…
Je prospecte aussi de mon côté, en cherchant à identifier des chefs d’entreprise d’un certain âge, susceptibles d’être vendeurs. Toutefois, si je leur propose de les aider à céder leur entreprise, je n’ai aucune chance de franchir ne serait-ce que le barrage de leur secrétariat ou même du standard. Je me présente donc plutôt comme souhaitant leur proposer une opération de croissance externe, ce qui est plus flatteur : « Mon métier est le développement d’entreprise et j’accompagne une société qui, stratégiquement, pourrait vous intéresser. » Une fois que le dialogue s’est instauré, il arrive que mon interlocuteur me dise : « Écoutez, je ne suis malheureusement pas acheteur, mais, en revanche, je vendrais bien ma société… » C’est une petite astuce qui fonctionne assez bien.
Instaurer la confiance
Pour le premier entretien, je prends le temps de me déplacer afin de rencontrer la personne physiquement, ce qui facilite l’instauration d’une relation de confiance, indispensable pour mener l’opération à bien.
En premier lieu, je cherche à rassurer mon interlocuteur par rapport au déroulement des opérations de cession, dont il se fait souvent une montagne. Parfois, au contraire, certains croient pouvoir aller très vite : « Je suis prêt à vendre tout de suite si quelqu’un me fait un chèque convenable. » Je leur détaille les différentes étapes de l’opération : engagement de confidentialité, lettre d’intention, audit, protocole, garantie d’actif et de passif... Ils doivent prendre conscience que l’opération peut durer de douze à dix-huit mois et que tout cela aura un coût.
Je les incite aussi à réfléchir à ce qui viendra après la cession et, notamment, à ce qu’ils feront des sommes qu’ils vont recevoir, ce qui nécessite généralement de consulter un avocat fiscaliste et, éventuellement, un gestionnaire de patrimoine.
Souvent, par exemple, le chef d’entreprise ne sait pas très clairement s’il souhaite vendre son fonds de commerce ou seulement les titres de la société qu’il détient. S’il vend le fonds de commerce, l’argent provenant de la vente tombera dans le patrimoine de la société, dont il faudra alors l’extraire. Ce n’est pas la même démarche que de recevoir directement dans son patrimoine le fruit de la vente. Or, le repreneur peut avoir intérêt à acheter le fonds de commerce plutôt que les titres. Si le vendeur vérifie avec son gestionnaire de patrimoine et son fiscaliste que les deux options sont équivalentes pour lui, c’est un point à mettre en avant vis-à-vis du repreneur. Sur le plan psychologique, cette discussion présente aussi l’intérêt d’inciter le vendeur à se projeter dans “l’après”.
L’évaluation de l’entreprise
Lorsque le chef d’entreprise confirme sa volonté de lancer le processus, la première étape consiste à réaliser une première évaluation de l’entreprise. Celle-ci peut durer entre trois et dix jours, selon la célérité avec laquelle l’entrepreneur transmet les différents documents nécessaires. L’objectif est de comprendre comment l’entreprise génère des richesses, comment elle est organisée, quelles sont ses forces et ses faiblesses. Je m’occupe toujours personnellement de cette partie, car je ne vends bien que ce que je connais bien. Dans l’idéal, l’entreprise dispose d’un plan à moyen terme, qualitatif et quantitatif, sur lequel je peux travailler, mais c’est rarement le cas. Certaines PME n’établissent même pas de budget, et, quand il en existe un, je ne le prends pas pour argent comptant. Je vérifie, dans le détail, si les hypothèses retenues sont raisonnables.
Ce travail me permet de mesurer la cessibilité réelle de l’entreprise. Beaucoup de PME dépendent tellement de leur patron que l’acheteur risque de voir son investissement s’évanouir dès que celui-ci aura quitté le navire. Dans ce cas, il peut être judicieux de différer l’opération et de recruter, en amont, les personnes nécessaires à une bonne organisation après le départ du chef.
Grâce à cette évaluation, je peux apprécier la détermination effective du dirigeant à céder sa société. Certains prétendent, le matin, vouloir vendre, et n’en ont plus envie le soir, ce qui fait perdre du temps à tout le monde. J’ai pour habitude de facturer la mission d’évaluation initiale entre 5 000 et 30 000 euros, déductibles de la facture finale si la mission de vente m’est effectivement confiée. Ce montant, significatif, me permet de tester la détermination de mon interlocuteur.
L’évaluation de l’entreprise permet aussi de repérer des candidats potentiels au rachat. En général, le vendeur préfère avoir affaire à un repreneur exerçant le même métier que lui. La contrepartie est que celui-ci saura, d’emblée, quels sont les points sensibles à vérifier. Il axera alors ses arguments sur ce qui ne va pas dans l’entreprise, afin d’en faire baisser le prix de vente. Il est donc essentiel de bien préparer l’argumentaire à lui opposer.
La remise du rapport d’évaluation se fait au cours d’une réunion de deux ou trois heures pendant laquelle je détaille l’analyse stratégique et les calculs qui m’ont permis d’aboutir à la fourchette de prix indiquée. Bien sûr, le montant annoncé ne sera pas forcément le prix de vente, à la fois parce que l’évaluation n’est pas une science exacte et parce que seul l’acheteur fixera le montant qu’il est prêt à verser pour acquérir l’entreprise.
La lettre de mission
Une fois le rapport remis, le chef d’entreprise décide, ou non, de me confier la mission.
La lettre de mission est un acte sous seing privé confidentiel signé par le vendeur, en tant que maître d’ouvrage, et par 3R, en tant que maître d’œuvre. Elle définit non seulement l’objet de la mission, mais également son caractère exclusif ou non, son contenu (rechercher, trouver, négocier), sa durée, ainsi que le prix de vente minimum souhaité.
En général, je préconise une durée courte (six mois renouvelables), ce qui permet à chacun de se dégager rapidement en cas de difficulté. Par exemple, si le vendeur ne fournit pas les documents nécessaires ou ne se montre jamais disponible pour fixer des rendez-vous avec les repreneurs, il peut être préférable de renoncer.
La lettre de mission prévoit la périodicité des comptes rendus sur l’avancement des travaux. Elle mentionne aussi le montant des honoraires de 3R, une question qui est abordée très en amont afin que la discussion ne s’avère pas trop ardue au moment de la signature.
Enfin, la lettre de mission inclut les clauses de suspension, voire d’interruption de la mission, ainsi que le droit de suite. Même en cas de résiliation, s’il se trouve que, dans les trois ans qui suivent, le vendeur cède sa société à un repreneur que je lui avais présenté, les honoraires sont dus.
La recherche d’un repreneur
C’est alors que commence la recherche d’un repreneur. Une fois que le vendeur a pris sa décision, il souhaite que le processus avance vite. En même temps, il préfère généralement que le projet reste confidentiel, aussi bien vis-à-vis de ses clients et fournisseurs que de ses salariés. En effet, si son entreprise n’est toujours pas vendue au bout de trois ans, par exemple, cela peut lui faire perdre de la valeur. La loi Hamon impose toutefois que les salariés soient informés du projet de cession au plus tard deux mois avant la signature de la vente. Le dirigeant doit leur adresser un courrier et recueillir leur réponse explicite sur le fait qu’ils ne sont pas intéressés par le rachat.
Dans la recherche de repreneurs, je donne la priorité à des entreprises françaises, afin de contribuer à l’émergence d’ETI (entreprises de taille intermédiaire) dans notre pays.
Lorsque je contacte des acheteurs potentiels identifiés au cours de l’évaluation, je commence par leur demander s’ils ont des projets de croissance externe. Dans l’affirmative, je leur adresse une présentation anonyme de l’entreprise. Ce document comporte des éléments leur permettant d’apprécier si l’acquisition de cette société pourrait, ou non, entrer dans leurs projets : localisation approximative, bilans résumés, ventilation du chiffre d’affaires par activité, etc.
Si le repreneur se montre intéressé, je lui fais signer un engagement de confidentialité, puis j’organise une rencontre avec le vendeur. Cette étape doit être préparée minutieusement. À ce stade, il n’est pas question de confier au repreneur des informations stratégiques, même s’il se montre très impatient d’en savoir davantage. Au besoin, j’aide le vendeur à se mettre en condition pour éviter de révéler trop d’éléments, mais, souvent, il se montre lui-même très prudent. Le patron d’un laboratoire pharmaceutique, par exemple, s’opposait catégoriquement à toute visite de ses locaux, car il fabriquait des dispositifs à usage unique destinés à des soins buccaux et estimait qu’il suffirait à un visiteur de prendre quelques photos pour pouvoir les produire à son tour. Par conséquent, il n’acceptait aucune visite de l’entreprise avant la signature de la lettre d’intention, voire avant l’audit d’acquisition.
Le premier contact entre le vendeur et l’acquéreur est souvent déterminant. Il me permet d’anticiper la façon dont ils vont interagir et d’évaluer les chances que la transaction aboutisse. Les incompatibilités se manifestent parfois très tôt.
La question du prix de vente est naturellement évoquée. Certains vendeurs affichent des exigences claires, d’autres préfèrent solliciter des propositions et ouvrir les enchères.
Si l’entrevue se déroule bien, l’étape suivante consiste à accorder au repreneur potentiel l’accès à une chambre des données virtuelle, afin de lui permettre de se faire une idée un peu plus précise de la valeur de l’entreprise.
La négociation
Le repreneur peut alors rédiger une lettre d’intention non engageante, qui sera le document fondateur de l’opération.
Les éléments principaux de la lettre d’intention sont la description de la cible et du projet en vue ; le prix estimé, avec la méthode de détermination, les éventuels compléments envisagés, les modalités de paiement ; le mode de financement, qui peut être accompagné d’une condition suspensive, comme l’obtention d’un prêt bancaire ; le calendrier des futures étapes (audit d’acquisition, protocole, période d’exclusivité, acte de vente définitif) ; l’accompagnement éventuel du repreneur par le cédant pendant une période donnée et les conditions de cet accompagnement ; et enfin, les éléments clés de la garantie d’actif et de passif.
La rédaction de la lettre d’intention doit être réalisée avec l’aide d’avocats spécialisés, que ce soit du côté de l’acheteur ou de celui du vendeur, car toute erreur peut s’avérer préjudiciable ultérieurement.
Mon rôle est d’animer l’équipe du vendeur et de coordonner les différents intervenants au fil des allers et retours de la lettre d’intention entre le candidat choisi et le vendeur. Dans cette phase, il faut faire preuve à la fois de pédagogie, pour aider le vendeur à distinguer l’important de l’accessoire, mais aussi de psychologie et de diplomatie, afin de ne froisser personne et de ne pas dérouter l’acheteur, qui pourrait renoncer.
L’audit d’acquisition
Une fois la lettre d’intention signée, on passe à la phase d’audit. La chambre des données doit être alimentée par toutes les informations que le repreneur juge nécessaires à sa prise de décision. Il peut les formuler par téléphone, par courriel ou directement sur le site, mais, dans tous les cas, c’est moi qui centralise ses demandes et procède à la mise en ligne des informations. Il est en effet très important que, par la suite, le repreneur ne puisse pas arguer que telle ou telle de ses demandes n’a pas été satisfaite.
Les questions peuvent porter sur les contrats commerciaux, les salariés, les contentieux, ou encore les stocks. Pour certaines entreprises de négoce, par exemple, les stocks constituent l’essentiel de leur valeur et il est indispensable d’en réaliser un inventaire en commun avec l’acheteur.
Je conseille au vendeur de se montrer sincère et transparent, sans naïveté excessive. Il n’est pas obligé de révéler la totalité de sa stratégie. En revanche, il ne doit passer sous silence aucun élément gênant, qui pourrait s’avérer difficile à accepter par l’acquéreur. Il doit également être suffisamment précis pour ne pas laisser de place à des interprétations ultérieures. En retour, je demande à l’acquéreur de faire preuve de mesure et de raison dans ses demandes, même s’il est naturel qu’il se montre vigilant.
L’audit se conclut par un rapport. Si aucun élément bloquant n’apparaît à ce stade, la négociation se poursuit.
La garantie d’actif et de passif
Une étape cruciale du processus est la négociation de la garantie d’actif et de passif (GAP).
Le cédant doit garantir au repreneur que les actifs de l’entreprise ne sont pas grevés d’un passif occulte et que le passif figurant au bilan ne risque pas de s’aggraver du fait d’éléments apparaissant après la vente, mais dont la responsabilité incomberait au cédant. Globalement, il doit s’engager à assumer tous les événements relevant de sa propre gestion susceptibles d’avoir une incidence financière après la cession.
Par exemple, si un contrôle fiscal intervient deux ans après la vente et porte sur la dernière année précédant la cession, le vendeur doit s’engager à répondre aux questions du contrôleur, et aussi à assumer les éventuelles pénalités. Si le contrôle aboutit à un redressement fiscal, le repreneur peut légitimement refuser d’acquitter le montant en question. Le cédant peut alors opter pour un recours administratif, mais celui-ci ne sera pas suspensif et, en attendant, la société sera priée de s’acquitter de sa dette fiscale.
C’est pourquoi la GAP s’accompagne généralement d’une garantie financière qui peut représenter de 10 % à 40 % du prix de cession. Les discussions sur cette proportion sont souvent âpres, car le cédant cherche naturellement à réduire le montant de la garantie et l’acquéreur à l’augmenter. C’est un point critique de la négociation qui, psychologiquement, peut laisser des traces. Je m’efforce de convaincre les deux parties de faire en sorte que chacune trouve son compte dans la transaction, afin de préserver les chances de mener l’opération jusqu’à son terme.
Lorsqu’un accord est trouvé, la somme est consignée auprès d’une banque pendant toute la période de garantie (par exemple, trois ans). La banque s’engage à payer immédiatement les factures présentées par le repreneur dans le cadre de la GAP. C’est la garantie bancaire à première demande. Il est important de préparer psychologiquement le vendeur à cette perspective, qui peut être très déplaisante s’il la découvre tardivement.
La consignation du montant de la garantie peut être assortie d’intérêts et, par ailleurs, la couverture du risque peut diminuer au fil du temps. Toutes les conditions de la GAP doivent figurer dans un acte rattaché au protocole de vente. Il me semble préférable que ces éléments ne soient pas mentionnés dans l’acte de vente lui-même, mais rattachés à lui, car celui-ci peut devoir être présenté à différents interlocuteurs, qui n’ont pas besoin de connaître tous les éléments de l’opération.
Le protocole de vente
En droit français, une vente est considérée comme conclue dès qu’il y a accord entre le vendeur et l’acquéreur sur la chose et sur son prix. Le protocole de vente constitue donc le véritable acte de vente. Toutefois, en général, il comporte une clause suspensive liée à l’obtention d’un prêt bancaire précisant les conditions souhaitées par l’acquéreur en matière de montant, de taux et de durée du prêt. À la réalisation de cette clause, le protocole produit ses effets et l’acte de vente définitif peut être signé.
La mission de 3R se termine par le recueil et l’archivage de toute la documentation signée. Il convient également de garder la trace de tous les documents mis à la disposition du repreneur dans la chambre des données virtuelle. Il peut en effet arriver que le repreneur demande la mise en œuvre de la GAP en invoquant le fait que telle ou telle information ne lui avait pas été communiquée. En cas de désaccord, ce sont les juges qui tranchent.
Un art plutôt qu’une technique
J’espère avoir montré qu’il est pertinent et nécessaire de solliciter la participation active d’un conseiller haut de bilan au processus de transmission d’une entreprise.
Je me souviens du patron d’une importante société de plomberie qui avait préféré, pour la cession de son affaire, s’appuyer sur la chambre de commerce et d’industrie. Un an plus tard, il me confiait l’opération : « Je ne m’en sors pas ! » J’ai réussi à le tirer d’affaire en lui trouvant rapidement un repreneur.
Dans ce processus, les systèmes d’intelligence artificielle peuvent apporter une aide appréciable aux conseillers pour l’analyse des données, l’identification des prospects d’acquisition, l’évaluation des risques, l’analyse de la concurrence, ou encore l’estimation de la valorisation de l’entreprise. Cela étant, la transmission d’une entreprise continuera, sans doute encore longtemps, à relever de l’art plutôt que de la technique, dans la mesure où la relation de confiance que le conseiller noue avec le cédant dès la phase de l’évaluation initiale joue un rôle déterminant pour la suite.
Débat
La concurrence des banques
Un intervenant : Dans votre prospection, ne vous heurtez-vous pas à la concurrence des banques ?
Thierry Hernandez : Certaines banques se sont effectivement dotées de départements s’occupant des cessions d’entreprises. Je n’ai pas été confronté à cette concurrence, car, généralement, les chefs d’entreprise s’adressent directement à 3R via le site.
L’argument que je pourrais mettre en avant est qu’il est peu probable qu’un conseiller bancaire consacre autant de temps qu’une société comme la mienne à ce type d’opération. Je me souviens, par exemple, du patron d’une société de transport de farine qui m’appelait quasiment tous les jours : « Puis-je passer avec tel client un contrat qui m’engagera pour plusieurs années ? », « Je dois renouveler une partie de ma flotte de camions. À votre avis, que dois-je choisir comme système ? », etc. Je ne suis pas sûr que des banquiers se seraient montrés aussi disponibles.
Comment préserver l’anonymat du cédant ?
Int. : Sachant que les entreprises sont généralement rachetées par des acteurs du même domaine, comment réussissez-vous à préserver l’anonymat du cédant dans la présentation que vous faites de sa société au repreneur potentiel ?
T. H. : C’est un vrai savoir-faire. Il m’est arrivé de présenter à un repreneur une société avec laquelle il avait déjà négocié en vain, sans qu’il devine de qui il s’agissait. Si mon interlocuteur me demande où l’entreprise se situe, je reste flou et je réponds, par exemple : « Au-dessus d’une ligne La Rochelle-Genève », alors que l’entreprise se trouve parfois à 50 kilomètres de chez lui.
La détermination du prix de vente
Int. : Comment se déroule la discussion sur le prix de vente ?
T. H. : Je demande toujours au vendeur de me confier cette partie de la négociation. En effet, celle-ci comporte de nombreux à-côtés, par exemple, l’accompagnement du nouveau patron par l’ancien. Si le vendeur se focalise sur le prix et ne pense pas à intégrer ces autres aspects à la discussion, il risque de passer à côté d’une opportunité.
Une deuxième raison de me confier cette partie est que, au cours de la discussion, l’acheteur peut se laisser aller à employer des termes désagréables. Il vaut mieux que ce soit moi qui les entende, car, contrairement au cédant, sans doute, cela ne me déstabilisera pas. Le cédant accepte généralement de bonne grâce de me faire confiance. Cela lui permet de continuer à s’occuper de son entreprise, tout en me laissant prendre les coups.
Int. : Est-il facile de mettre le vendeur et le repreneur d’accord sur le prix, ou cela demande-t-il énormément d’énergie ?
T. H. : Parfois, le chef d’entreprise a une idée très approximative de la valeur de son entreprise. Il arrive, par exemple, que son expert-comptable lui ait calculé un prix de vente sur un coin de table. Non seulement cela ne relève pas vraiment du métier de l’expert-comptable, mais, si l’opération se fait, celui-ci va vraisemblablement perdre un client et il a donc intérêt à placer la barre un peu haut.
Autre cas de figure, l’un de mes confrères a reçu de son client la mission suivante : « Je vends ma société, qui est l’œuvre de ma vie. Je veux en tirer de quoi m’acheter un chalet à la montagne, un appartement à Paris et une maisonnette à l’île de Ré. »
Aussi fantaisistes que soient les chiffres en question, il n’est pas toujours facile d’y faire renoncer le chef d’entreprise. Un travail de pédagogie est nécessaire et celui-ci passe, notamment, par l’évaluation réalisée au début du processus.
J’explique aussi à mes clients que, dans la mesure où le repreneur sera probablement issu du même secteur d’activité qu’eux, il aura une idée de la vraie valeur de leur société et que, si le prix demandé est trop élevé, il risque tout simplement de passer son chemin.
Beaucoup de chefs d’entreprise se montrent toutefois réalistes.
Au total, l’écart entre le montant finalement envisagé par le vendeur et celui proposé par l’acheteur n’est souvent pas excessif.
Les discussions peuvent néanmoins s’avérer ardues, notamment parce que, dans la détermination de la valeur, il faut prendre en compte la trésorerie laissée libre, déduction faite de toutes les dettes, non seulement celles qui figurent au bilan, mais aussi les dettes hors bilan, comme les indemnités de fin de carrière, par exemple. La détermination de la “dette nette”, qui peut avoir une influence sur le prix final, donne souvent lieu à des débats animés.
La réaction des salariés
Int. : Comment réagissent les salariés lorsqu’ils découvrent le projet de cession ?
T. H. : Rien n’est pire, pour un salarié, que d’apprendre par un client ou par un fournisseur que son entreprise va être vendue, voire qu’elle est déjà vendue. Il peut d’ailleurs arriver que des concurrents n’hésitent pas à faire courir des bruits à ce sujet.
C’est pourquoi certains chefs d’entreprise, historiquement proches de leurs salariés, préfèrent leur en parler relativement tôt. Sans leur donner forcément tous les détails ni leur présenter le repreneur dans un premier temps, ils leur indiquent que le processus est engagé et leurs salariés leur font confiance.
D’autres exercent un management plus hiérarchique, assez peu participatif. Ils considèrent que le sujet de la transmission ne concerne pas directement les salariés et ne souhaitent donc leur en parler que le plus tard possible. Je les alerte sur le fait que l’engagement de confidentialité signé par le repreneur n’a pas beaucoup de force juridique et que l’information peut revenir aux salariés “par la bande”, sans que l’on puisse prouver qui, exactement, a révélé le secret, ce qui peut créer des perturbations. Or, c’est justement ce qui les inquiète : ils souhaitent que l’entreprise continue à fonctionner normalement et ils craignent que ce ne soit plus le cas si les salariés sont informés du projet de cession.
Dans une des entreprises que j’ai accompagnées, le patron n’avait rien dit aux salariés. Un jour, son directeur commercial est venu le trouver : « J’ai appris que la société était en vente. Si vous ne m’augmentez pas, je me fais embaucher par notre concurrent. » Le dirigeant en question a très bien géré la situation et son directeur commercial est resté, mais il avait manifestement pris un risque.
Int. : La réaction des salariés est-elle également un sujet de préoccupation pour le repreneur ?
T. H. : Naturellement. Si le vendeur souhaite que la transmission s’opère de façon favorable aussi bien pour les salariés que pour l’entreprise, le repreneur, de son côté, peut craindre qu’une partie du fonds de commerce s’évapore si une partie des salariés quitte l’entreprise.
En général, il prend des renseignements sur l’ensemble des salariés, leur contrat, leur âge, leur ancienneté, et il demande aussi à rencontrer les principaux cadres de l’entreprise. En revanche, il serait malvenu qu’il aille discuter avec les salariés dans les ateliers ou les bureaux.
Int. : Le risque de départ d’une personne clé de l’entreprise peut-il être pris en compte dans la garantie d’actif et de passif ?
T. H. : C’est difficile à envisager, car le départ d’un cadre un an ou deux ans après la cession de l’entreprise peut être lié au management pratiqué par le nouveau patron. Le vendeur a donc intérêt à ce qu’une telle clause ne figure pas dans la garantie, voire à préciser explicitement que ce risque n’est pas couvert.
En revanche, pour fidéliser les salariés, et notamment les personnes clés, le vendeur et le repreneur peuvent convenir de les associer à l’opération et de les intéresser au capital de la société vendue ou à celui de la société acquéreuse. Cela se pratique fréquemment.
Des échecs ?
Int. : Avez-vous rencontré des échecs au cours de ces dix-sept années ?
T. H. : Une seule opération n’a pas pu être menée jusqu’à son terme, la vente d’une entreprise chimique dont l’usine a brûlé et dont le propriétaire, qui souhaitait prendre sa retraite, n’a pas fait ce qu’il fallait pour remonter la société.
À deux reprises, j’ai dû m’occuper de dossiers dans lesquels le vendeur avait trouvé un repreneur, mais s’était fâché avec lui. Or, dans les deux cas, c’était stratégiquement le meilleur repreneur possible. J’ai fait diversion en cherchant d’autres candidats et en m’arrangeant pour que l’affaire ne se conclue pas avec eux, puis j’ai fait en sorte de renouer les fils entre vendeurs et premiers candidats acheteurs. Les deux affaires se sont bien terminées.
Le compte rendu de cette séance a été rédigé par :
Élisabeth BOURGUINAT